Séisme politique à Berlin : et maintenant ?

Alain Howiller regarde de l'autre côté du Rhin, là où l'Allemagne est secouée par une crise venue de Thuringe !

C'est la crise ces jours-ci dans la maison Konrad-Adenauer à Berlin, siège de la CDU... Foto: Thomas Riehle / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 2.0de

(Par Alain Howiller) – On pensait que 2020 serait, en Allemagne, une année dont on n’attendait pas grand chose : patatras, il n’en sera rien, et l’année commence par une explosion inattendue, mais finalement pas surprenante. Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK), élue il y a un peu plus d’un an comme présidente de la CDU avec la perspective de remplacer Angela Merkel à la chancellerie, a annoncé qu’elle renonçait à cette succession ! Elle entend aussi quitter la présidence de la CDU. Cette double renonciation, qui n’exclut pas a priori qu’elle quitterait également son poste de Ministre de la Défense, a déclenché un véritable séisme à Berlin à un an et demi des élections renouvelant le Bundestag et à la veille des élections – le 23 Février – de la « Bürgerschaft » (le parlement régional) de Hambourg !

AKK est très critiquée pour n’avoir pas pu éviter, en Thuringe, malgré ses instructions, que les élus de la CDU ne mélangent leurs votes avec ceux des députés du parti d’extrême droite « Alternative für Deutschland – AfD », et pour n’avoir pas su gérer la crise qui avait suivi ce vote. Elle a tiré les conséquences d’une crise qui a vu l’alliance droite conservatrice – extrême-droite faire barrage à la réélection de Bodo Ramelow, le président sortant de la Thuringe qui conduisait une coalition « Die Linke-Verts-SPD ». La démocratie-chrétienne partenaire du SPD au gouvernement dans le cadre de la « GroKo » trahissait, en quelque sorte, son allié ! Comment diable avait-on pu en arriver là ? Retour sur un gâchis politique.

Tout a commencé ainsi – Tout a commencé ainsi : Ils étaient cinq !… Cinq députés du parti « libéral » FDP (Freie Demokratische Partei) à avoir été élus, le 27 octobre dernier, au Parlement de Thuringe qui comprend 90 députés ! Ils avaient été élus pour avoir dépassé de 73 voix (seulement !) le seuil des 5% en dessous duquel le parti n’aurait eu aucun représentant au parlement. Le 5 février, leur président Thomas Kemmerich était élu, avec une voix de majorité, ministre-président du Land succédant ainsi à Bodo Ramelow, ministre-président sortant qui conduisait une coalition entre « Die Linke », les Verts et le SPD !

Contrevenant aux instructions de Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK), la Présidente du parti chrétien-démocrate, les élus de la CDU avaient mêlé leurs votes avec ceux des membres du parti d’extrême-droite « Alternative für Deutschland – AfD ». Ils avaient non seulement ignoré les consignes de la direction de leur parti, mais ils s’étaient retrouvé, dans l’anonymat des urnes, avec les représentants d’un parti honni. Le parti où siégeait Björn Höcke, le leader de la fraction « Der Flügel » de l’AfD. Cette fraction est accusée d’être néo- nazie, et à ce titre, elle est surveillée, depuis janvier 2019, par… « l’Office Fédéral de Protection de la Constitution ». La « droite conservatrice » avait rejoint « l’extrême-droite » contre une coalition de gauche!!

Des milliers de manifestants dans les rues  – Des milliers de manifestants descendent alors dans les rues pour protester contre cette alliance. AKK, désavouée, intervient, de même que la chancelière qui, depuis l’Afrique du Sud où elle est en visite officielle, condamne ce qui s’est passé et qui « est impardonnable » ! AKK propose de nouvelles élections que la CDU de Thuringe refuse, donnant une claque (de plus !) à la présidente du parti. Bodo Ramelow, le candidat battu, rappelle que c’est ici, en Thuringe que Hitler avait obtenu, en 1930, le plus de voix ! La « Groko » risquait – une fois de plus – d’exploser avant que Merkel ne lui donne des gages en affirmant sa position, en signant un texte selon lequel les partenaires s’engagent à ne participer à aucune majorité et à aucun gouvernement à quelque niveau que ce soit avec l’AfD.

La chancelière limoge immédiatement le Secrétaire d’Etat Christian Hirte – venu de la CDU de Thuringe – pour s’être félicité de… l’élection de Thomas Kemmerich ! Ce dernier, finalement, démissionnera, ouvrant la voie à un nouveau scrutin auquel Bodo Ramelow entend se présenter à nouveau, à condition que la CDU le soutienne…

AKK propose, Merkel téléphone ! – De son côté, AKK demande alors qu’un nouveau scrutin ait lieu, garantissant que la CDU votera cette fois pour la coalition de gauche. Cette promesse apparaît comme une première, la CDU ayant jusqu’ici toujours refusé toute coopération avec Die Linke, le parti de Ramelow. Mais la section locale de Thuringe de la CDU, redoutant d’être sanctionnée par les électeurs, refuse de nouvelles élections.

Alors, va-t-on vers l’élection d’un nouveau ministre-président, vers la réélection de Bodo Ramelow en l’occurrence ? Pas si simple, car la position de la présidente de la CDU était, en fait, ambigüe dans la mesure où elle souhaite que la « coalition sortante » présente un candidat qui rassemble et non un candidat qui divise ! Des élections pourraient, par la suite, suivre après l’élection d’un nouveau ministre-président dont la majorité trouverait dans les urnes une sorte de « légitimation ». La chancelière, contournant AKK, prend langue avec Bodo Ramelow : elle lui téléphone directement.

Alors nouveau scrutin pour la présidence du Land, puis nouvelles élections ? Ou simple élection d’un nouveau ministre-président ? On en était là des questions, face à un bilan lourd. La « Groko » fragilisée, Annegret Kramp-Karrenbauer affaiblie, une AfD triomphante car ayant réussi à provoquer une crise politique sévère, la Thuringe est dans la tourmente… Et Annegret Kramp-Karrenbauer se trouve maintenant sur le… carreau ! « Es kriselt in Berlin ! » pour reprendre cette expression quasi-intraduisible. La suite au prochain numéro !

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