Macédoine : c’est important, un nom

« Macédoine du Nord » : furor !

La course des tortues, Macédoine, début du 20e siècle Foto: G. Garitan / Wikimédia Commons / CC-BY-SA PD

(Marc Chaudeur) – Dimanche dernier, une importante manifestation a eu lieu à Athènes : plus de 80000 manifestants ont défilé dans les rues de la capitale grecque. Ils protestaient contre le nouveau nom que les autorités sociaux-démocrates de la République de Macédoine, qui faisait naguère partie de la Fédération yougoslave, lui ont donné. « Macédoine du Nord » : une concession majeure à la Grèce. Mais au pays du Logos, les choses sont plus complexes…

La manifestation de dimanche réunissait une bonne partie de ce que la Grèce compte comme ultra-nationalistes fanatiques, et une foule de citoyens lambda échauffée par la presse de caniveau.

A distance, cet antagonisme peut paraître surprenant. Mais il recouvre bon nombre des sédiments qui donnent l’impression fréquente, quand on se trouve dans les Balkans, de chevaucher un baril de poudre en tenant une boîte d’allumettes entre les dents. Dimanche, une trentaine d’individus très méchants ont affronté les policiers en leur lançant des projectiles ; ils ont essayé de pénétrer dans les bâtiments du Parlement. Beaucoup d’observateurs y ont reconnu des militants d’Aube Dorée, le mouvement néo-nazi qui en ce moment, est pourtant plutôt en perte de vitesse.

Mais pourquoi tant de haine ? Pourquoi le nom « Macédoine » déclenche-t-il une telle violence ? En réalité, si cette semaine, jeudi précisément,le Parlement grec ratifie la nouvelle appellation de l’ancienne République, il s’agira de l’aboutissement heureux d’un demi siècle de querelle.

Au fond de cette querelle, une très ancienne rivalité entre hellénité et slavité, sur fond de différenciation au sein de l’Empire ottoman. Une différenciation très marquée sur le plan religieux : Byzance, orthodoxie et islam. Et ensuite, par la formation des Etats-nations : la Grèce, l’Albanie, la Serbie, la Bulgarie, et plus tard, la Yougoslavie. Pays sans industrie, la Macédoine est longtemps demeurée pauvre. Son histoire est mouvementée, et son territoire, longtemps incertain : au début de l’époque moderne, il englobe une partie de la Bulgarie et de l’Albanie ; mais en 1912, le pays est partagé entre la Serbie, la Bulgarie et la Grèce.

Après 1945, Tito décide de fonder une République socialiste de Macédoine, qui après la dissolution de la Fédération yougoslave, devient la République de Macédoine tout court. Le problème, comme on l’a sans doute compris, est que la région grecque qui se situe immédiatement derrière la frontière revendique la même appellation… Autour de 1970, déjà, les Grecs ont commencé à revendiquer l’exclusivité du nom.

En substance, le problème tient à ce que le terme même de Macédoine est grec, que la région a été celle de l’une des figures – grecques – les plus géniales de l’Antiquité, Alexandre le Grand, qui en son temps, avait conquis un territoire s’étendant jusqu’à l’Indus, et de son père Philippe, un sacré gaillard lui aussi. Mais en face, les Macédoniens slaves du Nord fondent leur légitimité sur leur importance numérique et démographique, eux qui sont tout de même arrivés déjà dans la région au VIIe siècle. Il y a là aussi une certaine revanche sur 1912, où cette population a été éparpillée, nous l’avons dit, sur 3 Etats différents. Légitimité historique contre légitimité démographique : une situation assez analogue à celle qui a ravagé le Kosovo tout récemment. Il ne faut donc pas sous-estimer la gravité du ressentiment et de l’animosité qui chauffe les esprits aujourd’hui autour de Skopje.

Cela d‘autant plus qu’ en certaines configurations historiques, on a tenté de nier l’identité macédonienne. Pour les Grecs, grosso modo, un vrai Macédonien ne pouvait être que grec. Pour les Bulgares, en revanche, un Macédonien, c’est une sorte de Bulgare qui mange statistiquement moins de yaourt qu’ à Sofia. Les Albanais, eux, très nombreux en Macédoine, ne peuvent être tentés de s’assimiler les Macédoniens, parce que rien n’est comparable à un Albanais dans la Création divine. Tous se trompent, sauf les Macédoniens, bien entendu.

Depuis 1991, l’éclatement de la Fédération yougoslave et l’indépendance, deux grands partis dominent la vie politique : le VMRO-DPMNE (Organisation révolutionnaire macédonienne intérieure- Parti démocratique de l’unité nationale macédonienne). C’est un parti très ancien, nationaliste, assez pittoresque dans l’ensemble, qui s’est de plus en plus revêtu une peau d’agneau qui rappelle assez la CDU allemande, vitrine internationale oblige. Ce parti, au pouvoir dans les années 2006 à 2016, est celui qui a failli mener à bien la kitschisation psychédélique totale de Skopje, la capitale : des statues gigantesques de 25 m de haut ( du roi Samuel 1er, d’Alexandre le Grand que pour ne vexer personne, surtout pas le frère “ennemi” du Sud, on ne nommait pas…), et le projet cauchemardesque d’une statue de Mère Theresa de 35 m de haut ! Propos d’un jeune skopiote en 2014 : « Bientôt, ils vont prétendre que James Blunt est macédonien, et ils vont lui dresser une statue ! » Mais Nikola Gruevski, le dirigeant du parti, qui était devenu aussi le dirigeant du pays, a dû fuir son sweet home pour de graves raisons de corruption ; il a donc rejoint son excellent ami, le dirigeant nationaliste Viktor Orbán en Hongrie, où il coule des jours paisibles et assez berlusconiens, nous a-t-on dit.

Le second de ces partis dominants, c’est le SDSM, héritier du Parti communiste, mais qui a  fort bien négocié le virage social-démocrate. C’est le Président Zoran Zaev, dirigeant de ce parti et de la Macédoine, qui a permis le déblocage de la situation conflictuelle avec la Grèce en acceptant de renommer son pays : République de Macédoine du Nord. Décision ratifiée par le Parlement de Skopje le 11 janvier dernier, grâce à l’acceptation des 2 partis albanais, à une petite majorité de 81 voix sur 121. Albanais installés dans les frontières macédoniennes actuelles depuis très longtemps, et qui se sentent quelque peu négligés.

Quoi qu’il en soit, la situation est on ne peut plus favorable en ce moment, avec des dirigeants compétents et pondérés comme Alexis Tsipras en Grèce et Zoran Zaev en République de Macédoine du Nord. Au fond, que craignent les manifestants de dimanche dernier ? Sans doute la naissance et le développement d’une revendication rattachiste (pour utiliser le terme wallon…), puisqu’il existe bien une minorité macédonienne slavophone en Macédoine grecque. On avancera que la solution, ici comme partout où se pose ce genre de problèmes, c’est une décentralisation des régions à forte identité culturelle de part et d’autre. Mais hélas, l’habitus grec est très semblable à la mentalité historique française pour ce qui concerne décentralisation et fédéralisation…

Nous attendons donc avec impatience les résultats du vote au Parlement grec, jeudi prochain. Après -demain. Moment historique pour les Macédoniens, après tout des gens sympas.

 

 

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