Mehr Licht ! ou Itinéraire d’un enfant bâté. (2)

La série hebdomadaire de Jean-Marc Claus - une vue très personnelle sur notre belle région transrhénane du Rhin Supérieur et - l'Europe. Notre Europe. (2)

Je représente souvent la confiance en soi comme un culbuto - vous savez, ces jouets dont la base arrondie est remplie de plomb. (Christel Petitcollin, Je pense mieux - Vivre heureux avec un cerveau bouillonnant, c’est possible !, 2015) Foto: RhinoMind / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Par Jean-Marc Claus) – Sur son lit de mort, Victor Hugo affirmait : « Je vois de la lumière noire. » alors que dans la même situation, un demi-siècle plus tôt, Johann Wolfgang von Goethe s’exclamait : « Mehr Licht ! Mehr Licht ! ». Je me suis trop longtemps réclamé du premier tout en méprisant le second. Trop longtemps, c’est mon enfance, mon adolescence et une partie de mon âge adulte, période rapportée ici par l’ex-enfant bâté que je suis.

Épisode Deux : Geboren unter einem Schirmecke

Je suis né sous un coin de parapluie, de parasol et aussi un peu de Paradis. Dans les années 1960, la Haute Vallée de la Bruche était encore dotée d’un service de maternité au sein de la clinique du « médecin bien aimé », c’est-à-dire St Luc. Plongé dès l’enfance dans la langue française et un patois vosgien alors en rapide voie d’extinction, j’ignorai très longtemps l’étymologie de ma ville de naissance prononcée tantôt « Chermek », tantôt « Chirmek ». Ce dont je n’avais cure car vivant à Hersbach prononcé tantôt « Hersbâhr », tantôt « Herspahr », tantôt « Herspâ », tantôt « Herchpô », l’inventaire de ces déclinaisons n’étant évidemment pas exhaustif. Tant de prononciations pour un même nom auraient dû me mettre la puce à l’oreille, mais, comme le dit si bien le proverbe : « On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. », « Même s’il a de grandes oreilles. », serais-je tenté d’ajouter !

Enclave francophone, incluse dans le Pays Welche allant de Lutzelhouse à Orbey, lui-même inclus dans l’Alsace allant de Wissembourg à Ferrette, la Haute Vallée de la Bruche était alors peuplée d’une majorité de francophones vivant dans nombre de localités aux noms à consonances parfois germaniques. Francophones dont nombre de patronymes avaient, comme le mien, une consonance germanique. A défaut de cultiver ouvertement ce paradoxe témoignant d’une évidente richesse, il était alors de bon ton de « choisir son camp », surtout à Schirmeck, ce qui aurait probablement fait bien rire Germain Muller, « Enfin… redde m’r nimm devun ! ». Ou plutôt si, parlons-en hic et nunc car en ces temps ci on ne causait pas vraiment de ces choses là. Héritage des Celtes refoulés par les Triboques d’Arioviste dans le massif vosgien lors de l’invasion de la Plaine d’Alsace, le parler de mes ancêtres s’est latinisé durant les siècles de la Pax Romana rendue possible par la victoire de Jules César sur Arioviste à la Bataille dite de l’Ochsenfeld en 58 av. J-C. Ce à quoi s’ajoutèrent d’autres éléments comme, par exemple, le repeuplement du Ban de la Roche par des Suisses et des Français dits « de l’intérieur », invités à s’y établir à l’issue de la Guerre de Trente Ans (1618-1648) durant laquelle les Suédois s’étaient consciencieusement appliqués à détailler en kits les populations locales. Ce parler roman qui donna naissance au patois vosgien aujourd’hui quasiment éteint a bercé toute mon enfance : les vieux causaient patois et français, mes parents parlaient français et basta. Nous étions des fondamentalistes fondamentalement francophones et francophiles. Quoique…

Quoique,… Pas si simple. Du côté maternel, c’était carré : 100% francophones. Du côté paternel, ça l’était moins : quand mon grand-père paternel a épousé une jeune femme instruite parfaitement bilingue (alsacien-français), née à Lutzelhouse, donc venant de la limite Nord du Pays Welche, sa mère, donc mon arrière-grand-mère, dit en patois vosgien : « Le Louis, il a marié une Allemande. » A ceci près que cette « Allemande » maîtrisait infiniment mieux le français que la mère de son mari qui ne s’était probablement jamais trop risquée à franchir les frontières du Pays Welche ! Du coup, ma grand-mère paternelle, née allemande en 1914 puis devenue française en 1918, apprit le patois roman en 1933 et, subissant la germano-nazification forcée de 1939, était quadrilingue le 25 Novembre 1944, jour de la libération de la vallée par les GIs de Schirmeck jusqu’au verrou d’Heiligenberg, alors que la 2ème DB du général Leclerc arrivée à Strasbourg deux jours plus tôt montait en reconnaissance jusqu’à Molsheim. Paradoxe, contradiction, non sense, nous n’étions pas à cela près, le déplacement des frontières au fil de l’Histoire ayant fait de nous des Culbutos. Vous savez, ces petites figurines dont la base est constituée d’une demie-sphère les faisant se balancer au gré des forces qui leur sont appliquées.

A suivre…

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