La nouvelle PAC – interview avec Anne Sander

Une nouvelle Politique Agricole Commune (PAC) vient d’être votée au Parlement Européen. Interview avec la Première Questeure du Parlement, l’Alsacienne Anne Sander.

L'eurodéputée Anne Sander a répondu à nos questions concernant la nouvelle PAC. Foto: Franck Kobi / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Elise Arfeuille) – Sauf les personnes directement concernées, la plupart des gens sont passés à côté d’une information importante. Le Parlement Européen a voté une nouvelle « Politique Agricole Commune » (PAC) qui définit l’agriculture européenne pour les années à venir. Interview avec une grande experte de la politique agricole, l’eurodéputée alsacienne Anne Sander.

Anne Sander, pour vous, quelle sont les valeurs que véhiculent la PAC au sein de l’Europe et en France ?

Anne Sander : Je crois que les valeurs que véhicule la PAC trouvent leur fondement dans le traité de Rome de 1957 et dans la Conférence de Stresa organisée en 1958, qui a fixé les objectifs et la philosophie présidant à la mise en place d’une Politique Agricole Européenne Commune : unicité des marchés, préférence communautaire et solidarité financière. Dans un contexte de forte dépendance alimentaire dans les années 1950, il s’agissait d’assurer la sécurité alimentaire de l’Europe, donc son indépendance, et de créer des solidarités de fait (politique commune et marché commun). Elle visait aussi à moderniser les exploitations agricoles, assurer un revenu au monde agricole et contribuer au développement des territoires ruraux en pleine transition.

Je crois que la PAC restant l’une des politiques les plus intégrées de l’Union véhicule toujours ces valeurs d’indépendance, de solidarité et d’accompagnement des transitions auxquelles le monde rural fait face.

Quelles sont les points forts selon vous, de cette nouvelle PAC qui sera mise en application, dès 2023 ?

Anne Sander : La force de la nouvelle PAC est d’allier le développement économique essentiel des exploitations agricoles et des territoires et l’indispensable transition écologique des filières agricoles. Le cadre règlementaire de la nouvelle PAC permettra également d’adapter au plus près des territoires les outils de soutien, notamment en faveur de pratiques « vertes », tout en gardant un cadre commun, garantie nécessaire d’une limitation des distorsions de concurrence au sein du marché unique. En outre certains nouveaux outils pour accompagner le développement des filières agricoles ont été intégrés, je pense aux outils de l’organisation commune des marchés, aux programmes sectoriels ou encore la réserve agricole, qui permettra de mobiliser au moins 450 millions d’euros en cas de crise agricole. Enfin, j’ai fait intégrer dans le cadre règlementaire de la PAC, un droit à l’erreur pour les agriculteurs qui commenterait de bonne fois une erreur administrative (absence de déclaration, oubli de signature de la demande d’aide). Aujourd’hui ne pouvions rien faire pour les aider à recevoir les aides dont ils avaient besoin, à partir de 2023, les États membres peuvent corriger ces erreurs. C’est une avancée importante.

Pouvez-vous revenir sur le principe des éco-régimes ?

Anne Sander : Les programmes environnementaux mis en place dans le cadre du fonds européen de garantie agricole visent à rémunérer les agriculteurs qui souhaiteraient s’engager dans des pratiques plus ambitieuses en matière environnementale, climatique, de protection de la biodiversité et de bien-être animal par rapport à un certain nombre de pratique de base qui conditionnent déjà l’octroi des paiements de la PAC. Pour la France, ce sera près de 2,25 milliards d’euros par an pour accompagner nos agriculteurs vers plus de durabilité. L’innovation est en outre que les États membres disposeront d’une grande marge de manœuvre pour définir les pratiques éligibles en prenant compte de leurs réalités locales, qu’elles soient agronomiques, climatiques ou environnementales. Ce parti pris est l’opposée de la précédente PAC qui fixait des mesures au niveau européen de manière relativement uniforme, ce qui a complexifié la mise en œuvre sur le terrain.

