Réforme territoriale : la France enfin forte de ses régions?

Ce qu'on oublie trop souvent de dire !

François Hollande n'a pas prévu tous les aspects de sa réforme territoriale... Foto: (c) Présidence de la République / M. Etchegoyen

(Par Alain Howiller) – Contestée ou célébrée, la réforme territoriale qui a ramené le nombre de régions 22 à 13 et qui a créé la «méga-région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine», provisoirement baptisée «ACAL», en attendant de se trouver un nom officiel d’ici au mois de Juin, se met en place. Décidée par le Président de la République et sa majorité pour consolider les régions de gauche, contenir le Front National et -assez accessoirement- pour générer des économies grâce aux fusions, cette réforme a finalement généré des conséquences auxquelles les auteurs du projet ne s’attendaient sans doute pas.

Les auteurs du projet ne s’attendaient certainement pas à ce que (en métropole) 7 régions sur 13 passent à la droite liée au Centre alors que précédemment, seule une région (l’Alsace) était restée à droite. La Corse, elle, a voté pour les «autonomistes». Certes, les observateurs de ces derniers mois -y compris ceux proches du Parti Socialiste- l’ont dit et redit – à ce que les élections régionales se traduisent par une sévère «déculottée» pour une gauche victime de la mauvaise perception de la politique gouvernementale. En gardant 5 régions, la gauche a pu limiter les dégâts, même si c’est dans une faible mesure. Ils ne s’attendaient pas non plus au score obtenu par le Front National au premier tour des élections : un score conduisant le PS et les écologistes à se retirer au deuxième tour dans le Nord-Pas-de-Calais et en région Provence-Alpes-Côte-d’Azur afin d’écarter tout risque d’arrivée du FN au pouvoir régional et permettre ainsi l’élection d’un président de droite (Xavier Bertrand dans le Nord, Christian Estrosi dans le Sud).

Trois Ministres de Sarkozy patrons des collectivités ! – Dans la région «ACAL», le FN était arrivé en tête au premier tour des élections régionales : les écologistes s’étaient retirés, mais la gauche s’était, elle, maintenue au deuxième tour malgré les objurgations du Parti Socialiste. Président sortant («Les Républicains») de la région Alsace, Philippe Richert l’a emporté au deuxième tour grâce à une forte mobilisation des électeurs, en doublant pratiquement le nombre de ses voix du premier tour ! Il a été élu à la tête de la région le 4 Janvier (voir eurojournalist.eu du 6 Janvier). Ils n’avaient pas prévu davantage que la victoire de la droite régionales allait lui donner la majorité à «l’Association des Régions de France (ARF)», dominée jusqu’ici par la gauche. En tenant compte des résultats globaux des élections de décembre (Outre-Mer comprise), la droite peut compter sur les voix de 9 régions, contre 7 pour la gauche et 2 pour les régions à majorité régionaliste/autonomiste (Corse et Martinique).

C’est la troisième association qui tombe dans l’escarcelle de la droite, il y a eu précédemment l’Association des Maires de France (AMF) puis l’Association des Départements de France (ADF) et maintenant l’ARF ! Cette dernière doit se choisir un nouveau président le 26 Janvier (eurojournalist.eu du 19.01) : ce sera vraisemblablement Philippe Richert qui sera ainsi avec Dominique Bussereau (ADF) et François Baroin (AMF) le troisième…. ancien ministre de Nicolas Sarkozy à présider une association de collectivités : autant de contre-pouvoirs dont François Hollande n’avait pas prévu l’émergence !

Dès le mois prochain, on pourra tester le poids de l’Association des Régions de France face au pouvoir central, lors de la réunion que le Président de la République et son Premier Ministre ont prévu de tenir avec les représentants de l’ARF ! Le nouveau plan contre le chômage(1) sera au cœur des débats avec, côté pouvoir, une volonté affichée : celle de faire participer financièrement les régions au plan de formation des 500.000 chômeurs qui devraient être formés pour occuper les emplois vacants non pourvus (entre 350.OOO et 400.000) et pour venir occuper les emplois susceptibles d’être proposés par les entreprises (notamment les «Petites et Moyennes Entreprises – PME»).

