Visegradia 2034

Le roi Victor 1er se souvenait de cette journée de voyage à Varsovie, le plus grand chef-lieu de son continent nouveau. C’était le 14 mai 2018.

La galette du roi de Hongrie, de Pologne, etc. Foto: Galette-Steph-Gray / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 2.0int

(MC) – Le roi Victor était allé réconforter celui qui, à cette époque, était son ami – mais il était le seul à oser seulement s’en souvenir, en cette année 2034 où il allait demander à ses ministres l’apothéose, c’est-à-dire le passage au statut mérité de dieu vivant.

Ce jour là comme maintenant, les Européens célébraient une fête. Des fêtes partout. Que fêtait-on ? On fêtait. La définition même de L’Europe, c’est d’organiser des fêtes. En ce moment même, toute l’Europe festoie. Comment pourrait-elle prétendre exister sans ces farandoles fleuries, ces ribambelles de chansonnettes et ces banquets quasi quotidiens ?

En 2018, quand il avait rendu visite à Pan Morawiecki, alors président du Conseil des ministres polonais, eux seuls  étaient exclus de ces réjouissances tristes, avec ses futurs vassaux du Groupe de Visegrád. A quatre, ils semblaient toujours manigancer quelque chose dans ce coin qui appartenait alors à l’Europe. Comploter ? Mais non, en réalité, ils faisaient des crocs en jambe à l’Etat de droit et préparaient le grand Avenir, au-delà de la démocratie décadente et pourrissante. Le Roi Victor 1er Orbán commençait à organiser son continent nouveau, Visegradia.

Et aujourd’hui, tous les hommes – tous les sujets – avaient trouvé le bonheur parfait. Plus besoin de s’empêtrer dans des problèmes de liberté, dans cette mollesse et cette angoisse incommensurable des Européens décadents, sur ce vieux continent vermoulu. Ces gens là, on le laissait à leur décrépitude, et on gouvernait entre soi : le roi et ses trois vassaux tchèque, slovaque et polonais. Pas toujours très soumis, mais on verrait bien.

Victor 1er rit bruyamment en se souvenant des billevesées infantiles de cette époque bien révolue : l’Article 2 du Traité pour l’Union ! L’Article 7 ! Les menaces de tarir les fonds et d’exclure Pologne et Hongrie de certains votes – dont le roi, dans sa sagesse, savait fort bien qu’elles ne seraient jamais mises à exécution par ces êtres mous et gnangnans, le Juncker, le Selmayr, la Mogherini ! Pour commencer, les règles prévoyaient qu’il fallait pour cela voter à l’unanimité : impossible, puisque cet ignoble félon de Morawiecki, alors son ami, s’appliquait à bien voter contre toute motion défavorable à la Hongrie ! Ha ha, comme c’était drôle, ce jeu de dupes avec l’Europe en plein flapissement !

On a éliminé le traître mielleux, Navracsics, qui appartenait au Parti Fidesz (le parti du roi Victor), mais lustrait les souliers vernis de Madame Mogherini. On lui a administré une piqûre de parapluie bourré de radjaidja. Il s’est mis alors à réciter jour et nuit des passages des Œuvres complètes de Theodor Herzl ; on l’a donc fait disparaître dans une cave profonde de Bratislava où il a sombré dans les oubliettes de l’Histoire.

Et Visegradia est née peu après. Le roi Victor 1er a fait creuser un vaste canal autour de son royaume ; le fossé très large et profond, dérivé de l’eau de la Baltique, passe le long des frontières polonaise, tchèque, slovaque et hongroise. A l’Est, rien, rien de nouveau ; mais jamais aucune vraie information ne filtre du Belarus et de l’Ukraine, qui font à nouveau partie de l’autre continent, à côté, l’immense Osteurasia du tsar Poutine 1er – du moins suppose-t-on que ce dernier existe réellement.

Et la population est parfaitement heureuse. La preuve : on ne l’entend jamais. Pas même un soupir. Les sujets ont de quoi manger – peu, c’est vrai, mais la frugalité éduque le peuple, comme on disait au milieu du XX° siècle dans l’actuelle Osteurasia. Plus de métèques, plus de Roms; des Vinegradiens au sang pur (encore que le roi reste songeur lorsqu’il observe les traits des individus qui composent sa population), et aux mœurs pures ou du moins, transparentes. Les danses folkloriques en costumes ont repris leurs droits ancestraux. Pour achever de contenter ses très chers sujets, Victor porte un uniforme qu’il a fait copier sur celui du régent Horthy. Le dimanche, double ration de goulasch pour la populace qui vient beugler, manifestement ravie, sur le passage du Monarque, à Pest.

Pendant donc que les Européens décadents se traînent de fête en fête et se liquéfient dans l’insignifiance, Vinegradia se construit. Un monde nouveau, sans ces irrégularités irritantes et ces différences entre les hommes qui rendent la vie insupportable. Ici, on est tranquille. Sur le Château de Buda flotte désormais pour toujours la devise du continent nouveau. Elle s’inspire d’un vieux dicton paysan, qu’on peut traduire à peu près ainsi :

« Le silence est d’or quand le peuple dort. »

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste