Pologne : Anniversaire à Gdansk

Exit le « socialisme » stalinien

A Gdansk, les chantiers navals "Lenine"... Foto: Obywatele4RP/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 3.0Unp

(Marc Chaudeur) – Hier, la Pologne, ce grand pays de 40 millions d’habitants, a célébré le trentenaire de ses premières élections libres (ou plutôt semi-libres…). En 1989, la population a plébiscité Solidarność et son dirigeant, Lech Wałęsa : aboutissement d’un mouvement sans pareil qui avait commencé en 1980, dans les chantiers navals de Gdańsk. Et ces élections venaient après les fameuses négociations « de la Table Ronde » entre le POUP (parti communiste) et le grand syndicat autogestionnaire. C’était le début de la fin du stalinisme, par le fameux effet domino. Dans tous les pays satellisés en 1945 par Moscou.

Hier, devant le Centre européen de Solidarité, Lech Wałęsa a déclaré devant une immense foule : « Ni le communisme, ni le capitalisme ne conviennent à notre siècle. Les peuples refuseront le partage des richesses tel qu’il s’effectue actuellement, et tel qu’il menace de se perpétuer. Alors, une espèce de Révolution d’Octobre pourrait éclater ! A moins que nous nous asseyions à table avec ceux qui détiennent ces richesses. » Et il a estimé, comme il le fait depuis 1989, que « notre génération a réussi quelque chose d’incroyable : elle a donné une nouvelle chance au monde – et cela, sans déclencher aucune guerre nucléaire ! »

Les négociations de la Table ronde, qui se sont tenues du 6 février au 5 avril 1989, ont abouti à l’élection de Solidarność le 4 juin, puis de Tadeusz Mazowiecki, un intellectuel catholique, un peu plus tard. Elles ont réuni entre 57 et… 350 personnes, réparties en groupes de travail. Elles sont cependant très controversées, au moins depuis les années 1990. Les politiciens et les historiens de droite affirment parfois avec véhémence que ces négociations n’étaient en réalité qu’une comédie, dont le dénouement était choisi à l’avance (et même, imposé par la police secrète « communiste ») : un marchandage dont les termes de l’échange étaient le pouvoir politique pour Solidarność contre le pouvoir économique pour les apparatchiks du POUP – qui allaient se reconvertir dans le capitanat d’industrie… Est-ce vrai, est-ce faux ?

En tout cas, ces négociations ont mené à des acquis immédiats considérables : 35 % du Parlement (la Diète) ouverts au libre suffrage, formation de la chambre haute (le Sénat) élue au suffrage universel, liberté de la presse, élargissement des autorisations des associations politiques…

Légende noire, légende blanche, légende grise : ceux là même qui ont exploité la première durant des décennies, se montrent parfois plus nuancés aujourd’hui. Le président PiS populiste Lech Kaczyński, par exemple. Il est vrai qu’il a été l’un des acteurs de ces tractations avec le pouvoir stalinien : il eût donc été absurde qu’il s’obstinât à apparaître comme un magouilleur peu scrupuleux, et non comme un acteur essentiel de la sortie du « communisme » ! Mais ce débat continue à enflammer les esprits polonais. Alors même que de façon surprenante, il n’existe pas de travaux historiques rigoureux sur le sujet : il « suffirait » pourtant de suivre l’empreinte de quelques personnages significatifs d’anciens apparatchiks et de tracer leur parcours…

Mais les Polonais ressemblent aux Français : ils aiment passionnément l’étripage politique. En l’occurrence, par journaux interposés : Gazeta wyborcza de gauche, Rzeczpospolita de droite. Peut-être cette polémique repose-t-elle en partie sur une certaine insatisfaction : celle de n’avoir pas mieux réussi en un premier temps la reconversion économique de la Pologne, qui pourtant, manifeste des réalisations remarquables.

Plus tard, la Pologne est entrée dans l’OTAN (1999), puis dans l’Union Européenne (2004). Elle est aujourd’hui gouvernée par le PiS, parti national-populiste conservateur. Pourquoi ?

Dans les phrases qu’a prononcées Lech Wałęsa hier, on reconnaît bien le catholique social des années 1980, le Prix Nobel qui exprime aujourd’hui sur son blog et sur facebook une vision très égalitaire de la communauté nationale ; le Walesa qui, lorsque le vénérable Solidarność a mis fin à la grève de « ses » enseignants l’hiver dernier, a écrit : «Nie ma ». (Il n’existe plus).

Mais sans doute le problème principal se situe-t-il ailleurs : dans la stagnation de la société polonaise, du moins jusqu’à une époque très récente. Et dans la division dichotomique de cette société : d’un côté, les conservateurs ; de l’autre, presque la moitié, ceux qui aspirent à des changements, à plus de légèreté et d’air frais. Ceux qui s’indignent lorsque le PiS censure une photo de femme mangeant de suggestives bananes ; ceux qui admirent Robert Biedroń et ses options gay, libérales et laïques.Ceux qui appellent à plus de retenue les catholiques traditionalistes qui explosent lorsqu’une artiste représente la Vierge noire de Częstochowa sur un fond LGBT arc-en-ciel.

Et les millions de personnes que deux films excellents sur la pédophilie des prêtres ont chamboulés. Wałęsa n’est pas de ceux là. Il continue à défendre la mémoire du Père Jankowski, le prêtre attitré de Solidarność dans les années héroïques, auquel il arrivait malheureusement d’avoir la main peu kantienne. Et lorsqu’une association laïciste de Gdańsk a déboulonné une statue à l’effigie de Jankowski cette année, Wałęsa a été l’un des premiers à protester…

Sans doute le malaise polonais est-il d’abord sociétal. La société polonaise nécessite peut-être d’importantes réformes. Cum grano salis.

 

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