Une chancelière fatiguée, un pays troublé…
… l'Allemagne se mettrait-elle à douter ? Alain Howiller s’est penché sur la question. Et apporte une analyse claire.
(Par Alain Howiller) – Poussée par un environnement politique qui se dégrade, Angela Merkel aurait-elle décidé enfin de sortir d’une politique qu’un éditorialiste avait défini par « Abwarten und durchwursteln » ? La rencontre avec Macron a, semble-t-il, poussé la chancelière à sortir d’un immobilisme qui commençait à faire douter du début de son… quatrième mandat à la tête du gouvernement fédéral ! Macron et Merkel ont finalement réussi à préparer une position commune à défendre au sommet européen des 28/29 Juin à Bruxelles. Un rapprochement dont l’un et l’autre avaient bien besoin face aux doutes que commençaient à ressentir leur opinion publique.
En décidant de briguer un nouveau (…ultime ?) mandat à la chancellerie, Angela Merkel pensait sans aucun doute qu’elle symboliserait la continuité d’une Allemagne respectable et respectée : malgré le résultat -décevant pour elle- des élections générales du 24 Septembre, malgré les difficultés rencontrées pour reconduire une « grande coalition » dont au fond ni la CDU/CSU, ni le SPD ne voulaient. Du reste, pour la plupart des observateurs, l’environnement politique semblait être favorable à une nouvelle expérience dans une « Allemagne de Berlin »(1) qui, vue de l’extérieur, apparaît comme une terre de consensus sans problèmes majeurs !
Qui se souvient de Ludwig Erhard ? – Une Allemagne dont l’économie semblait ronronner, qui inaugurait à Fürth (Bavière) un musée consacré à Ludwig Erhard, le père du miracle économique, où le chômage (5,4%, pratiquement le plein emploi) continuait à reculer, dont le budget de l’Etat enregistrait de notables excédents. L’Assemblée générale de l’O.N.U ne vient-elle pas, en plus, de désigner l’Allemagne pour siéger, de 2019 à 2021, au conseil de sécurité de l’organisation comme membre non permanent ? Même les statistiques démographiques marquaient un très léger regain des naissances ! Les thuriféraires de la chancelière auraient pu chanter comme Paul Misraki -chanteur français des années trente- : « Tout va très bien Madame la Marquise… »
Mais comme dans la chanson, une fois le refrain entonné, les couplets apportent les inévitables bémols de la mélodie en sous-sol d’une Allemagne qui, à bien des égards, semble confrontée à un tournant difficile à négocier. Mal élue (avec le score le plus bas enregistré par la CDU/CSU comme par le partenaire social-démocrate), peinant à reconduire une « grande coalition », l’autorité de la chancelière vacille en interne et en externe. Elle tardait plus que jamais à prendre des décisions : « Tu es lente Angela » lui disait déjà Nicolas Sarkozy. Une lenteur que d’aucuns attribuaient à de la prudence et que d’autres, aujourd’hui, expliquent par la situation complexe à laquelle elle doit faire face. En interne, son partenaire bavarois -la CSU- ne pense qu’aux élections régionales du 14 octobre où le score espéré par le parti d’extrême droite « Alternative für Deutschland – AfD » menace sa majorité absolue.
Söder et ses Crucifix. – La décision du nouveau ministre-président du Land -Markus Söder- de faire installer des crucifix dans les lieux appartenant aux collectivités locales parce que la « croix appartient à l’identité bavaroise », marque une escalade révélatrice condamnée notamment par l’épiscopat catholique qui estime que « le crucifix ne doit pas être utilisé à des fins politiques ».
Angela Merkel et Horst Seehofer, Ministre de l’Intérieur et de la… « Heimat », jusqu’à récemment ministre-président du Land de Bavière, n’hésitent pas à s’affronter à propos de la politique migratoire défendue par la chancelière : les tensions sont sous-tendues par le même objectif : garder la majorité absolue aux élections d’Octobre ! Personne n’a encore osé rappeler au « clan des Bavarois » que les candidats de Munich n’ont jamais réussi à séduire les électeurs au-delà de la… Bavière ! D’autant qu’un rapide tour d’horizon de la situation met en évidence que les nuages s’amoncellent au-dessus de la Porte de Brandebourg.
Berlin porte la Kippa ! – Au sein de l’AFD s’affrontent néo-nazis et partisans d’une « démocratie musclée ». Exemple parmi d’autres, cette déclaration d’Alexander Gauland, co-fondateur, lançant : « Dans l’histoire allemande, le national-socialisme ne représente qu’une chiure (« Vogelschiss ») d’oiseau : un propos qui a suscité un débat (sans plus) au sein du parti d’extrême-droite et qui a été largement condamné par les représentants du monde politique et de la société civile.
L’antisémitisme, en progrès, fait également des ravages au point que, après deux attaques contre des porteurs de Kippa, le président du Conseil Central des Juifs d’Allemagne avait cru devoir conseiller à ses coreligionnaires d’éviter de porter la Kippa quand ils « sont seuls dans les centres des grandes villes » ! Un conseil qui a provoqué des tempêtes de protestations souvent accompagnées de manifestions. L’une des manifestations avait réuni 2.000 personnes à Berlin sur le thème : « Berlin porte la Kippa ! » D’autant qu’on ne peut éviter, en faisant une rapide tournée à travers le pays, de se rendre compte du fait que les nuages s’amoncellent au-dessus du Brandenburger Tor.
