Tribune des Généraux : à grands coups de hache dans la brèche de la crise

La Grande Muette et sa tribune dans Valeurs Actuelles. Ou comment manier la vague du timing et du phrasé pour ajouter quelques remous de populisme sous le Radeau de la Méduse d’une société en crise.

Une nouvelle "normalité" dans les rues de la France ? Il vaut mieux pas... Foto: Bibi95 / Wikimedia Commons / CC-BY 2.0

(Marine Dumény) – Elle prêterait presque à sourire, cette lettre ouverte. Presque. Si elle n’augurait pas d’un danger pour la démocratie. Savamment tournée, savamment sortie. Elle fait le petit lait de l’extrême-droite depuis sa parution.

Savoir choisir son moment – 2021 est décidément une année bien dotée. Une crise sociale en 2019, qui s’enchaîne sur une crise sanitaire en 2020. L’économie en berne. Des pertes d’emplois. De la souffrance psychologique. Des inégalités qui se creusent. Une éducation remisée au second plan, derrière des écrans (pour ceux pouvant bénéficier de ce luxe). Un gouvernement, et un État, jugés de plus en plus incapables dans leur gestion… Le tout sous le coup d’un début de campagne présidentielle, pour 2022. La place politique est terrain miné.

Arrive alors, fort à propos, une lettre ouverte de généraux, hauts gradés et militaires. Ils sont aujourd’hui près de 20.000 signataires à s’insurger du « délitement » de la France. Un appel auquel n’a pas pu résister Marine Le Pen. La candidate du RN pour 2022 leur a immédiatement tendu la main, répondant ainsi à ceux qui se disent « disposés à soutenir les politiques qui prendront en considération la sauvegarde de la nation » .

Savoir user d’un verbiage adéquat – Les éléments de langage du texte ne sont, en effet, pas sans rappeler ceux de l’extrême-droite. Ils leur appartiennent même complètement. Avec un champ lexical « patriotique », plus proche cependant de Le Pen père que fille. Le style et la pensée en sont aussi très « vieux monde » : « Ils méprisent notre pays, ses traditions, sa culture, et veulent le voir se dissoudre en lui arrachant son passé et son histoire. Ainsi s’en prennent-ils, par le biais de statues, à d’anciennes gloires militaires et civiles en analysant des propos vieux de plusieurs siècles. ». Une référence aux déboulonnages des statues, notamment en lien avec l’esclavagisme, survenus suite au meurtre de George Floyd, aux Etats-Unis, mais aussi aux demandes d’excuses publiques pour diverses exactions commises par la France lors de son passé colonial. Qualifier de « gloires militaires et civiles » des traites et génocides tombe, pour rappel, sous le coup de la loi. La « guerre civile » est présentée comme ce qui sanctionnera le « laxisme » politique.

L’initiateur de cette lettre, et les principaux signataires, ont pour beaucoup des liens, révélés par la presse française et internationale, avec des organisations racistes. D’autres ont été radiés ou plus délicatement écartés de leurs fonctions dans l’armée. A l’instar du déjà connu Christian Piquemal, ancien parachutiste et ancien de la Légion étrangère, arrêté en 2016 pour avoir participé à des manifestations non autorisées à Calais contre les migrants (voir ici l’article de nos confrères de l’Obs à ce propos). La ministre des armées, Florence Parly, a annoncé que des sanctions seraient prises, sans plus de précisions.

La ministre des armées, Florence Parly, a annoncé, lundi, que des sanctions seraient prises. Dans Le Parisien, François Lecointre, général et chef d’état-major des armées, avance, le 28 avril, que les militaires d’active, et généraux proches de la retraite (mais susceptibles d’être encore appelés), passeront devant un conseil supérieur militaire. Il évoque des “sanctions” pour les uns, et “radiations” pour les autres.

Dans le contexte actuel, peut-être serait-il bon de ne pas prendre à la légère et tourner en ridicule une telle démonstration. Les idées n’y sont pas celles de toute la caste militaire. Cependant, il s’agirait de ne pas avoir à détourner les regards du poste de télévision et des images de pluies de balles en Birmanie (ou, plus près à l’Est), sous un régime militaire, pour voir la même chose par la fenêtre. Laisser la hache d’un Légionnaire* à la retraite finir d’ouvrir la plaie béante de la crise, ne serait-ce qu’avec des mots, n’est pas souhaitable.

*La hache est le symbole des pionniers de la Légion étrangère, portée dans les défilés.

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste