Brexit : pourquoi il ne faut pas pleurer !

Alain Howiller explique son point de vue sur la sortie de la Grande Bretagne de l'Union Européenne.

C'était la crème de la crème britannique qui avait voté pour le Brexit... Foto: Julian Stallabrass from London, UK / Wikimedia Commons / CC-BY 2.0

(Par Alain Howiller) – Dans le concert de lamentations qui accompagne le Brexit, je me permets de cultiver, ici, ma petite dissonance. Pour une fois, je préfère invoquer, en l’occurrence, Karlheinz Stockhausen, découvert à « Musica », le festival des musiques d’aujourd’hui à Strasbourg, que le Requiem de Mozart ! Certes, j’ai éprouvé une immense tristesse lorsque j’ai vu danser, au pied de Big Ben, des « Brexiteers » haineux essuyant leurs chaussures sur le drapeau étoilé de notre Europe maintenue.

Mais pourquoi tant de haine chez ces acteurs d’un « blitz » londonien détourné ! J’ai tendu l’oreille, redoutant d’entendre des extraits du poème de cet auteur… écossais qui en 1740 écrivit, s’adressant à une Grande Bretagne mythifiée : « Tu t’épanouiras, grande et libre, dans la crainte et le désir de tous… Les Bretons jamais, jamais ne doivent être esclaves… » Finalement, ce « Rule Britannia », souvent encore chanté les soirs de victoire sur les terrains de rugby, je ne l’ai pas entendu : il est vrai que, dans l’après-midi, les rugbymen français avaient battu l’Angleterre !

Je n’ai pas exulté pour autant, mais je n’ai pu m’empêcher de penser à l’ancien député européen Alain Lamassoure qui qualifiait les Britanniques « d’emmerdeurs permanents depuis 1973 »(1), l’année où la Grande Bretagne, avec l’Irlande et le Danemark, avaient rejoint – faute de mieux pensaient-ils – ce qu’on appelait encore le Marché Commun Européen.

Quand la Grande Bretagne crée une concurrence européenne ! – Les Britanniques, pourtant, avaient tout essayé : du débauchage tenté sur les membres de la communauté européenne jusqu’à la création, en 1959, d’un concurrent, « l’Association Européenne de Libre Echange » (AELE). L’Association (dont la Suisse et le… Liechtenstein feront partie) s’écroulera après l’entrée de la Grande-Bretagne et de l’entrée de la plupart des membres de l’AELE dans l’Union Européenne. Elle cherchera à deux reprises à entrer dans l’UE : bloquée par le Général De Gaulle, elle finira par adhérer, du bout des lèvres, à l’Union Européenne, grâce notamment à… Georges Pompidou !

Aux « Brexiteers » de Big Ben qui clamaient « Adieu l’Europe », on pourrait rappeler que la Grande-Bretagne n’a pas quitté l’Europe, mais qu’elle a décidé de quitter l’Union Européenne, sans pour autant quitter le Conseil de l’Europe dont elle est un membre fondateur : elle avait, alors, été encouragée par Winston Churchill qui, dans un discours resté fameux, prononcé depuis le balcon de l’Aubette sur la place Kléber à Strasbourg, avait plaidé pour une union européenne après avoir appelé de ses vœux la création des… « Etats Unis d’Europe ». C’était à Zurich ! Cette adhésion n’a pas empêché la Grande- Bretagne de dénoncer, au nom de sa sacrée souveraineté nationale, la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Emanation du Conseil de l’Europe, la Cour sera sans doute, après le Brexit, la prochaine victime de la « furia inglese » contre l’Europe !

