Pas si franco-allemand que ça…

Lors des «10e Rencontres culturelles franco-allemandes», le face-à-face entre l’économiste allemand Lars Feld et la députée française Valérie Rabault a surtout dévoilé les différences entre nos deux pays.

Le face-à-face entre la députée Valérie Rabault et l'économiste Lars Feld dévoilait des différences profondes entre les deux pays. Foto: Eurojournalist(e)

(KL) – Lors de la soirée d’ouverture des «10e Rencontres culturelles franco-allemandes» à l’Université de Freiburg, placées sous le titre «La bourse ou la vie», la députée PS Valérie Rabault, rapporteure générale de la commission des finances à l’Assemblée Nationale avait face à elle, l’économiste allemand Lars Feld qui lui, fait partie du conseil surnommé les «sages de l’économie», conseil composé de 5 experts qui conseillent le gouvernement allemand sur les questions d’économie. D’un côté donc le très libéral Lars Feld, une véritable «machine à chiffres», qui donnait des leçons sur le «modèle allemand» à la députée française, de l’autre côté la femme politique française qui elle, faisait surtout appel à des solutions qui devraient provenir de l’Europe.

Pour Lars Feld, il n’y a qu’une voie que l’on peut emprunter pour sortir des différentes crises – la politique d’austérité. Seulement, ce «modèle allemand» présente, lui aussi, des fissures. Le taux de pauvreté en Allemagne est, par exemple, supérieur à celui en France, les mesures dites «Hartz IV» qui effectivement avaient déclenché la reprise conjoncturelle en Allemagne, condamnent en même temps les chômeurs de longue date à rester dans la précarité et en dehors de ces considérations plutôt nationales, ce «modèle allemand» fait de nombreuses victimes «collatérales» dans les pays du sud de l’Europe.

Pour une Europe fédéraliste. – Valérie Rabault, elle, tente de défendre une vision plutôt européenne. En ce qui concerne le chômage des jeunes qui se situe aux alentours de 25% en France, elle prône des efforts solidaires au niveau européen. Interrogée par Eurojournalist(e), elle concède que seule une Europe fédéraliste pourrait apporter une solution durable, mais «cette vue n’est même pas majoritaire dans mon propre parti». Pour Lars Feld, la vision européenne se limite à l’approche allemande. Sa position est aussi claire que simple (et un brin arrogante) – il suffit que les états européens fassent comme l’Allemagne et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais c’est justement cette attitude qui fait peur aux partenaires européens. Une Europe «germanique», cela rappelle de mauvais souvenirs et à Valérie Rabault de tenter, presque timidement, un «nous n’avons pas la même histoire», mais l’économiste allemand reste insensible à un paramètre que l’on ne peut pas exprimer en chiffres.

Ce ne sont pas les points communs, des possibilités de progresser ensemble qui ressortent de ce débat hautement intéressant, mais au contraire, on commence à comprendre pourquoi le «moteur européen», le «tandem franco-allemand» est en panne, du moins en ce qui concerne la grande politique.

Approche allemande vs. approche européenne. – La différence est de taille et de mauvais augure pour l’avenir européen. Tandis que Valérie Rabault estime que sans politique commune au niveau européen, des problèmes de croissance, de conjoncture et d’emploi ne pourraient plus être résolus, l’expert allemand insiste que seule la voie allemande puisse aboutir.

Une position de Lars Feld mérite réflexion – pour stimuler le marché de l’emploi, il prône de faciliter l’accès au marché de l’emploi pour les jeunes et de ne pas se limiter aux seules mesures de qualification professionnelle. Même s’il ne le dit pas ouvertement, cela impliquerait nécessairement des programmes de l’état qui permettrait aux entreprises d’embaucher des jeunes. Mais Lars Feld qui par ailleurs, défend une position libérale qui limiterait au maximum l’ingérence de la politique dans le monde économique, évite soigneusement le terme «programmes financés par l’état»…

Le public comprend lors de ce débat de haute qualité que les points communs entre la politique française et la politique allemande sont trop peu nombreux pour pouvoir sérieusement envisager des approches franco-allemandes au niveau de la politique nationale. Le concept du «franco-allemand» ne semble fonctionner que dans notre région, à l’interface entre les deux pays où de nombreux projets concrets fonctionnent bien au niveau régional et local.

Nous sommes loin d’une démarche franco-allemande. – Et force est de constater qu’autant l’Allemagne que la France ne font pas beaucoup pour faire évoluer cette Europe dont tout le monde attend des miracles. L’Allemagne campe sur sa politique d’austérité qui produit un nombre incroyable de «laissés pour compte», autant dans les autres pays européens qu’en Allemagne, et les responsables allemands semblent rêver d’une Europe qui fonctionnerait selon ce «modèle allemand» qui ne tient compte que des seuls paramètres économiques, mais non pas des «valeurs humaines» comme la qualité de vie ou du vivre ensemble. En France, on n’arrive pas à s’accorder sur une vision européenne, même pas au sein du parti au pouvoir. Dans cette configuration, nous sommes loin de solutions franco-allemandes ou européennes.

Toutefois, mieux vaut s’en rendre compte que de continuer à mettre la tête dans le sable. Le «tandem franco-allemand» est un joli rêve qui pourtant, se situe loin des réalités. Une culture politique et économique différentes, des intérêts et ambitions politiques divergents, des problèmes qui ne sont pas non plus les mêmes – on voit mal comment nos deux pays pourraient agir comme «locomotives» pour l’Europe. Actuellement, l’Allemagne essaie de tirer le «train Europe» dans une direction germano-allemande, tandis qu’en France, un gouvernement ayant déjà échoué avant le terme de son mandat, tente de sauver les apparences. Pas très prometteur, mais mieux vaut se rendre à l’évidence que de continuer de rêver d’une Europe qui fonctionnerait sous une impulsion franco-allemande.

La soirée d’ouverture des «10e Rencontres culturelles franco-allemandes» était d’une qualité exceptionnelle et les organisateurs, l’Université de Freiburg, la ville de Freiburg, l’Institut Goethe, ARTE, la Fondation Entente Franco-Allemande, la LPB, la Fondation Friedrich Ebert, le Land Bade-Wurtemberg, le Centre Culturel Français Freiburg, le Kommunales Kino et le SWR avaient raison de l’organiser. Même si ce qu’on y a entendu n’était pas de nature à sabrer le champagne…

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