Le gouvernement français veut définir une nouvelle politique des régions transfrontalières !

Est-ce que les nouveaux plans du gouvernement concernant les régions transfrontalières reflèteront les réalités sur le terrain ? On pourrait avoir un petit doute…

Oui, il y a de jolis exemples de la coopération franco-allemande comme le bateau franco-allemand des sapeurs-pompiers. Mais cela ne suffit pas encore. Foto: Kevin.B / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – Les responsables des Chambre de Commerce et d’Industrie de Perpignan (Pyrénées orientales), de Gérone et Lérida (Catalogne) ainsi que ceux de la compagnie consulaire d’Andorre ont lancé officiellement une « Chambre de Commerce et d’Industrie transfrontalière » baptisée « Pirineus Med » ! La structure (la deuxième du genre en France : la première ayant été créée, en 2010, sur le versant basque de la frontière franco-espagnole) veut développer les échanges, aider à la concrétisation des projets d’implantation de part et d’autre de la frontière, organiser des évènements promotionnels communs, faciliter la recherche de partenaires ou de distributeurs au profit des entreprises des sociétés membres. La mise en œuvre de ce projet souligne la diversité des liens transfrontaliers qui s’installent à nos frontières et ce n’est sans doute pas le moindre des paradoxes (à moins que ce ne soit, au contraire, un stimulant !) que de voir se développer ces formes de coopération au moment où certains songent à rétablir les… frontières !

Peut-être le « transfrontalier » est-il un de ces moyens prônés(!) récemment, à Strasbourg, par Michel Sapin et Wolfgang Schäuble (eurojournalist.eu du 19 Octobre) de relancer l’Europe en partant de la base ou peut-être aussi correspond-t-il à ce besoin de proximité qui s’incarne de plus en plus dans nos réalités quotidiennes pour mieux résister à une mondialisation débridée ? Elle pose en tous les cas le problème de la place et de la marge d’autonomie dont disposent les acteurs de l’approche transfrontalière : collectivités locales d’une part, services publics déconcentrés relevant d’un état centralisé d’autre part. Du moins, pour ce qui concerne la France, même si -contrairement à ce qu’on pense- l’état fédéral ne facilite pas obligatoirement les coopérations.

Le mauvais exemple du « Rhin  Supérieur » ! – L’exemple du Rhin Supérieur est significatif à cet égard : on se souvient que, soucieux de compléter la coopération symbolisée par la « Conférence franco-germano-suisse », issue d’un accord intergouvernemental, les élus et représentants des collectivités locales avaient créé le « Conseil Rhénan » où siégeaient les représentants politiques du Rhin Supérieur. Il aurait été logique de réunir représentants-élus et fonctionnaires dans un même organisme : malgré des années d’efforts, cela n’a jamais été possible. Le gouvernement français (et ses représentants locaux, pas toujours aussi bien disposés qu’on l’aurait souhaité !) n’y tenait pas invoquant les responsabilités régaliennes de l’Etat. Les services allemands n’y tenaient pas non plus car rapprocher élus et services publics d’état risquaient de porter atteinte au principe de séparation des pouvoirs tel qu’il était pratiqué Outre-Rhin !

Lors du séminaire organisé à Strasbourg, à l’ENA, sur le thème « La Région du Grand Est et ses voisins » (eurojournalist.eu du 9 Novembre), Jean-Christophe Baudoin, Directeur des stratégies territoriales au Commissariat Général à l’Egalité des Territoires (services du Premier Ministre) avait souligné que si le gouvernement n’était pas hostile à la coopération transfrontalière et s’il considérait que les conseils régionaux étaient au premier rang de cette coopération, l’Etat entendait être présent et s’attacherait à définir le cap à respecter, un cap soucieux de se mettre en place sur les principes de réciprocité, de loyauté.

