L’idéal : un film délicieusement ignoble… ou ignoblement délicieux.

Frédéric Beigbeder a porté son roman « Au secours pardon » à l'écran. Nicolas Colle l'a rencontré pour Eurojournalist(e).

Frédéric Beigbeider a porté son roman "Au secours pardon" au grand écran. Foto: Légende Distribution

(Par Nicolas Colle) – Après avoir exploré les vices et les travers de l’univers publicitaire dans son roman à succès, « 99 francs », lequel a d’ailleurs été brillamment transposé sur grand écran par Jan Kounen en 2007, Frédéric Beigbeder adapte, cette fois-ci, lui-même, son roman « Au secours pardon », suite dudit « 99 francs ». Il nous offre là une comédie jouissive sur les contradictions et les folies du monde de la mode. Nous avons eu le plaisir de partager un moment savoureux avec cet homme haut en couleur, d’une intelligence incisive et qui sait rire, sérieusement.

Votre film est très proche de l’esprit de « 99 francs » mais il s’en démarque néanmoins. Ce n’est pas nécessairement une suite directe. Notamment parce qu’il ne traite plus du même univers, la mode ayant remplacé la publicité mais aussi parce que le seul personnage faisant le lien entre les deux films n’est autre que votre personnage principal, Octave Parango, interprété ici par Gaspar Proust et non plus par Jean Dujardin…

Frédéric Beigbeder : Oui parce que presque dix années ont passé et que je suis très ami avec Gaspar avec qui j’avais déjà tourné « L’amour dure trois ans », mon premier film. Mais j’adore le travail de Jan Kounen et je trouve que son film était à la fois spectaculaire et ludique donc je voulais rester dans cette ambition visuelle, avec beaucoup d’inventivité et d’effets spéciaux, en m’inspirant notamment de l’esthétisme des clips publicitaires haut de gamme car l’idée était de se moquer de la mode avec ces propres armes. Mais le fait d’adapter mon roman m’a surtout permis de faire mon autocritique car je dois vous avouer que j’éprouve parfois une certaine culpabilité en participant moi-même à ce système de la mode, puisque j’ai fait de la pub, de la télé et qu’aujourd’hui, je suis rédacteur en chef du magazine « Lui ». Et puis, j’avais l’impression de ne pas avoir tout dit avec « 99 francs » car je m’attaquais surtout à la publicité alors que « Au secours pardon » traite du fait que la société utilise le corps humain pour cacher la réalité sociale. Actuellement, en France, nous sommes dans une situation presque insurrectionnelle, avec de nombreux citoyens qui souffrent mais que l’on cache avec des jolis visages de jeunes filles de quinze ans. J’ai écrit ce livre car j’avais envie de décrire et de contester le système dans lequel je suis et je l’ai adapté avec le même état d’esprit. Même si j’ai un peu édulcoré car le roman était sombre et pessimiste or je voulais faire un film qui puisse faire rire du pouvoir et qui soit une satire, une tragi-comédie, tout en restant un divertissement.

Vous montrez bien à quel point tout cela est paradoxal car, si on ne peut qu’être horrifié par le traitement réservé à ces jeunes filles, il y a aussi quelque chose de fascinant à voir toutes ces belles femmes nues se trémousser partout… On n’est pas de bois après tout…

FB : Le film est exactement à l’image de votre réaction et de ce que j’éprouve moi-même. Je suis en permanence torturé entre mon attirance pour ce monde glamour dans lequel je me vautre avec délice et un sentiment de culpabilité, de honte, parfois de révolte et de colère car je vois des choses excessives qui peuvent être destructrices non seulement pour notre société mais aussi pour moi-même car je m’abime là-dedans. J’ai lu récemment une strophe de Baudelaire dans un article du « Monde » qui est la réponse parfaite à ce que vous dîtes : « Je suis la plaie et le couteau ! Je suis le soufflet et la joue ! Je suis les membres et la roue ! Et la victime et le bourreau ! ». Donc j’essaie de contribuer à changer un peu les mentalités. Si une seule adolescente ayant vu mon film, se met à regarder autrement les affiches sur les abris bus, en se disant que les filles que l’on voit dessus n’existent pas, qu’il s’agit d’un masque, d’un déguisement, qu’il ne faut pas obéir aveuglément à tous ces modèles et que le bonheur n’est pas de leur ressembler, c’est que j’ai gagné mon pari.

