Les Olympiades, une comédie sentimentale à la Jacques Audiard

Esther Heboyan présente un film qui faisait partie de la sélection officielle du dernier Festival de Cannes. Une trouvaille...

... et le banal devient beau... Foto: ShannaBesson / Memento Distribution

(Esther Heboyan) – On badine beaucoup avec la sexualité et l’amour dans le dernier film de Jacques Audiard, Les Olympiades, présenté au Festival de Cannes en juillet 2021. Emilie (Lucie Zhang) badine avec Camille (Makita Samba) qui bientôt se met à badiner avec Nora (Noémie Merlant) qui, à son tour, badine avec Amber (Jehnny Beth). Une grande légèreté traverse le récit, symptomatique de notre époque où les rencontres amoureuses sont affaire d’applications et de chatrooms. Mais ces trentenaires parisiens, interprétés par trois actrices et un acteur d’une force et d’un naturel époustouflants, ne font pas que badiner. Ils sont vulnérables, solitaires, incompris ou moqués par leur entourage, parfois perdus au milieu des tours d’immeubles et sur leur lieu de travail ou dans un amphithéâtre d’université.

Ils sont surtout dans l’attente de l’accomplissement d’eux-mêmes, par-delà leur place dans la famille et leur statut social en tant que serveuse de restaurant asiatique, professeur de lettres à Ivry, conseillère immobilière arrivée de province et cam-girl désinhibée. Aucun d’eux ne semble vouloir tenir son rôle indéfiniment et chacun glisse d’une identité à l’autre, qu’elle soit sociale, amoureuse ou amicale.

Les relations se nouent et se dénouent. La caméra filme de très près les visages, les corps, des fragments de corps qui s’entrelacent. La nudité récurrente et le grain de la peau se déclinent dans une chorégraphie en noir et blanc et une seule fois en couleur. Il y avait beaucoup de nudité dans la sélection du Festival de Cannes 2021. Le film d’Audiard ne fait pas l’exception, ne fait pas scandale. Par ailleurs, les protagonistes parlent énormément, commentent et jugent. Ils sont à la recherche de quelque chose qui leur échappe encore. En coadaptant, avec Céline Sciamma et Léa Mysius, les trois bandes dessinées « Amber Sweet », « Tuer et mourir » et « Escapade hawaïenne » de l’artiste américain Adrian Tomine, Audiard dit avoir été inspiré par Ma nuit chez Maud (1969) d’Eric Rohmer.

Cette quête à la fois charnelle et verbale/verbalisée de l’amour fait songer à Annie Hall (1977) de Woody Allen. Dans un registre plus comique, on songe à Rendez-Vous (The Shop Around the Corner, 1940) d’Ernst Lubitsch. Les Olympiades fait le portrait d’une génération de jeunes adultes qui semble vouée à l’éphémère, à la futilité, au culte de soi, mais qui ressent profondément la gravité de l’échec, de la maladie et de la mort. La modernité du récit est dans le fait de ne pas s’attarder sur les moments vides, d’autres trop douloureux, de l’existence. Le film n’est pas tout à fait une fable moralisatrice, mais Audiard nous suggère de tourner les pages de la vie, l’une après l’autre.

Et pour ce faire, le réalisateur nous amène sur la dalle des Olympiades dans le XIIIème arrondissement de Paris, entre la rue de Tolbiac et l’avenue d’Ivry. Audiard connaît bien le treizième arrondissement où il a longtemps vécu. Il définit le quartier des Olympiades comme un espace urbain moderne, « très original, exotique, vivant, socialement et culturellement mélangé ». Ce mélange des populations et des individus fait partie du paysage français. C’est une constante dont Audiard ne fait pas cas. Il ne construit pas d’intrigue dramatique à partir des différences de couleur de peau, d’origine ethnique, d’histoire culturelle. Les Chinois parlent français et chinois, et c’est comme ça. Une jeune femme franco-asiatique tombe amoureuse d’un jeune français Noir, et c’est tout.

Ce qui intéresse Audiard, c’est l’interaction des individus au hasard des chemins qui se croisent, des rames de métro qui filent, des portes de bureau ou d’appartement qui s’ouvrent et se referment, des écrans d’ordinateur qui s’allument et s’éteignent. Loin de toute fatalité, Audiard explore des instants ou des prouesses de vie au pied des immeubles, en haut des escaliers de la dalle, dans les allées d’une supérette, entre les tables d’un restaurant, sur un canapé de salon, dans le local des poubelles.

Le quartier des Olympiades se laisse filmer comme un microcosme de promesses, se laisse presque sublimer, de nuit comme de jour. Les contre-plongées des tours, dont chacune porte le nom d’une ville olympique – Athènes, Sapporo, Mexico, Tokyo, Helsinki… –, font de la ville un lieu d’entrain, d’impulsion, d’envolée. On aurait pu s’attendre à de l’uniformité dysphorique, à de la grisaille déshumanisante. Rien de tout cela. Malgré une lumière blanche quasi permanente qui enveloppe les intérieurs et domine le bitume comme pour créer une vacuité, il y a du mouvement dans l’air et l’espoir de défis à inventer. La musique électro de Rone illustre, soulève ou heurte les images urbaines. Audiard écrit là sa partition de la ville en ses bruits et silences, offre une rhapsodie visuelle en noir et blanc où le banal devient beau.

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