L’ Autriche à la tête du Conseil Européen

Une Europe courte sur pattes : l’Europe de Procuste

Procuste : il va réduire un peu son visiteur, comme Kurz avec l'Europe ! Foto: Marie-Lan Nguyen / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 2.5int

(MC) – Sebastian Kurz, le jeune chancelier autrichien fraîchement élu, accédera à la présidence du Conseil Européen le 1er juillet prochain. On a pu prendre connaissance récemment de ses propositions et revendications, notamment à la suite d’un entretien avec Jean-Claude Juncker. On peut voir maintenant se dégager l’Europe telle que vue par ce chancelier conservateur aux culottes courtes. Elle présente un visage singulier : dans ses grands traits, celui d’une Europe vue par la lucarne d’un boutiquier soucieux d’ordre, Ordnung, dans son village.

Diodore de Sicile, auteur antique, raconte que Procuste, fils de Poséidon, obligeait les voyageurs à se jeter sur son lit : il coupait les jambes des personnes quand elles dépassaient de ce lit pour les ajuster  à ses dimensions. C’est ainsi que semble vouloir procéder Sebastian Kurz : couper tout ce qui dépasse. La ressemblance est d’autant plus troublante que Xénophon, lui, qui écrit à l’époque de Platon, fait de Procuste le symbole même des violences commises sur les étrangers…

Pour l’essentiel, le projet de Kurz tient à 3 points : il s’agit de mettre en œuvre une politique bien plus musclée qu’actuellement à l’égard des migrants, de faire des économies, beaucoup d’économies, le plus d’économies possible, et, plus surprenant, de soutenir de nouvelles adhésions à l’Union Européenne, celles de quelques-uns de ses pays les moins riches.

Le dirigeant de l’ÖVP estime que l’Union Européenne n’a pas à fixer un quota de répartition des migrants par pays : chacun de ses Etats membres doit pouvoir déterminer par lui-même qui et combien de personnes (naguère, on aurait dit d’âmes, mais pour Kurz, les migrants ont- ils une âme?) seront autorisées à entrer, par exemple dans le paradis autrichien. Tandis que la Commission et le gouvernement allemand pensent encore que la distribution des migrants par quotas à l’intérieur de l’UE est une des mesures les plus importantes de la lutte contre la crise des migrants, Kurz refuse cette vision des choses. Donnez m’en quelques uns, cela me suffira.

De plus, Sebastian Kurz réclame qu’on considère la protection des frontières extérieures de l’UE comme une priorité. Ce n’est selon lui que lorsque cette condition sera réalisée qu’on pourra assurer un réglementation réelle du flux des migrants.

Comment faire au juste, dans ce cas ? Kurz veut accélérer le plus possible une mesure annoncée par Bruxelles : l’augmentation du personnel de l’organisme de protection des frontières FRONTEX jusqu’à 10000 agents d’ici 2027. Schnell ! C’est beaucoup trop lent, se plaint le bouillant jeune homme de 31 ans. Mais Kurz va bien plus loin : on devra mettre en œuvre des garde-frontières armés en grand nombre, éventuellement épaulés par des militaires selon la situation, dans les pays de transits importants d’Afrique noire et du Maghreb, afin d’empêcher le départ des bateaux style Aquarius et refouler dès les premières heures les migrants illégaux vers leurs pays d’origine.

Ou bien vers de soi-disant « zones de protection » au-dehors du territoire européen, ces camps de rétention (ou de détention ? Ou de concentration?), sur lesquels Kurz s’est extasié mardi dernier à Vienne, de concert avec son complice et homologue populiste du Dansk Folkepartiet, le dirigeant danois Lars Lokke Rasmussen. Où se situeraient ces camps ? On parle de l’Albanie ou du Kosovo… Surprenant, puisque par ailleurs, Kurz se dit partisan de l’adhésion de l’Albanie à l’UE.

Kurz souhaite aussi que des juges de l UE décident de le recevabilité des demandes d’asiles dans les pays africains eux-mêmes, à la source donc. Les migrants qui ont un besoin réellement manifeste et incontestable de protection, en revanche, pourront s’installer en UE en collaboration avec l’ONU. Ainsi donc, Kurz essaie de saisir le problème par tous les bouts, voulant visiblement empêcher à tout prix que les migrants parviennent sur le sol européen.