Ne pas se contenter de placer es chômeurs au-delà de la frontière ! – Il s’agira, par exemple, d’éviter que s’établisse une coopération qui aurait le seul but de « placer » des chômeurs au-delà des frontières, sans que l’opération ne s’effectue, côté français, dans le cadre d’un accord global « donnant-donnant » entre les régions concernées. La coopération transfrontalière doit également s’inscrire en cohérence avec les politiques menées dans des régions non-frontalières pour éviter des écarts trop importants. Un discours qui avait interpelé les participants au séminaire, davantage soucieux de disposer d’une autonomie plus grande pour conclure avec leurs voisins !

Depuis cette rencontre à l’ENA, la « Commission  Nationale de la Coopération Décentralisée (CNCD) »(1) a approuvé, le 23 Novembre, le Livre Blanc « Diplomatie et Territoires » que lui avait soumis le Ministère des Affaires Etrangères (et non – curieusement- le Ministère de l’Intérieur!). Le document, à vrai dire assez étonnant, veut proposer les principes d’une « véritable stratégie pour la coopération transfrontalière » en visant à renforcer la mise en cohérence entre l’action diplomatique de la France et celle des collectivités territoriales, en articulant mieux les divers outils et institutions qui soutiennent l’action extérieure des collectivités territoriales.

Un « Livre Blanc »…. bien sombre ! – La « problématique transfrontalière », poursuit le livre blanc, « sera inscrite de façon systématique dans la coopération politique et économique bilatérale avec nos partenaires européens, en particulier à l’occasion des sommets annuels, dans le cadre des forums économiques…. Une stratégie transfrontalière  globale, déclinée également par frontière, visant des priorités claires à moyen et à long termes et une mobilisation des acteurs centraux et locaux, sera établie afin de mieux orienter les travaux des commissions bilatérales et le dialogue avec nos partenaires étrangers, en étroite concertation avec les collectivités territoriales et administrations techniques concernées. »

La coopération transfrontalière sera défini par « frontière », elle relèvera étroitement des préfets et des conseillers diplomatiques qui leur seront attachés. Ces derniers s’assureront que la stratégie définie s’inscrive en « cohérence » avec les Etats voisins. Des liens seront créés entre les conseillers et l’ambassadeur en poste dans le pays voisin et le conseiller (toujours au nom du Préfet) facilitera le lien entre les autres programmes ou politiques  nationales etc… « Au niveau de l’Etat », souligne encore le texte, « la mise en place d’un comité de pilotage interministériel de suivi des politiques transfrontalières avec l’appui de la M.O.T. (Mission Opérationnelle Transfrontalière) améliorerait la coordination des administrations centrales compétentes ».

Une « usine à gaz » de plus ? – Le moins qu’on puisse dire c’est que la définition des nouveaux principes illustre -si besoin en était- la capacité des administrations françaises à manier la langue de bois et à cultiver un irréalisme distingué ! Au-delà des principes, il faudra (et on mettra du temps pour  le faire !) définir les actions et affiner les structures pour les mettre en œuvre sur le terrain.

Aux anciens, ces dispositions rappelleront la manière dont a été redéfinie l’action des « Instituts Français » en Allemagne : leurs moyens ont été concentrés sur la capitale allemande et la plupart des « Instituts » ont disparu à moins que, comme à Fribourg ou à Karlsruhe, ils aient pu bénéficier de fonds privés, du soutien des régions ou municipalités françaises proches, voire de l’aide financière et matérielle des…. autorités locales allemandes ! Il serait étonnant que les principes ainsi définies correspondent aux vœux des collectivités locales pour qui la coopération transfrontalière doit relever de la proximité et disposer d’une marge d’autonomie qui s’accommode mal de l’autoritarisme tatillon des centralisme parisien et encore moins des effets d’un…. réseautage diplomatique !

Tant qu’à faire, on préfèrerait de « vraies usines » à ce type « d’usines à gaz » !

(1) Le CNCD est un « espace de dialogue et de concertation » entre l’Etat et les collectivités locales. On y trouve élus et représentants de l’Etat.

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