Les Eurosceptiques ? « Des connards » pour John Major ! – A ceux que le Brexit traumatise à l’excès, il n’est pas inutile de rappeler les nombreux bras de fer – gagnés pour la plupart ! – que nos amis britanniques(2) n’ont cessé de mener contre les institutions européennes auxquelles, pourtant, ils avaient librement adhéré. La guérilla sans fin mené contre la Cour Européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg n’est qu’un exemple parmi d’autres qui ont permis à la Grande-Bretagne de s’affranchir de l’Euro pour garder sa monnaie nationale, d’obtenir un rabais substantiel sur sa contribution aux finances de l’Union, de ne pas entrer dans l’espace Schengen, de mettre à deux reprises son veto à la désignation d’un président de la Commission Européenne… Sans oublier les interminables marchandages sur le budget européen : il a fallu beaucoup de courage et de ténacité à Pierre Pflimlin, alors Président du Parlement Européen, pour obtenir de Margaret Thatcher qu’elle adhère à… Erasmus !

Il est loin désormais le temps où un Premier Ministre britannique (John Major) traitait les « eurosceptiques » de « connards » et où un autre Premier Ministre (David Cameron qui organisera pourtant le referendum du Brexit !) affirmait que son pays voulait « rester dans l’Union Européenne, car nous sommes une nation de commerçants » ! Il reste maintenant cette année pour négocier ce que seront, après le Brexit, les relations Grande Bretagne/Union Européenne. « Tricky Johnson », pour reprendre le qualificatif dont on affublait Richard Nixon le « tricheur », va affronter, une fois de plus, Michel Barnier, l’élégant (on serait tenté de dire le « so british » !) négociateur européen. Les deux vont essayer de trouver un accord pour définir la manière concrète dont la Grande- Bretagne quittera l’Union tout en définissant les rapports que les « Britanniques » et les « Européens » auront dans le futur. Jusqu’ici, les Britanniques avaient gagné la plupart des bras de fer engagés contre l’Union Européenne : qu’en sera-t-il demain ?

Le « Commonwealth » au secours ? – Engoncé dans son espoir d’utiliser un « Commonwealth » (pourtant moribond) pour re-dynamiser l’économie britannique, soucieux de coopérer avec les Etats-Unis de Donald Trump qui voit dans le Royaume-Uni le porte-avion anti-européen dont il a besoin pour faire exploser ce champion du multilatéralisme qu’est pour le Président US l ‘Union Européenne, Boris Johnson fourbit ses armes. John Bull s’alliera-t-il avec l’oncle Sam, alias nouveau Captain America, pour peser sur l’Union Européenne ? Choisira-t-il de mettre en place à une encablure du continent une nouvelle Singapour, paradis fiscal créé pour nuire ? Boris Johnson salue  « l’empressement de nos amis du monde entier à entendre de nouveau notre voix indépendante dans les négociations de libre échange ». Il avertit : « Nous nous échauffons pour utiliser des nerfs, des muscles et des instincts que ce pays n’a pas eu à utiliser depuis un demi-siècle ! » Michel Barnier (est-ce rassurant ?) se contente d’affirmer, quant à lui : « [Nous voulons]… offrir à Londres, un accord très ambitieux comme pilier central de notre partenariat » !

Le Premier Ministre anglais s’est engagé à ne pas promouvoir de « concurrence déloyale » avec l’Union. Il ne suffira pas d’espérer qu’il tiendra parole, il faudra que les membres de la communauté européenne tirent, enfin, les leçons du Brexit pour éviter que demain, un autre pays ne soit tenté de suivre le chemin tracé par la dérobade britannique. Cela suppose que l’Europe retrouve ses valeurs, renoue avec ses racines, se réforme profondément pour retrouver la confiance des peuples. Si aujourd’hui, je ne pleure pas le départ des Britanniques, j’aimerais ne pas avoir à pleurer ni à la fin de cette année au vu des résultats des accords Johnson/Barnier, ni encore moins, au delà, en vivant l’avenir de l’Union Européenne. Cet avenir croisera peut-être à nouveau le chemin d’une Grande-Bretagne revenu dans la… Maison Commune. Le rêve fait aussi partie de la vie !

(1) Le Monde des 2/3 Février.

(2) Eurojournalist.eu du 26.07.2018.

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