Pour ce qui est du budget, le chef de l’ÖVP chausse ses bésicles et se penche sur la bourse : il en conclut qu’il faut en resserrer les cordons. L’Autriche, en effet, s’oppose à une nouvelle augmentation du budget à partir de 2021 ! Et cela malgré le Brexit, malgré de nouveaux frais indispensables à la protection des frontières, à la défense et surtout, à la recherche. Kurz demande instamment que l’UE économise et n’investisse qu’en cas de pertinence majeure.

Par ailleurs, il ne pense pas qu’il faille conserver le mode de fonctionnement habituel de l’UE, dans lequel les membres donnent beaucoup d’argent à Bruxelles avant d’en recevoir en retour, en vertu de modalités de redistribution selon lui bien trop complexes.Tandis que l’Allemagne est prête à accepter de dépenser plus d’argent pour l’Europe, Kurz, lui, veut freiner le mécanisme, et préserver sans doute les économies des ménagères autrichiennes.

Le chancelier tout frais veut aussi diminuer de façon significative les dépenses de fonctionnement, recherchant avant tout plus d’efficacité et de crédibilité. Il faudra enfin choisir entre Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg : cela permettra d’économiser au bas mot 200 millions d’euros par an (en toute objectivité, nous suggérons Strasbourg : une ville idéale, merveilleuse, où l’on peut croiser tous les jours Catherine Trautmann dans la rue !). Dans le même souci d’économie, Kurz aimerait réduire le nombre des commissaires : au maximum 18, au lieu des 28 actuels.

Kurz estime qu’il est indispensable d’assurer beaucoup plus l’unité interne de l’Union Européenne. Il ne fait ainsi que reprendre et radicaliser une intention que Jean-Claude Juncker essayait de réaliser depuis 2 ans environ. Une task  force a commencé ses travaux dans cette direction au mois de janvier dernier. Un aspect important en est le souci de subsidiarité : Juncker, et à sa suite, Kurz, vont peut-être aller jusqu’à retirer certaines compétences à Bruxelles pour les remettre entre les mains de nos braves vieilles nations craintives et jalouses… Kurz parle d’ailleurs d’organiser une conférence sur la subsidiarité cette année et d’accélérer la réalisation de ce projet, et le cas échéant, la poursuivre bien au-delà du retrait de Juncker qui s’effectuera à l’automne 2019.

Enfin, Vienne veut se poser à nouveau comme pont entre l’Est et l’Ouest ; un rôle historique quelque peu estompé par les dernières évolutions politiques et du fait que le fossé entre les « deux moitiés » de l’Europe s’est beaucoup creusé tout récemment. En tout cas, Kurz veut renouer un dialogue vigoureux, et essayer de donner plus d’importance aux petits Etats. Il est vrai que Sebastian Kurz est un grand ami de Viktor Orban, le fameux Géant de la puszta (là où passe son cheval, l’herbe ne repousse plus). Il brûle de renouer le dialogue avec Poutine, aussi – un autre grand ami du chancelier, nous l’avons constaté voici quelques jours dans Eurojournalist.

Amitié, oui, mais qui n’empêche pas que Kurz accorde une importance particulière aux pays des Balkans, dans le souci de préserver la sphère d’influence de l’Union européenne face aux grognement impatients du nouveau Tsar. Il faut, estime Kurz, accélérer le processus d’admission des 6 pays des Balkans occidentaux ; Vienne souhaite d’ailleurs que les pays de l’Union s’accordent sur une ouverture de négociations d’admission de la Macédoine et de l’Albanie. Ce qui a été intensément discuté au Sommet de Sofia, en mai dernier. Et qui occasionne un début de psoriasis chez Macron et Angela Merkel, sa petite camarade. Bien évidemment, il en va aussi des intérêts économiques de Vienne dans la région, qui sont très importants.

En somme, l’image de l’Union Européenne que propage le chancelier autrichien, c‘est celle d’une Europe resserrée, amenuisée, rabotée aux entournures malgré ses perspectives balkaniques un peu surprenantes. Des économies, oui, la loupe braquée sur le budget, mais pour quelles ambitions ? Que fera et que sera l’Europe dans un an ?

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste