Quand nous serons grandes, nous irons toutes au Parlement

La romancière Esther Heboyan sur les merveilleuses possibilités de carrière comme assistante parlementaire…

Etre fille de... ou épouse de... peut faciliter une carrière comme assistante parlementaire... Foto: rawpixel.com / Wikimedia Commons / CC0 1.0

(Par Esther Heboyan) – À la veille d’une retraite pas méritée du tout – après 43 ans de service dans l’enseignement et la recherche, mais si ! dont 3 jamais comptabilisés, par sa bêtise et une réglementation-accordéon ! – elle se dit qu’elle a raté sa vocation. Assistante parlementaire. C’est ce qu’elle aurait dû devenir.

C’est en tout cas ce qu’elle deviendra dans une autre vie. Bon, certes, elle a toujours rêvé d’être réalisatrice de films, elle avait et a toujours des histoires à raconter. Mais elle est prête à faire une concession : elle veut bien devenir assistante parlementaire. Pour suivre des dossiers (elle sait lire, en plusieurs langues même). Rédiger des notes (elle sait écrire). Assister à des réunions (elle peut se caler dans un fauteuil, facile !). Rapporter des impressions (à défaut d’idées). Faire partie d’une élite, d’un réseau, naviguer non pas avec sa carte Navigo mais en voiture privée, what else ? Assistante parlementaire ! Le job rêvé pour toute femme, jeune ou moins jeune. Pour paraître. Paraître en société, dans les magazines, à Megève, à Genève, au Parlement chez les parlementaires absents, dans les couloirs de l’Assemblée réunie ou désassemblée, bref, dans les sphères inaccessibles à tant de créatures sans imagination, les pauvres !

Mais pourquoi n’a-t-elle jamais songé à briguer un poste d’assistante parlementaire ? Pour se sentir utile à elle-même d’abord, à la société ensuite. Pour encaisser de l’argent public (mais cela, il ne faudra pas le crier sur les toits et il faudra toujours, toujours se méfier des journalistes trop fouineurs, ces fouille-merdes, comme on dit communément).

Mais pourquoi la conseillère d’orientation du collège n’a jamais présenté aux filles de la classe le métier d’assistante parlementaire ? Elle ne se souvient pas non plus d’avoir trouvé une fiche « assistante parlementaire » parmi les fiches de l’ONISEP (Office National d’Information sur les Enseignements et les Professions). Mais pourquoi, bon sang, le médecin scolaire, blouse blanche et sourcils en brosse, était plus intéressé par les poils pubiens des élèves que de leur vocation professionnelle ?

Ah ! si quelqu’un, un prof, le prof principal, l’assistante sociale, une voisine un peu éclairée, une copine râleuse lui avait dit : Quoi ! Tu veux un métier, ma fille ? Tu veux faire de longues études et devenir quelqu’un ? Tu veux gagner ta vie en gagnant un salaire ridicule toute ta vie ? Mais deviens assistante parlementaire ! T’as rien à faire et t’es payée quand même ! Et ce n’est pas un petit article de journal qui va te faire descendre de ton piédestal, ni t’empêcher de fouler les tapis rouges de la terre, ni de publier tes mémoires en engageant un écrivain public ou un écrivain-fantôme.

À l’approche de la retraite, elle se dit qu’elle a trouvé sa voie pour sa seconde vie. Elle reviendra rajeunie, rafraîchie, revigorée à force de soins et gommages, d’initiations vaguement intellos, de contacts sublimement prestigieux. Seule ombre à son imagination : elle a oublié un détail : elle ne sait pas si dans cette autre vie, elle sera réincarnée en fille de ou femme de. Après 2021+ ans d’humanité, le destin peut jouer, pardon, peut performer des tours aux prétendantes plus ou moins bien loties, en mal de.

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