Pourquoi l’un des axes majeurs, à savoir l’amendement 188-bis, a été écarté des nouvelles mesures de la PAC ?

Anne Sander : L’amendement 188bis visait à intégrer dans la législation de la PAC le principe de réciprocité entre les standards de production que nous imposons à nos agriculteurs en Europe et les importations qui respectent parfois des normes moins disantes. Le Parlement était à l’initiative de cette proposition et en avait fait l’une de ces priorités. Néanmoins le Conseil et la Commission ont souhaité se donner plus de temps pour traiter ce sujet politique majeur. Il est en effet complexe car il se heurte au cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce, qui intègre le principe de concurrence entre les nations et de la théorie économique de l’avantage comparatif un des fondements du commerce international. L’Union européenne peut prendre des mesures plus restrictives sur les importations au nom d’un choix de société ou pour protéger la santé humaine, mais cela doit être étayé par des études scientifiques. Si ce n’est pas le cas, le risque est de faire face à de mesures de rétorsion voir de compensation vis à vis des pays tiers. Face à la complexité de la mise en place de telles mesures appelées « miroirs », le Parlement européen et la Commission ont préféré mandater la Commission européenne de fournir une analyse juridique d’ici à juin 2022 et de faire des propositions pour avancer sur ce sujet fondamental.

Trouvez-vous que l’on laisse réellement le choix, aux principaux concernés, à savoir consommateurs et agriculteurs –entre-autres-, de faire entendre leur voix ?

Anne Sander : Le processus législatif européen laisse une place importante à la consultation des parties prenantes, qu’ils s’agissent des consommateurs, des agriculteurs, le monde économique ou encore des organisations non-gouvernementales. La Commission européenne avant de proposer la nouvelle réforme a procédé à une grande consultation publique qui avait reçu 322 916 réponses (36,5% d’agriculteurs, 47,7% de citoyens et 15,8% d’organisation professionnelles ou non gouvernementale). Suite à la proposition de la Commission, les parlementaires et les administrations nationales ont été en constante interaction avec les mêmes acteurs. Je note enfin que dans le cadre de la préparation de sa position de négociation et maintenant dans le cadre de la préparation du contenu du plan stratégique français, de grandes consultations publiques ont été organisées. Je crois que c’est des exercices utiles et positifs, après le propre de l’action publique et du mandat confié aux décideurs publics reste de faire des choix et des arbitrages.

De nombreuses associations comme La Confédérations Paysanne ou le réseau CIVAM (Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et Milieu rural), regrettent qu’il n’y ait pas de prise en compte plus effective du « Green Deal », du projet « Farm to Fork » ou encore de considérations pour les petites structures agricoles, locales. Qu’aimeriez-vous répondre à ces remarques ?

Anne Sander : Allez dire aux agriculteurs que la PAC n’est pas verte ! Je crois au contraire que la PAC participe indubitablement au Green Deal en finançant la transition de l’agriculture européenne. Dire le contraire est juste factuellement faux. En France, 90% des paiements seront maintenant conditionnés à des pratiques « vertes » de base (80% en moyenne en Europe) contre 30% dans le cadre de la précédente PAC. En outre, un minimum 25% des paiements directs et 35% des programmes de développement ruraux des fonds seront utilisés pour accompagner les agriculteurs pour aller au-delà de ces pratiques de base. Concernant les petites exploitations, le paiement redistributif des grandes exploitations vers les petites, qui était volontaire depuis 2014, est devenu obligatoire. Tous les États membres devront consacrer 10% des paiements directs à cette redistribution. C’est près de 18 milliards d’euros qui seront redistribué. Des mesures de réduction de la surcharge administratives pour les petites structurées ont été également été intégrée dans le cadre du programme pour les petits agriculteurs.

La mouture de la nouvelle PAC, vient d’être adoptée, le 23 novembre 2021, alors que les Etats membres, comme la France, doivent déposer le projet de politique agricole nationale, auprès de la Commission Européenne – en fin d’année 2021. Or, la France est le premier pays producteur agricole de l’Union Européenne. Une consultation citoyenne est organisée à l’occasion, soutenue par de nombreuses associations françaises, mais également européennes. Pensez-vous qu’une initiative citoyenne ait la capacité de changer les lignes de telles décisions au niveau national, mais également européen ?

