Au Bélarus, des Femmes en blanc

Une révolution féministe ?

A Minsk Foto:TUT.BY/CC-BY-SA/4.0Int

(Marc Chaudeur) – Même en France, où la grande majorité n’a que faire des événements extraordinaires qui se déroulent à l’heure actuelle et depuis un moins au Bélarus, ce pays d’Europe orientale, donc d’Europe, l’apparence des manifestations et de leurs participants frappe. On y voit très souvent nombre de femmes, habillées de blanc, tenant des bouquets blancs et adoptant des attitudes résolument pacifistes, voire empreintes de tendresse envers ces monstres en noir qui les agressent et arrêtent leurs frères et leurs maris. Que se passe-t-il au juste en Bélarus, le pays du brutal Loukachenka, au pouvoir depuis 26 ans ?

Une « révolution féministe », comme le clame un publiciste bien connu à Minsk et lui-même opposant ? Un certain nombre de « Marche de Femmes » a été organisé depuis le 9 août : des milliers de participantes, robe blanche, fleurs blanches, bannissant tout ce qui pourrait ressembler à des actes violents ; et on est saisi, parfois fasciné par l’impressionnante adresse tactique et le discernement des manifestantes quant à ce qu’il convient de ne pas faire et aux erreurs qu’il faut absolument éviter. Le pacifisme très apparent et très conscient des manifestantes, certains jours, semble extraordinaire dans une telle dictature.

Un événement – ou une succession d’événements – qui s’inscrira dans l’histoire du féminisme au sein de cette partie de l’Europe, c’est incontestable : en témoigne, le fait même… d’oser prononcer ce mot presque tabou de féminisme pour deux raisons à première vue contradictoires : parce que comme en France ou en Allemagne, ce mot sonne hélas péjoratif et démodé ; et parce qu’en Bélarus, il est encore assez dangereux à prononcer, comme il le redeviendra en France dans quelques années.

Par ailleurs, et de plus en plus, les manifestantes (et parfois, des manifestants…) portent des revendications féministes au sens classique du terme : mettre à bas le patriarcat ; égalité des conditions et des revenus. Et fin des violences domestiques ; cette dernière revendication importe beaucoup dans un pays où comme chez le grand voisin, alcoolisme masculin et torgnoles conjugales sont particulièrement répandus et… banals.

Reste que si après le 8 août, ce mouvement est né et a pris une telle ampleur, c’est que jamais il n’avait aussi bien « mordu » sur l’ensemble de la société civile, avec ses caractères spécifiques. Ce qui implique que comme quelques féministes bélarusses l’ont bien souligné, les rôles ont été une fois de plus distribués par les hommes : si les trois Grâces occupent aujourd’hui un rôle de premier plan, c’est parce que leurs maris ou compagnons, emprisonnés, leur ont demandé de les remplacer à la tête des forces de renouvellement.

Et cela a admirablement fonctionné, surtout parce que ces femmes sont apparues avant tout comme des membres assez ordinaires de la société – du moins, de ce qu’on peut qualifier de classes moyennes de la capitale, Minsk. Au point que Sviatlana Tsikhanovskaia, la candidate aujourd’hui à l’abri avec ses enfants à Vilnius, a déclaré d’une voix douce au moment des élections qu’elle préférerait se trouver avec sa famille, en train de faire cuire des côtelettes…De quoi Loukachenka a fait des gorges chaudes. A tort.

Jusqu’au printemps 2020 dominait une passivité certaine, ce que certaines féministes qualifient de complicité objective avec le régime Loukachenka. Mais au moins 80% des personnels soignants sont féminins – et cela a joué un rôle essentiel dans le soulèvement, qui a été largement une révolte contre le mépris affiché, l’absence totale d’empathie que manifestait le dictateur envers sa population atteinte de la COVID-19. Qu’il manifesté de nombreuses fois au fil de ses 26 années de pouvoir, mais jamais à ce point, vécu comme particulièrement scandaleux.

Et voilà que cette fois, la société civile toute entière se réveille ? Et avec elle, une énergie de renouveau social jamais vue auparavant. Quelques intellectuelles du pays, et pas seulement à Minsk, s’exaltent de ce bouillonnement : jamais depuis 1945 on n’avait vu de tels élans créatifs dont l’intention est de mettre en forme partout où c’est possible de nouvelles formes d’auto-organisation : dans les entreprises (où cela présentera d’immenses difficultés !), dans l’organisation des études et l’entraide entre étudiant(e)s, dans la création et la diffusion  artistiques…

On ne se rend pas bien compte, en France (mais cela viendra peut-être encore…) à quel point ce qui se passe autour de Minsk est passionnant et le deviendra plus encore au fil du temps. Si du moins nous faisons notre possible pour que ce soulèvement ne soit pas écrasé par l’OMON et les spadassins de Loukachenka. Et ensuite, par les rouleaux compresseurs du libéralisme, dont il faut prévoir de fumants dégâts aussi.

 

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