Allemagne : d’ Angela à Annegret

Une nouvelle CDU, plus sociale ?

AKK dans une posture maritale : le "C" de CDU Foto: Woview7 / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 3.0Unp

(MC) – Voici une semaine, Annegret Kramp-Karrenbauer s’est fait élire à la tête de la CDU, le grand parti chrétien-démocrate conservateur allemand. Comment interpréter cette victoire ? Est-elle porteuse d’un espoir, même modeste, pour l’Allemagne et pour l’Europe de demain ?

Beaucoup, lors des élections de dimanche dernier à Hambourg, avaient misé sur Friedrich Merz ; Wolfgang Schäuble soutient très ouvertement celui qu’il tendait à considérer, peu ou prou, comme son disciple. Excellent orateur, Merz peut faire état d’un curriculum vitae impressionnant – et même, d’une certaine manière, monstrueux (voir notre précédent article sur Friedrich Merz).

Mais le souci est aussi tactique : ne valait-il pas mieux, estimaient de très nombreux membres éminents de la CDU, que le parti soit dirigé par une personnalité très marquée à droite, afin de couper l’herbe sous les pieds de l’AfD, le parti d’extrême-droite qui durant ces dernières années, de 2015 à ces mois-ci, a attiré vers lui toujours davantage de militants et de membres de la CDU, comme le joueur de flûte de Hameln, qui attrapait… les rats en jouant des mélodies enjôleuses, par exemple le Horst Wessel Lied ( vous savez, Die Fahne hoch, etc) ?

C’est ce qu’affirmait dans ses colonnes la tristement célèbre Bildzeitung, qu’en Allemagne on appelle souvent comme on sait la Blödzeitung, c’est-à-dire le Journal Bête Comme Tout… Un autre journal élégant et subtil, le Handelsblatt, prévoyait la fin du monde si Merz n’était pas élu : « Merz oder Untergang » (Merz ou le déclin), titrait-il. Mais il n’est pas sûr du tout que cette analyse soit réellement pertinente.

Curieusement, la personnalité d AKK et son élection font croire à l’entrée d’un vent nouveau dans le parti. « Curieusement » : parce que sa perspective morale et sociétale est très conservatrice (avortement, mariage pour tous) ; AKK en effet en tient pour le « C » de CDU, entendu en un sens plutôt traditionnel et conservateur. Ce qui n’est pas réellement le cas de son rival principal, Friedrich Merz, qui s’intéresse davantage à sa bourse qu’à ses bourses. Mais on a bel et bien le sentiment d’être en présence d’un parti renouvelé, sinon d’un nouveau parti. Pourquoi donc ?

D’abord, quoiqu’on puisse en penser à l’étranger, la candidature de Friedrich Merz a des relents de passé ; elle exhale les souffles un peu miasmeux d’une époque révolue. Elle a d’ailleurs donné des vigueurs nouvelles aux vieux barons du parti…

Et quand la valeureuse Annegret Kramp-Karrenbauer a été élue à la présidence, on a pu se réjouir d’observer le visage figé de Merz-Coeur-de-Pierre qui n’applaudissait pas et semblait pétrifié, justement. Et pourtant, son discours a été médiocre, bien moins bon que celui d’AKK ; et surtout, son programme et ses propositions n’ont pas séduit la majorité des délégués présents. Pourquoi ? A vrai dire, son message rappelait par trop les années 1980 par son affairisme débridé et un certain cynisme même ; une tonalité un peu faisandée qu’on a du mal à entendre aujourd’hui. Et aussi, et peut-être surtout, Friedrich Merz est un revenant : on se souvient qu’il a laissé le champ libre à Angela Merkel et qu’il s’est absenté durant dix ans pour se consacrer aux affaires et au sulfureux Black Rock.

Dix années, cela fait beaucoup ; une demi-génération, et beaucoup de choses ont changé depuis lors. Annegret Kramp-Karrenbauer, elle, incarne un autre style politique : un mode d’être conciliant, calme, sans provocation inutile, plus … catholique que Merz (qui est par ailleurs lui-même catholique…) en ce sens qu’il tend toujours à réunir, jamais ou presque à diviser. Comme Angela Merkel, elle essaie au maximum la conciliation ; comme sa maman-poule, elle tentera de mettre en œuvre des relations prudentes avec la CDU, sans éclats inutiles. Et si elle était élue chancelière, elle pratiquerait une politique étrangère elle même précautionneuse et sans foucades.

Chez AKK, on y trouve un mélange de conservatisme très prononcé, d’enthousiasme européen vif et sincère, de sensibilité très marquée aux problème sociaux et de chaleur humaine, de sens très ouvert au dialogue. Très conservatrice : elle s’est prononcée depuis plusieurs années contre le mariage pour tous, et contre la suppression du paragraphe 219 qui, dans le Droit civil allemand, enjoint la citoyenne d’ entendre les conseils d’un médecin avant de pratiquer l’avortement. Mais en même temps, on l’imagine discuter de points importants, les salaires ou les cotisations sociales par exemple, face à un bock de Paulaner, entourée de quelques dizaines de partenaires politiques et finir par prendre une décision commune et consensuelle, topez là les gars. En cela, on peut relire les 3 lettres de CDU : chrétienne, démocratique, cherchant l’union et non la querelle ou la dissension (à propos de la politique migratoire, par exemple). La droite teigneuse ne s’y est pas trompée : « Wieder eine weiße, häßliche Frau » (“Et voilà ! Encore une femme blanche et laide !”, a twitté le rédac’chef de la revue Edison, que publie le Handelsblatt, le lendemain de l’élection…

Alors, la CDU va-t-elle changer, maintenant ? Peut-être n’en faut-il pas trop demander. Mais grâce à Annegret Kramp-Karrenbauer, en tout cas, nous verrons à l’œuvre surtout l’aile la plus sociale de l’Union, et nous éviterons de nous blesser les yeux devant une surenchère et un glissement de terrain indignes vers des pratiques et des perspectives qui relèvent de l’extrême-droite la plus classique.

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