Anne Sander : Les politiques publiques doivent évidemment être construites avec les citoyens, mais la démocratie représentative a sa légitimité. Tout ne peut pas être décidé dans le cadre d’une consultation publique, qui par nature simplifiera les enjeux. La démocratie représentative, en particulier parlementaire doit jouer son rôle dans les décisions, en particulier au niveau européen, où des compromis doivent être trouvés entre des pays aux réalités, besoins et cultures très différents.

L’aide au maintien dans le bio a disparu depuis quelques années en France, ce qui pourrait décourager un certain nombre d’agriculteurs à se lancer dans le bio. Mais cela montre également, que la place donnée à l’agriculture biologique est encore très restreinte au niveau européen. Pourtant, elle constitue un enjeu majeur des problématiques environnementales. Mais 80% des aides par de PAC sont versés à seulement 20% des agriculteurs, qui restent sur un modèle traditionnel, à savoir une agriculture intensive et des exploitations qui ne cessent de croître. Au vu de ces conditions, quel est l’avenir du bio, selon vous ?

Anne Sander : N’oublions pas que l’aide à la conversion des exploitations ou des surfaces en agriculture biologique est toujours disponible et en constante augmentation depuis des années. La fin de l’aide au maintien en bio a été en partie supprimée par le gouvernement actuel pour pouvoir concentrer les deniers publics sur la conversion, considérant que le marché était en mesure de rémunérer les surcoûts associés au maintien de la production en agriculture biologique. L’agriculture biologique au niveau européen est de l’ordre de 7% des surfaces et constitue une des réponses dont nous disposons aux enjeux environnementaux.

Mais on ne peut pas faire de l’agriculture biologique l’alpha et l’oméga de la transition de l’agriculture européenne ; d’autres types d’agricultures se développent également avec pour objectif de limiter l’impact de l’agriculture sur les sols, l’eau, l’air, le climat, je pense notamment à l’agriculture de conservation ou l’agriculture de précision.

J’insiste sur le fait que l’agriculture biologique reste un marché de niche qui pour se développer aura besoin d’un marché rémunérateur et en expansion. Le succès du développement du bio se mesurera à l’aune de la résolution d’un paradoxe : comment stimuler la demande, tout en maintenant l’attractivité du bio pour nos agriculteurs qui se sont convertis ou souhaitent se convertir en agriculture biologique ?

Si sur le papier, les consommateurs souhaitent, par leur acte d’achat, tendre vers des produits plus durables, ils ne veulent pas le faire à n’importe quel prix. Et justement, les produits biologiques restent, pour beaucoup de nos concitoyens, trop chers. On ne peut pas décréter administrativement une proportion de surface en bio si aucun marché n’existe. C’est par les consommateurs que des agricultures à forte valeur ajoutée se développeront. Mais si les mécanismes de marché par l’augmentation de l’offre mènent à une baisse trop importante des prix, alors ceux-ci ne permettront plus de compenser les surcoûts engagés, et il ne sera, dès lors, plus suffisamment attractif de se tourner vers ce mode de production.

En outre, nous devons aussi nous garder de mettre en place une alimentation duale avec des produits en agriculture biologique pour les ménages les plus riches et avec des importations à bas coût et de moindre qualité pour les ménages les plus modestes.

Concernant la répartition des aides, on peut faire tout dire aux chiffres. Il s’agit en réalité d’une moyenne européenne et la très grande majorité ont d’ailleurs entre 10 et 60 hectares, ce n’est pas ce que l’on peut appeler des grandes exploitations. En France, avec 63 hectares nous sommes dans la moyenne européenne et des efforts importants de redistribution des grandes aux petites exploitations et entre régions ont été déjà consentis.

Anne Sander, merci beaucoup pour vos réponses !

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