Allemagne : Blitzkrieg flop

Le riche monde intérieur d’un nazi complotiste

Comment faire son deuil d'une mère, d'un enfant ou d'un conjoint ? Foto: Martin Geisler/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 3.0Unp

(Marc Chaudeur) – Le nazi Tobias R. a tué 10 personnes au centre de la ville de Hanau et dans le bourg voisin. Aux dires d’habitants interrogés dans la ville, ce bar à chichas ne présente pas de problème particulier. Une fois n’est pas coutume : nous allons entrer un peu dans le monde intérieur riche et poétique d’un complotiste nazi. Il n’y a pas de raison. Dire : c’est un malade mental à propos d’un nazi, c’est comme dire du fromage qu’il est fait avec du lait, ou même que la choucroute est faite de chou.

Il n’est pas beaucoup plus pertinent, d’ailleurs, de distinguer comme s’il s’agissait de catégories métaphysiques entre « complotiste » (largement d’inspiration américaine) et « nazi » : les deux se recoupent admirablement, comme le simple énoncé des thèses que défend l’assassin le montre à l’envi. Il est plus intéressant à notre sens de pénétrer avec une machette dans la jungle touffue d’un tel esprit malade et d’y recenser les représentations les plus significatives, ainsi que les relations ramifiées qui les lient entre elles.

Tobias R., 43 ans, qui a tué mercredi soir 10 personnes – la plupart à bout portant – a fait don à la postérité d’un document écrit de 24 pages et d’une vidéo, qui dépeignent un monde intérieur cauchemardesque. Celui d’un nazi, souffrant très tôt du délire de persécution et de mégalomanie. Sur l’avant-dernière page du document, Tobias R. écrit, très fier de lui : « J’ai bénéficié pendant les 18 dernières années, grâce à ces jalons que j’ai posés, du privilège de penser en augmentant ma capacité cérébrale (sic) grâce à l’entraînement que m’ont permis ces signaux stratégiques.»

Des « signaux stratégiques » ? Si stratégie il y a, c’est celle à long terme que cet homme raciste et paranoïaque propose aux Etats-Unis : ceux-ci, sur l’initiative de Donald TRUMP que Tobias R. admire éperdument (on le comprend), gagneront la prochaine guerre mondiale, selon lui inéluctable, grâce aux plans géniaux du tueur de Hanau. Si si. Les Américains ? Tobias R. leur a adressé sa vidéo. Il les met en garde contre d’horribles bases militaires souterraines (pires que celles où croupissent les Nibelungen) : « Ils (?) maltraitent, torturent et tuent des petits enfants. Parfois, ils prient et convoquent même le Diable en personne ! »

Tobias R., employé de banque, vivait seul. Il a fait quelques années d’études de gestion d’entreprise à Bayreuth (sans doute y a-t-il rencontré le fantôme d‘Alberich…). Une vie paisible, comme disent les mauvais médias pas très fins. Mais quelque chose coinçait dur depuis son enfance.

En effet, le tout jeune Tobias en lederhosen pensait que quelqu’un le suivait : un service secret malfaisant avec de nombreux employés capables de lire ses pensées, de s’y introduire comme une pièce dans une machine à sous et de les « piloter de loin ». Cette obsession traverse toute son adolescence. A 22 ans, elle devient certitude.

Outre son admiration pour TRUMP, qui en effet, présente des ressemblances avec le jeune Allemand, Tobias R. consacre la plus grande partie de son document à l’exposé de ses convictions racistes et nazies. Chacune de ses assertions est construite de manière cohérente, mais les inférences entre elles sont confuses ; et par ailleurs, l’ensemble est totalement hors de la réalité.

Tobias R. estime qu’il faudrait anéantir au moins une vingtaine d’Etats sur terre, avec leur population. Combien d’Allemands, se demande-t-il, sont « racialement purs, et valeureux » ? Eh bien, conclut-il, « je pourrais concevoir une réduction de moitié de la population allemande ». « Ces individus (les autres) sont à rejeter ; ils n’ont jamais rien fait de bon ». « Au contraire, écrit le nazi, j’ai appris à connaître mon peuple : un pays d’où sortent les choses les meilleures et les plus belles que ce monde ait à nous offrir ». « Les Allemands ont élevé l’humanité plus haut ».

Suit une considération totalement contradictoire, presque schopenhauérienne : « De plus, nous devrions voler sur une machine à remonter le temps et détruire la planète que nous nommons la nôtre, avant que la vie, des milliards d’années plus tard, puisse apparaître. Car nous ne pouvons laisser subsister les effets de tout ce qui s’est passé sur terre, toute cette souffrance de millions d’êtres humains. »

Enfin, Tobias R . s’inquiète beaucoup : si jamais les Etats-Unis disparaissaient comme superpuissance, pourrions-nous encore anéantir ces Etats qu’il est nécessaire d’anéantir ?

Grave question, en effet : comment pourrons-nous, demain, exterminer des centaines de millions d’êtres humains sans le secours des Etats-Unis ?

Voilà donc l’essentiel du monde intérieur de Tobias R., qui vient d’assassiner 11 personnes en comptant la sienne. Qu’on ne s’y trompe pas et qu’on ne se fasse pas d’illusions : le caractère complotiste de ce délire, largement redevable de sites américains pour ados frustrés, se relie parfaitement aux thèses de l’extrême-droite plus « classique » et plus ancienne. Et ce délire jouera à l’avenir un rôle important dans les agissements de l’extrême-droite. Soyons-en sûrs.

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