France – Allemagne : quand l’épargne menace la croissance !

Alain Howiller se pose la question – est-ce que l'épargne constitue un frein à la relance de l'économie en France et en Allemagne ?

Est-ce que l'écureuil peut aider ou freiner la reprise de l'activité économique ? Foto: User:R. Naumov / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Par Alain Howiller) – Par la force des choses, Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie et des Finances qui rêverait de succéder à Edouard Philippe, le Premier ministre, s’exprime souvent sur la santé économique du pays. Il y a peu, il a déclaré, mettant le doigt sur l’une des failles nées du Covid-19 : « Ce n’est pas d’épargne que nous avons besoin aujourd’hui pour notre économie, mais d’investissement. » Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau renchérissait en soulignant : « Le défi de l’après crise sera de donner aux Français confiance pour transformer l’épargne en consommation et donc en croissance ! » Dans une étude commentée par Michael Stappel, économiste à la « DZ-Bank » de Francfort-sur-le-Main, les auteurs ajoutent, comme un écho venu d’Outre-Rhin : « (à cause des restrictions de consommation liées aux mesures anti-Coronavirus)… le niveau de la consommation en Allemagne devrait baisser cette année de 2,8%… Cet effondrement de la consommation pourrait faire progresser le taux d’épargne des ménages allemands de 10,9% à 12,5%… ce qui serait le taux le plus élevé depuis 1992 ! »

Le « néo-confinement allemand » – En France, ce taux qui est, rappelons-le, le rapport entre l’épargne des ménages et leurs revenus disponibles, pourrait passer cette année, de 15% à un niveau se situant entre 17 et 20%. Commentant les chiffres d’avril de la collecte de l’épargne, Eric Lombard, directeur de la Caisse des Dépôts, a sobrement relevé que le « niveau atteint actuellement correspond à un niveau jamais atteint depuis la dernière crise (celle de 2008)… La collecte a été trois fois plus élevée qu’en avril 2019 ! » Et selon l’Observatoire Français des Conjonctures Economiques – OFCE : « Les ménages auraient économisé en moyenne… 230 euros par semaine à cause du confinement ! » Le « confinement français » et le « néo-confinement allemand » ont conduit les consommateurs à épargner et à mettre de côté l’argent qu’ils ne pouvaient ni investir ni consommer. L’achat de voitures, de vêtements, de biens ménagers, dépenses au restaurants, en loisirs, en voyages, vacances, hôtels, achats de biens immobiliers ont particulièrement souffert de la situation.

La perspective d’une montée du chômage de part et d’autre du Rhin et celle d’un recul du pouvoir d’achat risquent fort d’amener les consommateurs à ne se lancer qu’avec prudence dans des programmes de consommation et d’essayer de préserver ce qu’on appelle une épargne de précaution : c’est ce que redoutent aussi bien les acteurs produisant des biens ou des services. Est-ce révélateur d’un futur (au moins proche) que la fréquentation des points de vente ouverts à la suite des déconfinements était loin du rush de clientèle attendu et espéré ? Les 55 milliards d’euros que les Français ont thésaurisé selon l’OFCE vont-ils trouver le chemin de l’économie et apporter leur contribution à la reprise d’après-Covid-19 alors que 700.000 jeunes vont se présenter sur le marché du travail à la rentrée ?

Une récession historique attendue ! – Et vers quoi, par exemple, vont s’orienter les fonds que près de 30% des Allemands entendent laisser dormir, « pour le cas où… », sur leurs comptes courants et autres dépôts à vue en attendant d’en disposer ? La question mérite d’autant plus d’être posée que l’économie de nos pays risque de connaître, cette année, une récession historique : -7,7% de PIB dans la « zone euro », -6,5% en Allemagne et -8,2% en France. Des chiffres qui interpellent parce que nés d’une consommation qui ne se rattrapera pas et que la perspective d’un rattrapage en… 2021 ne tempère pas. Même si les prévisions de croissance seront significatives l’année prochaine : +6,3% de PIB dans la « zone euro », +5,4% en Allemagne et +7,4% en France !

Les prévisions d’évolution du chômage ont peu de chances de participer fortement à la mobilisation de l’épargne au profit d’une nécessaire croissance : évalué à 7,5% en 2019 dans la « zone euro », le taux de chômage passerait à 9,6% en 2020 et reviendrait à 8,6% en 2021, le taux français (8,2% en 2019) passerait à 10% cette année et à 9,7% en 2021 tandis qu’en Allemagne le taux (autour de 5% en 2019) passerait à 5,3% cette année et 5,5% en 2021. L’Allemagne, qui avait échappé de justesse à la récession deux années durant alors que la France connaissait un développement qui lui était supérieur, tirerait cette fois mieux son épingle du jeu que son voisin français.

