L’air pour respirer…

L'Alsace ne veut être ni corridor à entrepôts, ni couloir à camions...

Amazon aimerait bien prendre une telle photo à Dambach-la-Ville. A suivre. Foto: United States House of Representatives - Office of Gary Palmer / Wikimedia Commons / PD

(Par Alain Howiller) – Le mot est barbare. Il n’est pas très ancien, bien qu’il recouvre, en fait, une pratique qui elle, est… ancienne ! C’est celle qui consiste à mordre sur les espaces naturels, agricoles, forestiers pour y installer des bâtiments, des zones industrielles ou commerciales, des infrastructures, nos extensions de villes. On appelle cela de l’artificialisation ! Chaque année, des espaces naturels sont perdus, souvent sans discernement, au profit d’équipements, de résidences urbaines ou de loisirs, d’infrastructures routières ou autoroutières, d’entrepôts de stockage qui progressent, paradoxe apparent, dans le sillage des avancées du… « e-commerce » ! Si le rythme des « terres perdues » s’était ralenti entre 2012 et 2018, il est reparti de plus belle et on est loin d’être certain qu’il soit réaliste, ce souhait des pouvoirs publics d’arriver, d’ici à 2030, à une situation « ZAN », pour « Zéro Artificialisation Nette » ! Le débat a été relancé par la « Convention Citoyenne pour le Climat » et par le « Conseil de Défense Ecologique » réuni par Emmanuel Macron le lundi 27 juillet.

Naissance des « Ilôts de chaleur urbains ». – Pour les 150 participants de la « Convention », qui ont rédigé 8 propositions en la matière, « il s’agit, entre autres (dont notamment une division par deux du rythme vécu jusqu’ici), « d’interdire toute artificialisation des terres tant que des réhabilitations ou friches commerciales, artisanales ou industrielles sont possibles dans l’enveloppe urbaine existante ». Bref, il s’agit d’appliquer, d’inscrire dans les faits, notamment, le slogan « construire la ville sur la ville », avec le risque (les citoyens strasbourgeois en savent quelque chose !) de la « bétonisation » et de la naissance de ce qu’on commence à appeler des « ICU – Ilôts de Chaleur Urbaine ».

Pour Barbara Pompili, Ministre de la Transition Ecologique, partant sans doute du constat que l’éclatement des cellules familiales a multiplié les demandes de logements, « …La bétonisation a augmenté quatre fois plus vite que la population… Il nous faudra concrétiser l’objectif fixé par la Convention Citoyenne de diviser par deux la bétonisation dans la prochaine décennie. » Un objectif d’autant plus souhaitable que la France est une championne de l’artificialisation du fait de l’étalement des villes dans ce pays qui est celui qui compte le plus d’hypermarchés par habitant !

Dans le Grand Est une stratégie de biodiversité. – Le Grand Est n’est pas en reste : la région Grand Est, avec 6% de terres artificialisés occupées – d’après l’INSEE – aux trois quarts par l’habitat, se situe au 7ème rang des régions françaises frappées d’artificialisation ; le département du Bas-Rhin avec 11,1% de terres concernées par le mouvement, se trouve en 18ème position sur le plan national, mais en deuxième position derrière le Haut-Rhin (11,4% des terres ) sur le plan régional.

Pas étonnant que la Région Grand Est ait souligné dans sa « stratégie régionale de la biodiversité 2020/2027 », inscrite dans son schéma d’action « Business Act 2030 », sa volonté de « réduire la consommation de foncier naturel, agricole et forestier d’au moins 50% », pour tendre vers moins 75% d’ici à 2050 ! Si selon ces éléments, le Haut-Rhin est placé devant le Bas-Rhin en raison de son artificialisation, c’est en raison du poids des agglomérations de Mulhouse et de Colmar suivies par la « communauté » de Saint-Louis intégrant, en quelque sorte, l’aéroport de Bâle-Mulhouse. C’est évidemment l’agglomération strasbourgeoise, suivie d’assez loin par celle de Haguenau, qui constitue le poids lourd dans le Bas-Rhin.

En Alsace : une cristallisation autour des projets – Les débats sur l’artificialisation ont été relancés en Alsace, où sont nés un certain nombre d’entrepôts de stockage au point que certains ont cru devoir évoquer à ce propos la « naissance d’un véritable corridor de stockage, d’un couloir à camions ». Les oppositions ont été cristallisés autour des projets de création, dans le Bas-Rhin, à Dambach près de Sélestat, d’une plateforme d’Amazon (on avance une emprise de 18 hectares et la création à terme d’un millier d’emplois) et le lancement, dans le Haut-Rhin, à Ensisheim, d’un projet « Eurovia » sur 16 hectares avec la création de 500 emplois au départ. Dans les deux cas, les nombreux opposants s’élèvent contre le gel des terres, l’impact sur la circulation, la pollution, le commerce local et ses emplois.

Protestations qui se sont également élevés et s’expriment toujours contre la réalisation à travers le Kochersberg (fin prévue des travaux : l’année prochaine ou début 2022) du contournement autoroutier (à péage !) de Strasbourg dit « GCO – Grand Contournement Ouest », mais aussi contre l’aménagement et l’extension en cours de la zone commerciale Nord (« ZAC – Zone à Aménagement Concerté » dite de Vendenheim), immense chantier combinant logements, commerces, infrastructures, loisirs sur une surface passant de 100 à 150 hectares où on compte sur la création, à terme, de… 1.200 emplois supplémentaires.

Un moratoire pour les zones commerciales. – En réponse à la Convention Citoyenne, le Conseil de Défense Ecologique avait décidé un moratoire pour la création de nouvelles zones commerciales en périphérie des villes, les Préfets étant invités à surveiller – éventuellement à bloquer – les projets. La situation de l’emploi a sans doute été décisive dans le fait qu’il n’y a pas eu de gel des autorisations de construction d’entrepôts de vente en ligne du type Amazon. L’étude des décisions à prendre va relever d’une mission parlementaire qui va examiner « le problème en passant notamment en revue l’ensemble des dispositions notamment fiscales qui encouragent l’étalement urbain. »

La « Fédération des Amis de la Terre », regroupant une trentaine d’associations dans le monde, née aux Etats-Unis en 1969 puis en France l’année suivante, a souligné (Le Monde du 29.07) : « Le Conseil valide le moratoire sur les zones commerciales, mais n’acte rien concernant les entrepôts d’e-commerce. Une décision incohérente alors que les entrepôts artificialisent autant de terres que les zones commerciales et que le commerce physique traverse une crise sans précédent. »

L’artificialisation n’est désormais plus un objet d’études entre spécialistes, elle a gagné l’espace public : les pouvoirs publics devront trancher. Au cœur des décisions, il y aura sans doute ce vœu exprimé par la Convention Citoyenne en faveur d’une « Ville compacte plus végétale avec plus de commerces de proximité ». Un vœu qui n’échappera pas à ce constat : « construire sur les friches coûte souvent bien plus cher que construire sur un champs ! » En attendant les projets du type « Amazon – Ensisheim » seront-ils gelés jusqu’aux conclusions de la mission parlementaire voire jusqu’au dépôt d’une proposition de loi qui pourrait être examiné en Conseil des Ministres d’ici à Novembre pour être soumis au Parlement dans la foulée ?

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste