De glace et de boue

L’exportation scandinave de la corruption

En Islande, glace et boue... Foto: Hansueli Krapf/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 3.0Unp

(Marc Chaudeur) – Les pays scandinaves, modèles de propreté et de transparence ? Euh, ils sont moins pires que d’autres, dira-t-on… Mais une toute récente déclaration de l’ONG Transparency International fait voir ces « modèles » sous un jour très différent ; et cela, bien que quatre de ces pays, Danemark, Suède, Norvège, Finlande, occupent les 7 premières places des pays les moins corrompus du monde. Mais le problème se pose de manière un peu différente…

Moins de corruption dans ces pays réputés pour leur rigueur ? En un sens, certes ; mais ces pays sont maintenant comme des « exportateurs de corruption », selon l’expression de l’ONG Transparency International. Cela n’étonnera que les nombreux faiseurs d’opinion qui, ignorants de certains ressorts des économies et des sociétés scandinaves, s’extasient sur les performances de ces Etats.

En Islande, tout récemment, la compagnie de pêche Samherji a versé des pots de vin considérables (près de 10 millions de dollars US) pour acquérir le droit de pêche dans certains endroits au large de la côte de Namibie. La somme était transférée par une banque… norvégienne, la DNB. La Samherji avait promis alors d’assurer des emplois durables aux habitats du pays et de l’aider à l’édification d’infrastructures. Résultat : rien ; rien n’a été fait. Un scandale dont les Européens n’ont pas (encore ? ) pris la mesure. L’histoire a été révélée grâce à 30 000 documents exposés par un ancien employé de la Samherji devenu lanceur d’alerte, Johannes Stefansson. Mal protégé légalement, le whistleblower est accusé par la direction d’avoir contribué à mettre en œuvre la magouille. Accusation qu’il reste cependant à prouver !

Mais le record qualitatif en la matière est détenu par la grande banque danoise Danske Bank, pratiques que nous avons exposée ici l’an dernier. Entre 2008 (et même sans doute 2007) et 2015, la somme ahurissante de 200 milliards d’euros est passée par les mains cajoleuses et discrètes de la banque ; plus précisément par celles de la filiale estonienne de la Danske Bank. Et comme très souvent, elle implique des magnats et des oligarques russes et azerbaidjanais. Argent neutralisé, argent blanchi grâce aux bons services de cette banque qui occupe le plein centre de Copenhague.

Quant à la Suède, elle n’a rien à envier à ses petits voisins. La Swedbank, elle aussi, utilise une filiale estonienne pour transférer environ 180 millions d’euros à un vendeur en gros, qui n’a pas tardé à prospérer rapidement ; trop rapidement.

En passant, on s’aperçoit que pots-de-vin et blanchiments s’effectuent dans les deux pays grâce à la complaisance d’un Etat certes héritier dans une large mesure de l’époque soviétique, mais membre de l’Union Européenne depuis 2004… En tout cas, le principal bénéficiaire des opérations frauduleuses de la Swedbank n’est autre que Mikhail Abyzov, un oligarque russeâgé de 47 ans et bien connu.Ce dernier, selon un rapport commandé par la chaîne TV publique suédoise SVT, a tissé un réseau complexe de sociétés offshore et blanchi ainsi au moins 60 millions de dollars. Ces compagnies sont basées dans les Iles Vierges, à Singapour, à Chypre (autre Etat membre de l’Union Européenne…) et à Belize. Elles alimentaient des comptes à la Swedbank Estonia et y bénéficiaient d’une aide très efficace…

Selon l’OCCRP (Organized Crime and Corruption Reporting Project), https://www.occrp.org/, la, plupart de ces compagnies offshore ont servi à blanchir l’argent récolté quand Abyzov était ministre-gouverneur lors de transactions énergétiques frauduleuses, notamment en Sibérie, profitant de la mauvaise gestion locale. L’une d’entre elles a servi par ailleurs à l’acquisition d’une magnifique villa wo die Zitronen blühen, en Toscane. Le rapport suédois parle de 860 millions de dollars qui auraient transité par la Swedbank à partir des compagnies qu dirigeait Abyzov.

Eh oui, assurément, ces pratiques bancaires (certains cyniques pourraient dire : l’étalage de ces pratiques sur la place publique et dans les médias…) nuisent beaucoup à la réputation des pays scandinaves. Et portent atteinte, faut-il le rappeler, à la prospérité ou à la survie de centaines de milliers d’êtres humains, dans le monde entier !

Alors, que faire ? Dans le rapport sorti ce mois ci, Transparency International préconise des correctifs qui tombent sous le sens, mais qui s’imposent impérativement si les pays du Nord européen veulent préserver leur excellente réputation – en partie usurpée, comme on vient de le constater. A savoir : la mise en place de vraies politiques visant à s’attaquer aux pratiques corruptives, la protection des lanceurs d’alerte, l’application effective des lois existantes, et le comblement de certaines lacunes dans l’application des normes anti-corruption internationales.

A bon entendeur…

A lire : https://www.transparency.org/

 

 

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