France-Allemagne : le partenariat renforcé ! – La politique d’immigration définie par Angela Merkel et sa fameuse phrase « Wir schaffen das » (« nous réussirons bien cette politique ») a mobilisé l’extrême-droite, une partie de ses propres troupes : même Andrea Nahles, ancienne ministre fédérale du travail, actuelle secrétaire générale du SPD, a estimé que l’Allemagne ne pouvait pas recueillir tous les réfugiés du monde !… Merkel pourra-t-elle tenir son cap, alors que déjà les reconduites à la frontière ont considérablement augmenté ? Tout porte à croire que la politique migratoire sera infléchie : la poursuite du gouvernement de coalition sera sans doute à ce prix.
Menacée sur le plan intérieur, Merkel, que les sondages ne placent qu’en sixième position des chanceliers les plus importants de l’après-guerre (Adenauer étant le premier et Helmut Kohl le quatrième), ne peut guère compter sur des succès à l’extérieur : son « ami » Poutine a pris ses distances, Obama auquel elle était très liée, est parti. Trump la snobe, elle est en délicatesse avec la Chine dont les investisseurs deviennent trop envahissants et Macron tend à lui disputer le leadership européen !
Bonne occasion sans doute pour se rapprocher d’un « partenariat relancé » avec la France peut-être même à travers un nouveau Traité de l’Elysée. Le rapprochement avec les idées françaises en matière d’évolution de l’Union Européenne et de la zone euro, idées dont le SPD, son partenaire en coalition, n’est pas éloigné, est engagé. Jusqu’où ira-t-elle alors même que ses relations avec sa ministre de la défense Ursula von der Leyen ont souffert des déclarations de cette dernière en faveur d’une Europe intégrée de type fédéral : la chancelière trouve cette perspective utopique dans un avenir proche !
Une Ministre sanctionnée ? – Ce différend a-t-il été pour quelque chose dans le fait que la Ministre qu’on voyait succéder à la chancelière ait été, en quelque sorte, sortie de la « liste successorale » au profit de l’ex-ministre-présidente du Land de Sarre, Annegret Kramp-Karrenbauer élue secrétaire fédérale de la CDU ?
Elle est lente, Angela, alors que les milieux économiques redoutent les conséquences de la politique protectionniste de Donald Trump avec qui elle a essayé -en vain (comme d’autres !)- de trouver un contact privilégié : elle s’est rendue, elle aussi, à Washington, y a envoyé Peter Altmaier, ministre fédéral de l’Economie et de l’Energie qui est l’un de ses proches et annoncé que la contribution allemande à l’OTAN allait bénéficier d’une augmentation du budget de la défense !
Secouée par le « diesel-gate » de l’industrie automobile dont elle s’était souvent fait la porte-parole, Angela ne peut ignorer lorsque l’économie allemande a vu sa compétitivité passer de la sixième place en 2014 à la quinzième en 2017, que les chambres de commerce ont abaissé le taux de croissance attendue en 2018 et que l’IFO, le principal institut de conjoncture (Munich) vient de ramener les prévisions du taux de croissance de… 2,6 à 1,8% pour cette année ! L’OCDE comme la Commission Européenne réclament davantage d’investissements en Allemagne, pour que cette dernière participe à la relance de l’économie mondiale. Partant du constat que les excédents générés par les exportations allemandes représentent 7,9% du Produit Intérieur Brut (PIB), Pierre Moscovici, au nom de la Commission, suggère au gouvernement de ramener cette part à… 6% ! La politique énergétique rencontre, elle aussi, des difficultés qui ont conduit à faire appel à l’énergie « charbon », pour compenser la fermeture des centrales nucléaires, essayer de lutter contre la hausse des prix de l’électricité et contrer une opposition tenace à l’éolien accusé de polluer l’environnement au niveau de la vue et du bruit.
La « louve alpha ! » – Si 50% des Allemands affirment être satisfaits de la politique menée par Angela Merkel, seuls 33% d’entre eux voteraient pour la CDU/CSU en cas d’élections législatives : c’est ce que soulignent les derniers sondages alors que l’AFD progresse légèrement de même que les Verts, et que la position du SPD connaît plutôt des bas dans l’opinion. On conçoit que les observateurs s’interrogent sur l’avenir du pays et de la nouvelle « grande coalition » au pouvoir. La rencontre avec le Président français comme le sommet européen des 28 et 29 Juin, à Bruxelles, forcera celle qu’un biographe avait qualifiée de « louve alpha » (2) à sortir du bois. L’Allemagne troublée attend de voir si sa chancelière est fatiguée au point que son mandat pourrait bien ne pas aller… jusqu’à son terme !
(1) « L’Allemagne de Berlin, différente et semblable » par Alfred GROSSER, Editions Alvik, 2002, 244 pages.
(2) Louve alpha : celle qui domine la meute de loups !
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