Balkans : des différends frontaliers non réglés

Quelque part entre Buzzati et Kafka

Le Président de la République de Liberland, Vit Jedlicka Foto: Jan Husak/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 4.0Int

(Marc Chaudeur) – « A quoi sert donc cette garnison immobile aux aguets d’un ennemi qui ne se montre jamais ? » (Buzzati, Le Désert des Tartares). Eh bien, mon ennemi ne se montre jamais parce qu’il n’existe pas ; il eût fallu d’abord que je l’inventasse. Afin qu’il puisse ensuite transgresser les frontières, réelles mais surtout revendiquées ; des frontières dont il faut faire mine de considérer comme évident le tracé. Ce qui est fort utile pour ressouder les liens du peuple avec son quelconque bien-aimé dirigeant. Vieille stratégie qui resurgira bien un jour, et peut-être à une époque pas si éloignée… Dans les Balkans occidentaux en tout cas, les différends frontaliers sont légion. Avec une nette tendance surréaliste : pays qui veulent absolument laisser des portions de son territoire au voisin (après vous, je n’en ferai rien), ou bien disputes irrésolubles, dont la Cour de Justice européenne se retire pudiquement… En Europe, en ce moment, on ne s’ennuie décidément pas.

Avec un frais humour  digne du soldat Švejk, de Bogumil Hrabal ou du meilleur Joseph Roth, le tchèque Vít Jedlička a pris le taureau par les cornes. Le 13 avril 2015, il a fondé la République libre du Liberland, sur la frontière serbo-croate. Le Liberland est minuscule : il couvre une pochette de territoire croate, à Gornja Siga, au bord du Danube. Croate, ou bien serbe ? C’est là que réside l’étrangeté de la situation. La Serbie en effet considère ce territoire (de 7 kms2 seulement, certes) comme croate ; la Croatie, comme un territoire serbe. Après vous, je n’en ferai rien ! On se refile ce bébé velu. Le long de la frontière, il existe 8 pochettes de ce genre : la Croatie veut les attribuer à son voisin serbe, et la Serbie, à son voisin croate ! Peut-être d’horribles monstres habitent-ils les grottes danubiennes de ces terres, des holothuries dentues, par exemple, ou d’immenses axolotl d’eau douce ?

En réalité, il y a un semblant d’explication à cela : c’est que le tracé général de la frontière n’a pas été reconnu par les autorités serbes après la partition de la Yougoslavie, en 1991, et ce tracé implique les pochettes susdites. C’est tout ou rien… En tout cas, Vít Jedlička s’est engouffré dans cette brèche, sur cette terra nullis, et y a fondé son Liberland : 40 habitants, capitale Liberopolis, monnaie mal définie, et une superbe devise : Vivre et laisser vivre. Heureusement, a dit Jedlička, « le Liberland fonctionnera sur une politique d’ouverture des frontières » ! Le Président, par ailleurs, a nommé des ambassadeurs et fondé l’Ordre de l’Etoile du Mérite. Si cela vous dit de devenir citoyen de cette fière République, c’est simple – mais 300 000 personnes en ont déjà fait la demande… Le site : https://liberland.org/

Des chamailleries frontalières non réglées, dans les Balkans occidentaux, il y en a actuellement 8, selon notre décompte. Ce qui est plutôt impressionnant. Entre Grèce et Albanie, entre Monténégro et Kosovo, entre Monténégro et Croatie, Serbie et Bosnie, Bosnie et Croatie, Serbie et Croatie, et enfin, entre Croatie et Slovénie ! Sans compter les disputes entre voisins des Balkans orientaux…

Le dernier, celui entre Croatie et Slovénie (pays des légendaires protées anguillards, sorte d’axolotl des Balkans, vous voyez bien), n’en finit pas de durer. Absurdement. Il oppose ces deux Etats au sujet de la Baie de Piran. Un bout de frontière maritime sur lequel il semble impossible de trouver un accord… Problème de droit international qui semble insoluble. Avis aux étudiants en droit international ! Le problème, en effet, est passionnant, vu de l’extérieur : il débouche même sur des considérations anthropologiques, un peu désabusées…

Le 11 décembre en tout cas, après bien des péripéties, la Cour de Justice de l’Union Européenne, en la personne de son avocat général, a demandé que « la Cour de justice se déclare incompétente pour examiner le recours formé par la Slovénie ». Car en effet, explique en substance le magistrat européen, le reproche adressé par Ljubljana à Zagreb, celui de manquements au droit européen, est « accessoire » eu égard à la détermination de la frontière, qui relève du droit international.

On eût aimé plus de fermeté, une intention plus ou moins discrètement affichée de résoudre enfin le problème, ou du moins, d’y contribuer. Il est vraisemblable que la procédure enclenchée par Miro Cerar, le ministre slovène des Affaires étrangères, est maladroite et partiellement non pertinente ; mais un magistrat de la CJUE, nous semble-t-il, devrait faire preuve de plus d’esprit de responsabilité et jouer, d’une manière ou d’une autre, de son influence, qui est grande quoi qu’on en dise.

Car il ne faut pas s’y tromper : ces disputes frontalières risquent fort de devenir de plus en plus pesantes dans le climat qui règne actuellement dans les Balkans.

A consulter notamment : https://www.courrierdesbalkans.fr/
Remerciements à B.

 

 

 

 

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