Philippe Richert, patron des régions de France ? – Le plan prévoit également de favoriser l’apprentissage qu’on avait pénalisé, hier, sous le gouvernement de Jean-Marc Ayrault en diminuant les crédits prévus pour ce type de formation ! Philippe Richert avait déjà proposé, lors d’une rencontre avec le Premier Ministre, que la région «Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine» pilote la formation, après accord avec les services de l’Etat (dont Pôle-Emploi) : la Région Alsace bénéficie déjà de l’expérimentation qui lui permet de décider de l’attribution des fonds structurels européens (notamment du Fonds Européens de Développement Economique des Régions – FEDER, Fonds Européen Agricole de Développement Rural – FEADER) ! Mais le Président d’ACAL avait formulé comme condition à sa participation que l’association Etat/Région soit l’expression d’un véritable partenariat : il ne s’agit pas de participer à une opération susceptible d’aider le Président de la République à être réélu en 2017 parce que 500.000 personnes en formation auront quitté (momentanément ?) les statistiques du chômage ! Ce que veut le futur président de l’ARF, c’est un plan défini en commun par le pouvoir central et les régions et piloté par ces dernières !

En accord avec ses collègues se réclamant des mêmes orientations politiques (mais… divisés sur le nom du candidat qui devrait les représenter aux élections présidentielles de 2017 !, Philippe Richert veut profiter de cette opération proposée par un pouvoir en peine de financements, pour provoquer une relance de la décentralisation en panne depuis des années.

Rappelant que l’économie relève désormais des attributions des régions, le Président d’ACAL souligne : «Pour nous, la décentralisation, c’est parler d’égal à égal avec l’Etat, c’est être en position de se faire respecter… C’est dans cet esprit que je proposerai que «l’Association des Régions de France devienne le ‘Conseil des Régions de France’… François Hollande ne pourra pas décider seul dans ce qu’il nous proposera. Le poids des nouvelles régions fait que grâce à la décentralisation les rapports Etat/Régions devront changer !» Pour paraphraser le titre d’un ouvrage du regretté Adrien Zeller, ancien ministre, ancien Président (1996/2009) de la Région Alsace : la France serait-elle «enfin forte de ses régions ?»(2)

Mettre fin à la panne de la décentralisation ! – «La décentralisation» avait-il écrit dans son ouvrage ce n’est pas du fédéralisme, tout simplement parce qu’on ne refait pas l’histoire de notre pays… Par contre, on peut, après avoir fait l’état des lieux, estimer qu’il est temps de déléguer de manière systématique à des autorités régionales ou locales, des responsabilités de gestion et même de conception de politiques mal assumées par des ministères dont la capacité de réaction est inversement proportionnelle à leur taille. Et ce dans un cadre républicain, bien sûr… Qu’est-ce que la décentralisation ? C’est un transfert de responsabilités, de moyens, de pouvoirs, d’une autorité, d’un organisme, d’un service, d’une administration centrale vers une autorité régionale ou locale….»

Présentée par François Hollande comme un moyen de rendre la France plus moderne, plus compétitive, comme une source d’économies, comme une structure qui mettra les régions françaises au niveau des «länder» allemands, la réforme territoriale a diminué le nombre des régions, mais n’a pas pour autant augmenté leurs pouvoirs. D’abord, les budgets des régions continueront à être alimentés par l’Etat (celui-ci assurait 43% des ressources des anciennes régions), les nouvelles régions comptent 26 milliards d’euros en recettes propres (17 fois moins que les «länder» allemands et même deux fois et demie moins que les départements ! Les recettes fiscales sont rares et les régions ne peuvent pas les étendre. Mais si les moyens et les pouvoirs mis à la disposition des présidents de régions restent limités, la taille des nouvelles régions, une structure en devenir, leur «volume en voix» leur confèrent un poids politique qu’ils n’avaient pas : en cela, ils peuvent peser sur une relance de la décentralisation. Si l’extrême-gauche comme l’extrême-droite avaient été hostiles à la réforme sous prétexte qu’elle «risquait de défaire l’Etat (sic !)» : l’une et l’autre avaient senti la naissance potentielle d’un nouveau pouvoir. D’autant que l’ARF peut compter sur un relais de l’AMF et de l’ADF (seulement 33 sur 101 sont restés à gauche !). Il n’est pas certain que les promoteurs de la réforme en avaient perçu cet aspect des choses !

