Allemagne : le droit à l’expression démocratique pour les policiers ?

Les policiers ont-ils le droit de sortir de leur neutralité pour défendre l’état de droit ?

Fascisme et guerre. Anonyme, 1933 Foto: Rijksmuseum/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/ PD

(Marc Chaudeur) – Après le tragique accident de Hanau (11 morts) le 19 février dernier, un policier sarrois, David Maaß, a posté un message sur les réseaux sociaux. Ce message est un appel à la solidarité de la population avec les forces démocratiques, à la lutte contre les mots et les crimes des extrémistes de droite. Problème : un fonctionnaire a-t-il le droit de sortir ainsi de sa réserve, serait-ce pour défendre la démocratie, l’état de droit et ce qui en Allemagne tient lieu de constitution ? Oui, répondent son syndicat et le SPD. Non, beugle le ministre CDU sarrois de l’Intérieur. Un problème important.

Le 22 février, trois jours après l’attentat de Hanau, le policier sarrois âgé de 35 ans éprouve la nécessité de « faire quelque chose ». Il laisse donc ce message plutôt bref, mais explicite et clair sur un réseau social :

« Je suis policier, je suis syndicaliste, je suis antifasciste ! La vieille haine habillée en mots nouveaux atteint apparemment un très grand nombre de personnes dans la population. Une évolution préoccupante ; surtout quand de ces mots remplis de haine naissent de terribles crimes. Il est temps que le noyau de la population et les électeurs protestataires désorientés se solidarisent avec les forces démocratiques de notre société, et expriment un message clair contre la terreur de droite ! Nous vivons actuellement une érosion de l’état de droit que nous devons combattre, en tant que citoyennes et citoyens, avec la plus grande détermination. L’AfD est l’une des bouteuses de feu de l’extrémisme de droite. Elle n’est pas une alternative ; elle est une honte pour l’Allemagne ! Ne construisons aucune passerelle pour les fascistes ! «  (traduit par le rédacteur).

Réactions à ce post : 46 000 commentaires, dont on devine bien qu’un grand nombre était insultant et ordurier. Cela d’autant plus que ce qui a beaucoup frappé les esprits, c’est la photo de David Maaß en uniforme de policier qui accompagnait l’article…

Mais un fonctionnaire, un policier, a-t-il le droit d’exposer ainsi ses opinions politiques ?

Maaß, le syndicat de police GdP et le SPD desquels il est membre répondent oui ! Comme syndicaliste, le policier dispose d’un statut particulier, qui lui donne la liberté d’expression et celle d’association et par conséquent, le droit – et même le devoir – de se poser comme antifasciste. La SPD estime d’ailleurs qu’il faut remercier Maaß pour son courage et la solidité de ses convictions de démocrate.

Au contraire, la CDU, parti duquel est issu le ministère de l’Intérieur sarrois, répond que non. Elle réaffirme la nécessité de la neutralité chez les policiers. Le parti conservateur a même initié une enquête après une plainte de l’AfD… Et il a été question d’une mesure disciplinaire envers le policier. Ce dernier s’en est tout de même sorti avec une grosse engueulade et une convocation à une « discussion de sensibilisation » chez le président de la police régionale. Ce qui n’est pas très agréable non plus.

Et s’il s’était exprimé en faveur des fascistes, la CDU aurait-elle réagi de la même manière ? Pas sûr… En tout cas, le ministère de l’Intérieur a été très critiqué ; cela pour plusieurs raisons. En effet, la « neutralité des fonctionnaires », entendue comme l’interdiction d’exprimer son opinion politique, est loin d’être aussi stricte dans les autres Länder allemands. Et le dirigeant de la fraction SPD au Landtag de Sarre, pour cette raison, a même publiquement envisagé de demander l’abrogation du règlement d’obligation de réserve… Mais il a fini par y renoncer.

Certes, le cas est frappé d’ambivalence, et la CDU ne se prive pas d’appuyer lourdement sur ce point : dangereux, puisque l’abrogation du “devoir de réserve” permettrait aussi à des extrémistes d’affirmer très publiquement leurs opinions.

Reste un critère pertinent, bien évidemment : celui de la conformité des opinions affichées des fonctionnaires avec la défense de l’état de droit et des articles constitutionnels. Le message de David Maaß le respecte parfaitement, assurément, et le SPD de Sarre a entièrement raison de valoriser le courage civique du policier ; d’autant plus que le fonctionnaire savait parfaitement qu’il s’attirerait des ennuis de la part d’un ministre CDU. Bonne opération, donc.

Et cela permet de se concentrer à nouveau sur l’essentiel et sur le contenu même du post de Maaß, le policier-citoyen. Nous devons lutter sans cesse contre la violence et l’extrémisme,qu’il soit fasciste, islamiste ou autre.

 

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