Asli Erdogan, quand vient le nuage de la nuit

Bak, gece bulutu geliyor (Regardez, voici le nuage de la nuit.) Dernier tweet d’Asli Erdogan avant d’être conduite en garde à vue.

Le 17 Août, l'écrivaine et journaliste Asli Erdogan a été arrêtée en Turquie et personne ne sait ce qui va lui arriver. Que la communauté internationale se fasse forte pour sa libération ! Foto: www.aslierdogan.com

(Par Esther Heboyan) – Accusée d’être « membre d’une organisation » et « agitatrice du peuple », la romancière turque Asli Erdogan est en garde à vue depuis le 17 août. Le quotidien Cumhuriyet du 20 août a publié un texte qu’Asli Erdogan avait posté sur son site (aslierdogan.com) le 9 août. Le titre en est : « Lettre grave et nécessaire ». La romancière évoque le désespoir qui règne dans son pays au lendemain du coup d’état avorté. Mais elle décrit surtout sa solitude en tant que femme et en tant qu’écrivaine.

Ces dernières années, étiquetée « folle, mythomane, calomniatrice, dangereuse », elle eût aimé plus de soutien de la part des écrivains et des journalistes, une mobilisation comme celle qu’on accorde à un auteur homme mis en danger pour ses idées et prises de position. Tandis que le pays traverse des jours sombres, elle appelle ses compatriotes à agir de manière responsable les uns envers les autres.

« J’ai été tellement mise à l’écart et humiliée, j’ai été accusée de tant de délits, que je n’en revenais pas, » écrit-elle. Elle se dit avoir été la cible d’actes de malveillance chez elle et à l’étranger. Elle se savait surveillée et avait détecté un logiciel espion dans son ordinateur. Mais Erdogan dit que tous ses écrits, fiction et chroniques, sont accessibles à qui veut les lire et qu’elle n’a rien à cacher ni à prouver.

Auteure de sept romans dont le dernier s’intitule Le Bâtiment de pierre (Actes Sud, 2013), Erdogan a aussi travaillé pour le journal de gauche Radikal et collaborait jusqu’à récemment au journal pro-kurde Özgür Gündem. Elle s’est exprimée sur des sujets tels que l’histoire et la place des minorités en Turquie, le traitement des femmes, la violence d’État et la violence ordinaire, la souffrance des individus.

Erdogan fait partie de ces rares écrivains, engagés corps et âme, qui se déplacent là où leur présence peut aider une cause. Pour ses engagements, elle a été invitée en résidence d’écrivain à Cracovie en 2015, dans le cadre du programme ICORN (International Cities of Refuge Network). Plusieurs pétitions, dont celle d’ICORN, réclamant la libération d’Asli Erdogan ont été lancées. Quelques voix s’élèvent dans les colonnes du journal Cumhuriyet, dont l’une qui qualifie l’affaire Asli Erdogan de « Nouvelle honte pour la Turquie ». La presse allemande s’est intéressée au sort de l’écrivaine bien plus que la presse française.

Physicienne de formation, Erdogan a le souci de l’investigation objective. Il en découle une obstination éthique. « Connaître la vérité, même la plus terrible qui soit, est libérateur, » dit-elle. Cette stratégie d’écriture ne s’arrête pas à un réalisme savant ou pointilleux. Le lyrisme accompagne la mélancolie des héroïnes d’Erdogan. Dans Le Mandarin miraculeux (Actes Sud, 2006), une jeune femme turque, qui a 27 ans et qui n’a plus qu’un œil, marche dans Genève, observe, se souvient et écrit le soir dans les cafés :

« Le silence est songeur, naïf et tendre. Tendre comme un baiser, doux comme un sourire. On n’entend même plus le bruit de mes pas. Mon corps s’est allégé, je suis un voyageur sans bagage. Un voyageur sans corps. Plus rien ne me tourmente, plus rien ne me fait peur. Parce que la peur, comme le désir, est dans la chair. Je suis purifiée, sanctifiée. » (p. 94)

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