Les nouvelles régions face à d’épineux problèmes ! – Cela étant, la mise en place des nouvelles régions devra s’accompagner de la solution d’un certain nombre de problèmes plus ou moins épineux : définir les nouveaux budgets, trouver le nom la région nouvelle, désigner une capitale, répartir les centres de décision, associer aux grandes décisions les forces politiques non représentées dans les instances, régler leurs rapports avec les métropoles, les intercommunalités et les départements, élaborer une politique économique etc… Une part non négligeable de ces points sera discutée le 25 Janvier à l’assemblée plénière d’ACAL réunie à Strasbourg. On y confortera sans doute le fait que Strasbourg restera le siège de la région : la ville sera, en même temps siège («préfecture») de l’administration régionale de l’Etat.

Mais si les assemblées plénières du Conseil Régional devraient se réunir non plus à Strasbourg, mais à Metz, la commission permanente, dont les rencontres seront publiques désormais, avec ses 56 membres de même que les commissions thématiques continueront à se réunir, elles, à Strasbourg. Ce compromis entre le «mini-conseil» et l’assemblée plénière a d’ores et déjà recueilli les suffrages de Robert Herrmann, le Président de l’Eurométropole strasbourgeoise et de Dominique Gros, le Maire de Metz : Frédéric Bierry, Président du Conseil Départemental du Bas-Rhin et Eric Straumann, Président du Conseil départemental du Haut Rhin -qui a déjà oublié que, en 2013, au moment du referendum sur la fusion des collectivités départementales et régionale alsaciennes, il avait proposé de transférer… à Colmar le siège de la région Alsace !)- estiment que cette répartition affaiblira la capitale alsacienne.

Quand la Corse salue un «pays ami : la France» ! – Ils ont peu de chances d’être suivis tout comme la demande d’une partie des «autonomistes» réclamant de Philippe Richert de gagner du temps dans la répartition territoriale des centres de décision : ils espèrent qu’ACAL sera remise en cause, en vas d’alternance gauche/droite, en 2017 ! A vrai dire, rares sont ceux qui croient à un retour en arrière sur la réforme, même si Eric Straumann a souligné qu’il ferait tout pour cela, et que certains leaders de la droite (François Fillon, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy) ont affirmé qu’arrivés au pouvoir, ils reverraient, eux aussi, la réforme ! Objectif partagé avec les autonomistes alsaciens qui avaient recueilli lors des élections régionales une moyenne de 11% de voix en Alsace !

On est évidemment ici loin des scores obtenus en Corse par les autonomistes (dont une bonne part sont indépendantistes) : ils ont obtenu le pouvoir régional dans l’Île dite de Beauté et leur leader Jean-Guy Talamoni, reçu par Manuel Valls, le Premier Ministre qui ne cesse d’affirmer «qu’il n’y a qu’un peuple et qu’une langue en France», a commenté l’entretien par cette formule peu équivoque : «La France est un pays ami !» Voilà une esquisse de résurgence identitaire d’un «problème corse» que les promoteurs de la réforme régionale n’avaient pas non plus vu venir !

(1) François Hollande a esquissé son plan devant le Conseil Economique, Environnemental et Social : il fera l’objet d’une loi présentée au Conseil des Ministres, le 9 Mars. La loi devrait prévoir des baisses de charges pour les entreprises et une prime de 2000 euros pour l’embauche, en entreprise de moins de 250 salariés d’une personne en CDI ou en CDD de 6 mois, une amélioration de l’apprentissage et la formation de 500.000 chômeurs sur des métiers en demande de personnel, des assouplissements de la durée hebdomadaire du travail, des qualifications exigées pour l’exercice ce certains métiers, du Code du Travail, un plafonnement des indemnités de licenciement etc…

(2) «La France enfin forte de ses Régions – Glossaire engagé de la Décentralisation» par Adrien Zeller et Pierre Stussi-Gualino, Editeur – 20 euros (2002)

2 Kommentare zu Réforme territoriale : la France enfin forte de ses régions?

  1. Tout cela montre bien que cette pseudo réforme n’était que de la politique à la petite semaine…

  2. Tout celà montre bien que cette pseudo réforme n’était que de la politique à la petite semaine.

    (celà dit, mis à part ses auteurs, je n’ai lu personne célébrer cette réformette – quoi que le boulet administratif qu’elle va représenter ne justifie peut-être pas ce diminutif…)

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