Vous voilà un tant soit peu moraliste ? Mais surtout lucide… Ce qui est d’autant plus hallucinant et que je ne savais pas du tout avant de voir votre film, c’est que la plupart de ces filles sont MINEURES…

FB : Nous vivons dans une société qui passe son temps à nous faire ce que les psychiatres appellent des injonctions paradoxales. C’est à dire à nous faire désirer quelque chose tout en nous l’interdisant. Il est évident que coucher avec un enfant est quelque chose d’abominable mais dans ce cas, pourquoi toute l’industrie cherche à nous donner ce désir là ? Nous sommes vraiment dans une société de vampire. C’est d’ailleurs l’idée de « The Neon Demon », le nouveau film de Nicolas Winding Refn, actuellement en salles et qui montre bien à quel point nous cherchons à nous nourrir constamment de la jeunesse afin de mieux rester jeune. La plupart des mannequins démarrent leur carrière à quatorze voire à treize ans. Il existe bien une réglementation mais elle est très peu respectée. Et puis les castings sont bien plus horribles que ce que je montre dans le film car les filles viennent d’Ukraine, de Slovaquie, de Russie et ne comprennent pas un mot de français, du coup les directeurs de casting s’amusent à commenter leur physique avec mépris sans qu’elles comprennent quoi que ce soit. Et sur 100 filles castées, il y en a 99 qui vont rentrer chez elle après avoir fait un seul tour de piste. Tout ce qu’on peut leur souhaiter à celles là, c’est d’épouser un riche (Rires).

Comment expliquez vous que les filles de l’Est soient davantage mises en valeur que les autres ?

FB : Toutes les époques ont eu leur mode. Dans les années 70, c’était celle des Nordiques. Puis ça a été celle des Américaines dans les années 80 et à partir de la chute du mur de Berlin, c’est devenu celle des filles de l’Est. C’est une question de photogénie, de pommettes saillantes, de visages slaves mais il y a également quelque chose d’un peu raciste. Ce sont des filles blanches et blondes aux yeux bleus. C’est terrifiant de constater que les grandes marques aiment nous imposer des modèles qui étaient tout à fait dans les goûts d’Adolf Hitler. Quand vous feuilletez les magazines de mode, vous voyez très peu de noires, d’arabes ou de métisses. D’ailleurs, avec « Lui », nous avons fait une couverture avec Naomi Campbell et plusieurs personnes m’ont fait remarquer que si je mettais une noire en première page, ça n’allait pas se vendre. Or il s’agit d’un de nos numéros qui s’est le mieux vendu. Donc toutes ces autocensures reposent sur des préjugés qui s’avèrent complètement faux.

Il y a autre chose de paradoxal, c’est que c’est un univers très sexuel et dégradant pour les femmes mais pourtant, dans votre film, la marque « L’idéal » est aux mains de deux femmes…

FB : Les femmes sont souvent les plus misogynes. Dans ce milieu, les propos les plus dégradants que j’ai pu entendre étaient prononcés par les femmes elles-mêmes. C’est aussi une réalité du monde du travail où on ne considère pas toujours ses collègues et ses salariés comme des êtres humains. Et puis il y a aussi un problème d’irresponsabilité. Les politiques prennent soin de leur image car ils savent qu’ils sont exposés au jugement et au vote mais quand vous êtes dirigeant d’entreprise, vous ne pensez pas être responsable vis à vis du peuple, vous prenez des décisions chaque jour, en vase clos, sans avoir à vous préoccuper du bien être de chacun. Les seuls comptes que vous ayez à rendre, c’est si les consommateurs boycottent la marque ou si les ventes baissent…

Ou si une de vos égéries publie une vidéo à scandale sur le net comme vous l’avez mis en scène…

FB : (Rires) En fait ce qui m’amuse c’est surtout que dans les semaines qui suivent ce genre de scandale, vous avez toujours la pauvre personne qui vient s’excuser dans les médias et c’est presque pire. Quand j’ai vu DSK demander pardon au journal télévisé, ça a été horrible à regarder. Je me demande ce qu’il y a de pire dans notre société : montrer du doigt les travers des gens ou les forcer à venir faire pénitence. Ça me choque presque plus.

Et bien sûr, comble de la décadence, vous filmez une fête chez un oligarque russe où les nains de jardin sont vivants…

FB : Ça va peut être donner des idées à des milliardaires (rires). Plus sérieusement, c’est inspiré d’une histoire que j’ai entendue, comme quoi, dans la magnifique propriété des Rothschild, un type était payé pour être, toute la journée, sur une barque au milieu de l’étang qui se trouvait dans leur jardin. Tout ça parce que c’était joli et que ça faisait comme un tableau. Nous savons qu’il y a une extrême minorité de gens qui possède une grande majorité des richesses et qu’est ce qu’ils en font ? Des conneries de ce genre là tellement ils ne savent plus quoi en faire. Quand tu as dix villas dans le monde, trois yachts et cinq jets privés, plus rien ne t’amuse. Donc la dépravation des riches devrait nous dégouter de l’argent. C’est la preuve que ce n’est pas ça qui fait le bonheur puisque tu en viens à faire des conneries pareilles.

Mais heureusement, cher Frédéric, votre film nous rappelle quelles sont les vraies valeurs. Et sans moralisme aucun. Enfin presque. Merci de vous être prêté avec cette gentillesse souriante et cet humour caustique à cette interview.

« L’idéal » sera dans vos salles de cinéma à partir du mercredi 15 juin.

Lien youtube de la bande annonce.

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