Allemagne : un Mercredi des Cendres plutôt terne

Entre Carnaval grisâtre et projets d’ avenir plus ou moins précis

Annalena Baerbock, co-dirigeante des Verts. Foto: Bündnis90/Die Grünen Bundestagsfraktion / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 4.0Int

(Marc Chaudeur) – Le jour du Mercredi des Cendres, les partis politiques ont pris coutume, depuis les années 1990, de rassembler leurs troupes dans une ambiance à la fois festive et prospective. Lors de cette manifestation, l’ambiance est parfois aussi intéressante que le contenu des discours.

Chacun des grands partis allemands a sa ville et sa salle attitrées, malgré quelques variations inévitables. Certaines chaînes de télé consacrent tout l’après-midi à l’événement : c’est un moment important, du moins on le croit, de la vie politique allemande.

Les conservateurs de la CSU à Passau – de même que les Verts, bizarrement ! -, le SPD à Vilshofen, le FDP à Landshut (traditionnellement à Straubing), l’AfD à Osterhofen… Décidément, cet Aschenmittwoch est un événement essentiellement bavarois. Seuls les Verts ont fait exception puisqu’ils se son retrouvés en Forêt Noire, à Biberach. Et… la CDU, qui a organisé l’événement dans la ville thuringienne d’Apolda, actualité oblige : étaient présents, outre le dirigeant régional Mike Mohring, Friedrich Merz, qui dirigera peut-être bientôt le parti… et le pays, qu’à Dieu ne plaise.

Mais ce n’est pas pour cette raison que tous les autres partis, sauf die Linke, sont tombés sur les Verts à bras raccourcis, que Markus Söder, le dirigeant de la CSU, a clamé avec une certaine lourdeur qu’il n’aimait de verts que les arbres, mais au grand jamais un ministre… Non : les Verts sont devenus le danger principal pour les autres partis ; ils risquent d’emporter des succès très considérables ces prochaines années. Pour un certain temps, du moins. Réjouissante, en tout cas, cette agressivité générale et ciblée contre les Grünen.

A Biberach, Annalena Baerbock et Robert Habeck ont été brillants sur la défense du climat et sur leurs chevaux de bataille écologiques. Beaucoup moins sur l’économie et la justice sociale. Mais ils montrent un ardent optimisme à cet égard : « L’avenir est notre espace de possibilités », a joliment dit Habeck. On apprend vite, en somme. Habeck dont on dit plaisamment (surtout à droite) qu’un journaliste (on ne précise pas le genre) en tombe amoureux tous les 90 secondes.

Cette année, autre caractère marquant : mercredi, on n’a guère manifesté la joie festive ni la verve qu’on avait pu goûter certaines années précédentes. L’heure est grave. Saskia Esken, la co-dirigeante du SPD, nous avait prévenus : ce n’est pas vraiment son truc de faire de l’humour et de donner dans l’entertainment. On s’en était aperçu. En tout cas, son discours a été objectif, net. Projets essentiels du SPD, selon ses dires : la lutte contre l’extrême-droite et pour la justice sociale. Point. Un discours très à gauche, apte à cimenter les militants présents. Mais… Les électeurs ?

L’extrême-droite AfD, à Osterhofen, s’est montrée totalement inconsistante, réduisant son discours politique à une jérémiade du genre : tous des méchants, ils nous veulent tous du mal : un registre parano-extrémiste trop bien connu. Pour ce qui est de son programme économique : nul, puisque ces extrêmes que représentent l’ultra-libéralisme et le protectionnisme intégral, qui se partagent le parti, s’anéantissent eux-mêmes. Stefan Brandner, ancien président jusqu’à l’automne dernier, trempe ses lèvres dans une chope de bière et se répand en griefs. C’est tout.

A Apolda, Friedrich Merz a prononcé un scintillant discours, lui. Il a produit une analyse projective brillante, globale et à peu près exhaustive. Il s’est démarqué de l’extrême-droite assassine (« Ces familles éprouvées, ce sont nos concitoyens. Nous les prenons dans nos bras et vivons ce deuil ensemble »). Et bien évidemment, de l’AfD, qu’il a très soigneusement distinguée du parti à gauche du SPD, de die Linke., parti initialement héritier des bonzes de la RDA, mais qui a considérablement changé depuis 1990… Il a proposé un « nouveau traité générationnel » avec la jeunesse. Il a réaffirmé que l’Allemagne devait être l’état de droit par excellence. Et réaffirmé aussi la nécessité d’une politique plus européenne. Bref, il s’est posé clairement, et d’ailleurs explicitement, comme futur candidat au poste de président du parti.Le Mercredi des Cendres, ça peut aussi servir à cela.

Pour die Linke, Janine Wissler et le vénérable Gregor Gysi (72 ans cette année) aussi ont été consistants, d’une manière différente. Discours brillants (comme toujours dans le cas de Gysi, mutatis mutandi). Nécessité d’une vraie justice sociale et d’une vraie politique non inféodée aux giga-banques. Evocations brèves et pertinentes de la situation mondiale, des ravages et des bienfaits possibles (si on s’y attelle) de la globalisation.

Enfin, un drôle de mélange, en substance : à l’ambiance générale un peu grisâtre de la plupart de ces happenings politiques d’Allemagne méridionale se mêlait quelque chose de fiévreux ; un sentiment d’urgence. Certes, cette urgence n’est pas la même pour tous : pour la droite, renouvellement des capacités et gain d’efficacité du capitalisme. Pour la gauche, plus de justice sociale. Pour les Verts, un monde propre et respirable. Pour l’AfD, sieg Heil. C’est une question de choix.

 

 

 

 

 

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