La CEA : Laboratoire ou usine à gaz ?

Alain Howiller revient sur la création de la « Collectivité Européenne d’Alsace » (CEA) et il se pose des questions…

Brigitte Klinkert et Frédéric Bierry, les architectes principaux de la nouvelle CEA. Foto: Eurojournalist(e) / CC-BY-SA 4.0int

(Alain Howiller) – La « Collectivité Européenne d’Alsace » est donc en place : et maintenant ? L’entrée au gouvernement de Brigitte Klinkert, ancienne présidente du Conseil Départemental du Haut-Rhin, désormais fusionné avec le Conseil Départemental du Bas-Rhin, a évité que la réunion constitutive, à Colmar, de la nouvelle collectivité ne soit marquée par une querelle des chefs. Nommée Ministre déléguée à l’Insertion auprès de la Ministre du Travail et de l’Emploi, Brigitte Klinkert ne pouvait pas, en raison de son poste ministériel, se présenter à la présidence de la CEA, ce qui ouvrait un boulevard à l’élection de Frédéric Bierry, ancien Président du Conseil Départemental du Bas Rhin. Il sera élu avec 75 voix et 4 abstentions sur 79 votants (une élue -malade- étant absente).

Le résultat est intéressant à un double titre : il met en évidence que les 46 conseillers bas-rhinois et les 34 conseillers haut-rhinois ont voté ensemble, oubliant (pour le moment en tous les cas) les divisions politiques et les références départementales ! Il souligne une divergence entre les deux protagonistes qui jusque-là portaient ensemble le projet : Brigitte Klinkert ne figure pas dans les organes de direction de la CEA : « J’ai dit à Frédéric Bierry que j’étais disponible pour participer à ce collectif. Tel n’est pas le cas », a commenté sobrement la Ministre. Cette dernière avait plaidé pour une présidence tournante, alors que le président élu avait, lui, estimé que la première présidence de la CEA devrait s’inscrire pour la durée (6 ans) du mandat.

En attendant les prochaines élections départementales. – Cela étant, en attendant le résultat des prochaines élections départementales qui devaient avoir lieu en Mars, mais qui seront sans doute reportées au mois de Juin à cause de la crise sanitaire, Frédéric Bierry est président et s’il est réélu lors de la consultation électorale du printemps, il se succèdera sans doute à lui-même, Brigitte Klinkert ne pouvant toujours pas être candidate en raison de son poste ministériel. Les haut-rhinois et les bas-rhinois se retrouveront-ils, une fois encore unis derrière le candidat bas-rhinois ? Le prix à payer sera sans doute le fait que Colmar, capitale du Haut-Rhin, sera désignée comme… siège de la CEA ! La décision en irritera plus d’un Strasbourgeois alors que sa ville avait été désignée par ordonnance comme siège provisoire de la nouvelle collectivité.

Belle revanche posthume pour Gilbert Meyer, l’ancien maire de Colmar qui avait fait échouer le referendum d’avril 2013 sur la fusion des départements alsaciens, en argumentant notamment sur le problème du siège : il était relayé, alors, par son premier adjoint (aujourd’hui député de Colmar) qui avait cru devoir rappeler (à tort) qu’au quatorzième siècle(!), la « Décapole », regroupant dix villes impériales alsaciennes, s’était déjà faite contre Strasbourg ! La querelle rebondira-t-elle alors que Strasbourg, siège de la Préfecture de Région qui assurera le contrôle de légalité sur les actes de la CEA, est déjà le siège du « Grand Est », le regroupement intégrant l’Alsace qui a estimé avoir perdu sa « visibilité » en raison de son intégration dans l’ensemble régional créé, sans concertation aucune, par François Hollande !

L’exemple… corse ! – Difficile d’établir en un même lieu, le siège d’un ensemble dont les promoteurs de la CEA voulaient se distinguer et le siège de la nouvelle collectivité elle-même. D’autant que si la CEA a été créée pour satisfaire ce qu’on a appelé le « désir d’Alsace », les Alsaciens à plus de 80% -selon les sondages- veulent quitter le Grand Est pour retrouver une région de plein exercice… « Comme la Corse, mais sur le continent !… », disent les « séparatistes alsaciens ». En fait, le statut de la CEA, même intégrée au Grand Est, constitue déjà un exemple de cette différenciation que les pouvoirs publics laissent espérer en annonçant la future loi organique dite des « 3 D ». Le texte ouvrira aux collectivités un droit à des expérimentations en matière de « Décentralisation, de Différenciation et de Déconcentration ».

Déjà, au sein du Grand Est, la CEA qui dans son appellation, porte la mention de « collectivité européenne », outre la reprise des compétences des départements désormais fusionnées, sera, comme on le sait(1), « Chef de File en matière de coopération transfrontalière » : elle préparera un schéma de coopération transfrontalière(1).

Face à la Région Grand Est… – Elle interviendra dans la mise en œuvre du bilinguisme, de la langue et la culture régionale, pourra recruter des enseignants pour mener à bien cette mission. Elle aura à se définir par rapport aux ambitions affichées par la région Grand Est et son président Jean Rottner, très présent ces derniers mois, sur la scène politico-médiatique, notamment dans la lutte contre la crise sanitaire et à travers ses interventions auprès des responsables des zones frontalières allemande, belge, luxembourgeoise. Face à ce qu’on pourrait appeler un certain « activisme », la CEA devra se définir, se déployer : y compris dans deux domaines où elle entend avoir des compétences déjà reconnues à la région Grand Est : l’économie et la santé ! La CEA est en devenir : tout est à faire en évitant le danger de la naissance d’une nouvelle… « usine à gaz » !

Elle aura, enfin, une responsabilité particulière dans le renouveau de la démocratie : à travers la valorisation des territoires qui la composent et la création d’un conseil d’élus et de citoyens qui sera amené à juger des politiques suivies. Le grand chantier de la CEA est lancé : Bonne et Heureuse Nouvelle année !

(1) Voir eurojournalist.eu du 3.01.2021.

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