Numérisation en Estonie : éléments de bilan

Innovation et prudence

Tallin, capitale mondiale de la numérisation Foto: Etienne André /Wikimédia Commons/CC-BY-SA 2.5Gen

(Marc Chaudeur) – L’Estonie, ce petit pays balte calé (nous n’écrivons pas : coincé…) entre Russie et Finlande, est un pays pionnier dans le monde entier (devancé cependant par la Finlande) pour ce qui est de la numérisation de son économie et de son administration. Sans doute l’Estonie a-t-elle, en la matière, une vingtaine d’années d’avance sur la France ou l’Allemagne, moins avancée que la France dans ce domaine. Qu’en-est-il au juste ? Et la tartine n’a-t-elle pas aussi sa face dépourvue de confiture ?

Le degré de numérisation est considérablement supérieur à celui des autres pays européens. Il est comparable, relativement, à celui de la Californie : 4 entreprises toutes récentes rapportent déjà au moins un milliard d’euros. C’est que le gouvernement estonien est plus innovant que les autres… Mais qu’est-ce qu’un Etat innovant ? L’État doit-il donc intervenir dans le domaine de l’innovation ?

Kersti Kaljulaid, Présidente de la République estonienne, estime, dans une récente interview au Spiegel (https://www.spiegel.de/international/), que ce n’est pas le rôle du gouvernement que d’assurer cette innovation ; l’Etat ne peut qu’assurer un cadre juridique vraiment moderne – le gouvernement estonien est ainsi plus libéral et… plus pragmatique que le français ou que l’allemand… Le secteur public ne doit nullement être directif pour ce qui concerne les nouvelles technologies. Il ne le peut d’ailleurs pas. Même dans les domaines qui lui étaient réservés naguère, les entreprises privées jouent une place de plus en plus importante : cela dans le domaine de l’intelligence artificielle, et même, dans le domaine militaire.

Mais dans ce cas, qu’est-ce qu’une « gouvernance innovatrice » ? Madame Kaljulaid donne les exemples de l’internet et de la génétique : le gouvernement accompagne la législation et la modernise pour l’adapter à l’évolution numérique, et aide au développement de ces 2 secteurs très porteurs.

En somme, de façon généralisée, les Etats devraient se concentrer surtout sur la numérisation des domaines relevant de sa compétence… Et ne pas rater le galop de la globalisation. A certains égards, les Etats ont même à reconquérir ce qui leur a échappé ! Notamment dans les domaines très délicats des données personnelles et des documents d’identité, dont facebook et google se sont emparés… Et au-delà, il faudra assurer d’autres services plus larges fournis par le gouvernement dans une sorte d’app store étatique.

Pourquoi au juste l’Estonie joue-t-elle ce rôle si exceptionnel ? A cela, il y a des raisons diverses : historiques, culturelles et sociales. Il semble que la numérisation ait été initiée par la volonté de compenser la frustration éprouvée par la population à ne pas bénéficier comme leurs voisins scandinaves et finlandais de prestations sociales plus que confortables – le pays revenant de très loin, à savoir, de 45 années d’occupation russo-soviétique… La numérisation permet au moins de disposer de performances rapides et efficaces.

L’Allemagne, elle, prévoit depuis 2000 de numériser son administration; mais sans doute la redistribution sociale des cartes, cette sorte de New Deal qu’a représenté alors Hartz IV, a considérablement ralenti le mouvement. La France est un peu moins « en retard » : elle se situe au 6e rang des pays européens, tandis que l’Allemagne arrive à la 9e place.

Mais quels avantages et quels inconvénients présente au juste la numérisation de l’économie et de l’administration ? Kersti Kaljulaid, dans l’interview évoquée plus haut, estime que la numérisation des documents et des dossiers administratifs fait économiser au pays 2 % de son PIB – ce qui est assez considérable, et qui correspond à peu près au montant dévolu à la défense du pays. En sens inverse, il est vrai, le gouvernement estonien consacre 1 % de son budget au développement de la numérisation des offres de l’État.

Car cette évolution entraîne une augmentation des exigences des citoyens : ceux-ci désirent maintenant être informés de la progression de leurs démarches administratives « sur le vif », ou bien bénéficier de certaines prestations sans avoir à les quémander… C’est ainsi que quelques subventions pour les personnes âgées sont versées quasi-automatiquement. Ce qui suppose une bonne marche de l’État et une prédisposition culturelle à ne pas rogner sur des clopinettes comme en d’autres pays plus latinos, clic clic. Et les femmes y gagnent un temps considérable… puisque ce sont elles essentiellement qui se consacrent aux enfants et aux personnes dépendantes. Un effet d’égalisation sociale, en somme.

Deux inconvénients cependant : la numérisation risque de laisser une fraction non négligeable de la population au bord du trottoir. Et par ailleurs, qu’en est-il de la protection des données personnelles confidentielles ? Et de la fragilité relative de l’internet, face aux cyberattaques notamment ? En 2007, en effet, le pays a été la cible d’attaques manifestement d’origine russe…

A ces objections, on ne dispose encore que de réponses partielles, et, avouons le, non satisfaisantes.

En somme, innovation, accompagnement juridique modernisé et… prudence doivent aller ensemble. Intimement.

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