Le réalisme de Henry Kissinger

A 99 ans, l'ancien ministre des affaires étrangères a présenté un plan de paix pour l'Ukraine qui ne plaira pas aux Ukrainiens et pas non plus aux Européens. Pourtant, il est réaliste...

A 99 ans, Henry Kissinger est sans doute un "elder statesman"... Foto: LBJ Library / Wikimedia Commons / PD

(KL) – Aux Etats-Unis, l’évaluation de la situation en Ukraine est en train de changer. Face à une situation bloquée des deux côtés, les Américains estiment que ni les Russes, ni les Ukrainiens ne pourront atteindre leurs objectifs. Déjà en décembre 2022, le plus haut militaire américain, le chef de l’état-major Mark Milley, estimait que l’Ukraine ne pourra plus obtenir des victoires militaires et qu’il serait urgent de se remettre à la table des négociations. Pour ce faire, l’ancien ministre des affaires étrangères américain, Henry Kissinger, du haut de ses 99 ans, a présenté un plan de paix qui démontre beaucoup de réalisme et qui déplaira probablement aux Ukrainiens et aussi aux Européens qui continuent à s’auto-convaincre qu’une victoire militaire soit proche.

Au-delà du sloganisme et de la propagande des deux côtés, cette guerre est arrivé au point mort – les deux armées se livrent des batailles qui font penser aux batailles de la Somme et de Verdun lors de la Ie Guerre Mondiale. On sacrifie des dizaines de milliers de vies pour gagner quelques mètres de terrain qui en plus, n’ont aucune signification pour la suite de cette guerre.

Que propose Henry Kissinger ? Dans un premier temps, le plan prévoit de « geler » le font, le long de la ligne du Donbass, au niveau qui était en vigueur le 24 février 2022, le jour de l’invasion russe. Un cessez-le-feu devrait ouvrir la voie vers des négociations. Toutefois, Kissinger prône la poursuite des sanctions pour maintenir la pression sur la Russie. Selon Kissinger, il n’y a plus moyen pour que l’Ukraine puisse récupérer le Donbass et la Crimée, mais en échange, Kissinger propose que l’Ukraine puisse adhérer à l’OTAN, ce qui augmenterait la sécurité de ce qu’il restera de l’Ukraine.

Si le « Plan Kissinger » ressemble beaucoup au plan de paix italien présenté il y a déjà quelques mois, il y a un changement fondamental de la position américaine. Les Américains, contrairement aux Européens, sont en train d’abandonner la propagande guerrière occidentale qui veut que l’Ukraine jettera sous peu, les Russes hors du pays. Pourtant, il est évident que les Russes ne partiront plus des territoires occupés, et on voit qu’il sont prêts à sacrifier des dizaines, des centaines de milliers de jeunes dans cette guerre.

Dans une situation où l’armée russe ne peut plus espérer de gagner d’autres territoires et se limite ces dernières semaines à bombarder et détruire d’autres ville ukrainiennes qui se trouvent loin du front, comme Lviv, Dnipro ou Kiev, à un moment où, depuis la libération de Kherson, l’Ukraine va de défaite militaire à défaite militaire, il convient d’évaluer la situation avec du réalisme, comme le fait Henry Kissinger. Des slogans du genre « avant la fin de l’année, on aura jeté les Russes hors du pays », ne servent pas à grande chose lorsque l’on sait que ce ne sera pas le cas.

Pour l’Ukraine, se posera une question difficile. Est-ce qu’il faut accepter la perte d’environ 15% de son territoire (déjà occupé par la Russie) pour assurer l’avenir de 85% du pays sous la protection de l’OTAN ? Où est-ce qu’il faut poursuivre une guerre meurtrière qui se soldera par la destruction du pays (qui est déjà en cours) et la mort d’une partie de la jeunesse du pays ? C’est difficile à admettre, mais l’Ukraine ne gagnera pas cette guerre et l’espoir que l’OTAN envoie des troupes pour essayer de battre la Russie dans une IIIe Guerre Mondiale, est vain. L’OTAN n’enverra pas de troupes, et avec les armes et l’argent fourni par l’Occident, l’Ukraine ne pourra que faire durer cette guerre, sans pouvoir la gagner.

Henry Kissinger, lui, aura tout vu. Né en Allemagne, il avait rejoint l’armée américaine après la guerre, avant d’entamer une carrière extraordinaire au sein de l’administration américaine. S’il avait joué un rôle peu honorifique dans la Guerre du Vietnam, il avait aussi obtenu le Prix Nobel de la Paix pour ses interventions diplomatiques dans le conflit du Moyen Orient et après avoir activement participé dans différents rôles à toutes les guerres de la deuxième moitié du siècle dernier, on peut considérer que l’homme sait de quoi il parle. Le 27 Mai prochain, Henry Kissinger soufflera ses 100 bougies – le plus beau cadeau que l’on pourrait lui faire, ce serait la fin de cette guerre qui ne mènera nulle part. Espérons qu’il soit entendu…

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste