Al Baghdadi mort ? Peut-être, mais…

Incertitudes, bizarreries, postérité

Réfugiée d'Idlib au Liban : une victime d'Al Baghdadi mort tout près de sa ville Foto: DFID-UK/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 2.0Gen

(Marc Chaudeur) – Pour qui suit depuis des années l’ascension et le déclin proclamé de DAESH – bon gré et surtout mal gré, tant il est vrai que nous aimerions voir d’autres personnages que ces psychopathes enturbannés occuper le devant de la scène – l’annonce de la mort du dirigeant de cette bande de monstrueux tartuffes, Al Baghdadi (dont l’un des surnoms était Al Chaba, « le Fantôme »…) rend un son bizarre : plusieurs éléments nous interrogent.

Qu’Abou Bakr Al Baghdadi soit mort, abattu par des engins aériens américains (notamment un hélicoptère Apache) cela n’a rien d’étonnant en soi : les services américains ont annoncé au gouvernement US non moins de cinq fois sa mort ou des blessures graves infligées au Calife auto-qualifié, et les autorités US se sont empressées de transmettre la bonne nouvelle au monde ébahi. Cette fois, l’attaque visait un petit convoi de minibus ou se trouvait Al Baghdadi – ce dernier aurait pris la fuite et se serait fait exploser avec trois de ses enfants « en geignant et en se lamentant comme un lâche », a annoncé son symétrique made in America, le Calife non qualifié Donald Trump. Al Baghdadi était pourchassé depuis 2014.

Mais ce qui nous étonne beaucoup et étonne les experts, ce n’est évidemment pas qu’Al Baghdadi soit mort. C’est qu’il soit mort (s’il est mort) à Baricha, tout près d’Idlib. Prenons une carte de la Syrie : Idlib, ville de 160 000 habitants, se situe à l’extrême Nord Est du pays, sur la frontière turque… Et tout près de la zone Rojava qu’occupent (ou plutôt, qu’occupaient, jusqu’à ces derniers semaines), les Kurdes et les Forces Démocratiques Syriennes qu’ils commandent.

Baricha, cependant, c’est la base de plusieurs groupuscules djihadistes de l’opposition syrienne à Bachar al Assad – et ces groupuscules, Hourras Al Din (« Gardiens de la Religion »!) et Hayat Tahrir al Cham (« Organisation de Libération du Levant ») sont parties intégrantes d’Al Qaida… Le chef de DAESH en compagnie de ses féroces concurrents ?! Vraiment ?

On ne saurait donc affirmer qu’Al Baghdadi avait trouvé refuge là, à Idlib : il n’eût pu y tenir que quelques jours au maximum. Par conséquent, il devait se trouver là dans l’intention d’y remplir une tâche précise, pour un temps bref et limité. Pour parlementer avec Al Qaida et décider d’une collaboration urgente ? Possible : Al Baghdadi avait fait la connaissance de nombre de chefs importants du mouvement concurrent en Irak en 2004, dans le camp immense et terrifiant de Bucca où les Américains l’avaient détenu – et relâché, hélas, au bout de dix mois, le 6 décembre… Savoir ce qu’ils mijotaient peut-être, voilà qui serait intéressant, et essentiel pour la vie de milliers de personnes.

Mais on se pose une deuxième question, plus intrigante encore : voici quelques mois encore, Al Baghdadi a été localisé par d’assez nombreux témoins (ou détenus interrogés) à Baghouz, aux rives du légendaire Euphrate – sur la frontière irakienne donc, exactement à l’autre extrémité de la Syrie. A 650 kilomètres de Baricha ! Comment le Calife sans Califat aurait-il fait pour franchir cette distance truffée de centaines de points de contrôle, de soldats syriens, de combattants kurdes des FDS et de miliciens affiliés à Al Qaida ? D’autant qu’il se déplaçait le plus souvent avec deux femmes et plusieurs enfants ! Il est bien évident qu’on ne peut que s’interroger sur le rôle de la Turquie dans ce mystérieux périple…

A contrario, de nombreux acteurs de la région revendiquent la mort d’Al Baghdadi – s’il est bien mort : les FDS kurdes, qui ont évoqué une opération conjointe avec les Etats-Unis sur 5 mois ; les Irakiens, qui se vantent d’avoir livré les bonnes informations pour la localisation du chef de bande barbu ; les Turcs autour d’Erdoğan de même.

Quoi qu’il en soit, cette disparition est une grande déception pour ceux (et celles) auxquels Al Baghdadi, dans une vidéo filmée au mois de septembre, promettait la libération prochaine des camps de détention du Nord de la Syrie.Des dizaines de milliers de prisonniers…

Il faut craindre que l’histoire de la terreur de DAESH ne fait que commencer : on peut s’attendre à de nombreux attentats partout dan le monde, redoubler de prudence et surtout, de la part des services occidentaux, de perspicacité.

Et les propos stupides de Donald Trump sur la « mort en lâche » de l’ex- dirigeant ne fait que jeter de l’huile sur le feu. Et en Irak et en Syrie, il reste environ 18000 membres armés de DAESH…

 

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