Mehr Licht ! ou Itinéraire d’un enfant bâté (15)

La série hebdomadaire de Jean-Marc Claus - une vue très personnelle sur notre belle région transrhénane du Rhin Supérieur et - l'Europe. Notre Europe. (15)

Émile Erckmann & Alexandre Chatrian, par Auguste Bartholdi, 1872 (Musée Bartholdi Colmar) / Edelseider / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Jean-Marc Claus) – Sur son lit de mort, Victor Hugo affirmait « Je vois de la lumière noire », alors que dans la même situation, un demi-siècle plus tôt, Johann Wolfgang von Goethe s’exclamait « Mehr Licht ! Mehr Licht ! ». Je me suis trop longtemps réclamé du premier, tout en méprisant le second. Trop longtemps, c’est mon enfance, mon adolescence et une partie de mon âge adulte, période rapportée ici par l’ex-enfant bâté que je suis.

Épisode Quinze : Émile & Alexandre

Longtemps, je me suis couché de bonne heure, et endormi très tard, car lisant jusqu’à point d’heure. Ignorant si les fées se sont penchées sur mon berceau, mais préférant n’en rien savoir car en doutant très fortement, il est par contre une chose dont je suis certain : mes parents m’ont transmis très tôt le goût de la lecture. Transmis le goût de la lecture, mais aussi montré le chemin des bibliothèques et des librairies. C’est ainsi que j’ai rencontré, dès l’enfance, via la bibliothèque de l’école communale, un auteur au nom composé, dont il m’a fallu un peu de temps pour comprendre, qu’il s’agissait en réalité du tandem formé par Émile Erckmann (1822-1899) et Alexandre Chatrian (1826-1890). Le premier écrivait, alors que le second tenait un rôle d’éditeur, que certains veulent résumer à celui de simple VRP.

Sans être pour autant dans la même dynamique que Goscinny & Uderzo, il y avait néanmoins, en matière de création littéraire, une réelle collaboration entre les deux hommes. Mais une brouille, remontant à 1886 et se concluant devant les tribunaux, une quarantaine d’années de collaboration fructueuse, mit en 1889 un terme définitif à leur association. Association fragilisée par plusieurs maladresses, commises par Alexandre Chatrian, ce dernier allant jusqu’à traiter son ami de Prussien ! Un qualificatif odieux et particulièrement perfide car, ayant opté pour la nationalité française, mais ne se plaisant plus à Toul où il était depuis 1881, Émile Erckmann avait obtenu du Maréchal von Manteuffel, l’autorisation de rentrer à Phalsbourg, ville faisant partie depuis 1871 du Reichsland Elsaß-Lothringen.

Ainsi, le cliché voulant Émile à Phalsbourg et Alexandre à Paris ne tient pas car, si dans le parcours du second, Paris occupe une bonne place, la vie du premier ne s’est pas déroulée, comme voudraient le faire croire les biographies sommaires et caricaturales, essentiellement au sein de son village natal. En dehors de ses aller-retour à la capitale, Émile Erckmann demeura un temps en région parisienne, à Rosny-sous-Bois en 1854, puis à Raincy en 1869. Il voyagea dans l’Ouest de la France, après 1871 et s’installa à Saint-Dié-des-Vosges, entreprit un voyage en Égypte en 1873 dont il revint via la Grèce et l’Italie. Il déménagea de Saint-Dié-des-Vosges à Toul en 1881, pour revenir à Phalsbourg en 1889. La découverte de la complexité de leurs parcours de vie, notamment celui d’Émile Erckmann, me fit prendre conscience, bien des années après ma rencontre avec le tandem Erckmann-Chatrian, que l’Histoire et les histoires individuelles ne sont jamais simples.

J’ai gardé, de mes heures de lecture de leurs œuvres, un attachement sentimental au terroir et à la terre. Attachement qui faillit un temps me faire virer régionalo-nationaliste ou nationalo-régionaliste. Fort heureusement, le processus de réconciliation avec la langue et la culture germaniques dont je témoigne ici, m’a évité de succomber au chant des sirènes identitaires. Ceci dit, quand on lit aujourd’hui dans une certaine encyclopédie en ligne très, voire même trop consultée, qu’Émile Erckmann écrivait des « romans nationalistes d’inspiration régionale exaltant le sentiment patriotique » (sic), j’en reste coi. De même et à encore plus forte raison, quand d’autres sources font d’Alexandre Chatrian un vulgaire placier. Si je conserve une plus grande sympathie pour Émile, il n’en demeure pas moins que les deux hommes partageaient des convictions et des valeurs républicaines dont aujourd’hui, tant leur région d’origine, que notre pays et plus largement notre Europe, gagneraient tant à se rappeler qu’à mettre en pratique.

Fortsetzung folgt…

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