Le poids des élections – Rien évidemment n’est joué surtout si les périodes électorales qui s’annoncent devaient ne pas participer au retour de la confiance vis-à-vis des décideurs en politique : la confiance en eux comme l’appréciation espérée des plan de relance d’après crise créeront le climat favorable nécessaire pour que l’épargne retrouve le chemin de la consommation et de l’investissement. En France, les rendez-vous électoraux sont proches : deuxième tour des élections municipales le 28 Juin pour presque 5.000 communes, sénatoriales fin septembre, élections départementales et régionales en Mars 2021. En Allemagne, élections locales dans le Land de NRW en septembre, renouvellement des parlements de plusieurs Länder dont le 14 Mars au Bade-Wurtemberg et en Rhénanie-Palatinat, élection en décembre du successeur de AKK à la CDU et, enfin, le 24 Octobre renouvellement du Bundestag.

« Il faudra prendre des mesures d’urgence pour libérer le trop plein d’épargne en canalisant cette manne vers l’investissement des entreprises, en réduisant la TVA dans certains secteurs frappés de plein fouet par ; la crise (hôtellerie, tourisme, restauration, automobile…) comme l’Allemagne l’a déjà fait en abaissant sur l’automobile le taux de TVA à 7% jusqu’en Juin 2021 ou en prolongeant le versement des primes pour l’achat d’une voiture électrique… », souligne (dans l’Express) Ana Boata, Directrice de la recherche macro-économique chez Euler Hermès, société française d’assurance appartenant au groupe Allianz. Les Français, champions d’Europe pour leur épargne, cèderont-ils aux sirènes des mesures que les pouvoirs publics leurs proposent ou vont encore leur proposer pour mobiliser les sommes dormant sur les comptes-courants ou placées, notamment, sur les « Livrets A » ou les « livrets de Développement Durable et Solidaires – (LDDS) » pourtant peu rémunérateurs des Caisses d’Épargne.

Ceux qui veulent consommer et… pas épargner ! – Si rien n’est sûr en France, en Allemagne, l’autre pays-culte de l’épargne populaire, il semble que la crise sanitaire pourrait faire évoluer les choses. C’est ainsi qu’une étude de « GoingPublic Redaktion » (Kapitalmarkt-Medien-Bourse Dusseldorf) évalue, à travers une série de sondages, les évolutions des approches des épargnants allemands. Sous un titre révélateur : « Corona verändert Sparverhalten der Deutschen massiv » (Corona change massivement l’attitude des Allemands vis-à-vis de l’épargne), l’étude souligne que les épargnants qui avant la crise avaient déclaré qu’ils maintiendraient en 2020 le niveau (élevé) d’épargne auquel ils étaient parvenus en 2019, révisaient leurs plans : 40% des sondés affirmaient même qu’ils épargneraient moins voire pas du tout au sortir de la période de Covid-19 ! » La volonté d’épargner s’effondre ainsi et de manière abrupte, « pour la première fois depuis trois ans ! », commente l’analyse de Svenda Liebig, directrice de la rédaction du site.

Elle relève, par ailleurs, que 45% des sondés ont adopté une attitude attentiste gelant leurs fonds devant les incertitudes de la situation. 39,6% des sondés (contre 48,7% en octobre dernier) ont, par contre, souligné qu’ils épargneraient davantage en 2020. Alors que l’année dernière, 14,6% des épargnants affirmaient vouloirs déposer de l’argent sur leur livret de Caisse d’Épargne, le chiffre est tombé à 10,6% ! Les sondés affirment à 27,9% vouloir laisser leurs fonds sur des comptes-courants (l’attitude est du même ordre en France).

L’épargne un… luxe ? – Enfin, si l’étude laisse entendre que l’attitude des épargnants se trouve à une sorte de carrefours qui pourrait aider à la reprise de la consommation rien, ici n’est encore joué. En effet, le nombre de ceux (10,4%) qui, en octobre 2019, affirmaient vouloir davantage consommer et moins épargner est tombé à 6,6%. Et le nombre de ceux qui souhaitaient (16,9%) placer leur argent en bourse malgré les risques de crash boursier a progressé à 19,2% !

Les semaines à venir vont être décisives pour la sortie de la crise sanitaire et la relance de l’économie:emploi et pouvoir d’achat seront au cœur des préoccupations. Plus que jamais, sans doute, se posera-t-on cette question dont, il y a quelques années, un candidat (SPD) à une élection à Aix-la-Chapelle avait fait le thème d’un discours électorale : « Il faut faire des économies, nous dit-on, il faut faire des économies : mais tout le monde n’a pas les moyens de faire des économies ». D’une certaine façon, en a-t-on plus les moyens aujourd’hui ?

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