Au-delà d’une grève qui dure…

… des coulisses qui s'explorent !

Alain Howiller jette un regard sur le rôle des syndicats dans les conflits actuels. Foto: Patrice CALATAYU from Bordeaux, France / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 2.0

(Par Alain Howiller) – Il est loin, le temps où Nicolas Sarkozy plastronnait en lançant : « Désormais, quand il y a une grève, personne ne s’en aperçoit ». C’était en 2008. Il est plus loin encore le jour où, en 1936 (!), Maurice Thorez, alors secrétaire général du Parti Communiste Français, lançait : « Il faut savoir terminer une grève… » Une phrase souvent citée ces derniers temps, du Premier Ministre au dernier des militants du parti d’Emmanuel Macron qui oublient de citer le propos dans son intégralité : « Il faut savoir terminer une grève, dès que la satisfaction est obtenue ! »

Ça change évidemment tout et on ne peut que s’interroger sur la sortie de la grève désormais la plus longue de l’après-guerre. On peut aussi essayer de s’interroger sur le contexte d’un mouvement qui, au delà de la contestation de la réforme du régime des retraites, s’inscrit dans une constellation particulière. Une constellation dominée par trois « étoiles » : Edouard Philippe, le Premier Ministre, Philippe Martine, secrétaire général de la « néo-marxiste » CGT et Laurent Berger, secrétaire général du syndicat « réformiste » CFDT qui, dans une interview (Libération du 2 Novembre 2017) avait déclaré : « Je suis persuadé que le syndicalisme est mortel ! »

Rapprochement avec les gilets jaunes  – Une phrase qui amène, d’entrée de jeu, à préciser la situation du syndicalisme en France. Sa position de faiblesse, liée aussi bien au taux de syndicalisation – un des plus bas de l’Union Européenne – qu’à une concurrence inter-syndicats née d’un nombre trop élevé de centrales, cultive des mouvements de frustration qui alimente trop souvent une violence destinée à se faire entendre. Il faut bien dire qu’elle n’a pas été perdue, la leçon des « gilets jaunes » qui, à la fin de l’année dernière, avaient forcé, par la violence, les pouvoirs publics à lâcher plus de moyens que ceux que les syndicats avaient obtenu lors de leurs actions au fil des mois. C’est ce constat qui a poussé les syndicats partisans « jusqu’auboutiste » d’une grève longue à se rapprocher des gilets jaunes. Ces derniers ont également compris tout ce que ce rapprochement avec des forces organisées pouvait leur apporter : les outils de négociation et de pression nécessaires pour faire aboutir leurs revendications. Aussi bien la CGT, qui retrouve son vieux rôle de courroie de transmission politique contre le pouvoir en place, que FO ou Sud assument maintenant une convergence refusée jusque là.

La faiblesse des syndicats se traduit à travers ce chiffre : 11% des salariés français sont syndiqués contre une moyenne de 23% dans les pays de l’Union Européenne (18% en Allemagne, 20% aux Pays-Bas, 26% en Grande Bretagne, 28% en Autriche et… 35% en Italie). Au delà du rapprochement avec les gilets jaunes, le durcissement d’une partie (les syndicats dits « réformistes » représentent plus de 50% des voix issues des élections professionnelles) du front syndical s’explique aussi par un essai de « re-syndicalisation », les effectifs des diverses centrales ayant diminué tout particulièrement depuis 1990 : malgré une légère remontée du taux de syndicalisation entre 1970 et 1975, les salariés sont trois fois moins nombreux qu’il y a cinquante ans. La CFDT, la moins touchée par l’érosion, revendique 620.000 adhérents, la CGT 650.000, FO 500.000, l’UNSA 360.000, la CGC (cadres) 160.000 et la CFDT 140.000. Pour autant, il ne faut pas oublier que les syndicats dits réformistes (CFDT, CFTC, CFE-CGC, UNSA) représentent plus de 50% des syndiqués français.

La grève pour « re-syndicaliser » ? – Cet effort de « re-syndicalisation » dont les partisans de la grève espèrent bénéficier (tout dépendra évidemment de l’issue du mouvement) s’accompagne d’une compétition entre les diverses forces syndicales : la CGT qui a perdu sa place de premier syndicat de France avec 26,39% des voix aux élections professionnelles (délégués du personnel, élus aux comités d’entreprises,prud’hommes etc…) au profit de la CFDT (24,85% aux élections professionnelles) aimerait bien retrouver sa primauté alors que, parmi ce qu’on appelle les quatre syndicats représentatifs reconnus, FO a totalisé 15,60% des voix et la CFTC 15,60% des votes. C’est dire que si la grève a pour Edouard Philippe et le gouvernement un enjeu politique et électoral à quelques semaines des élection municipales des 15 et 22 Mars, pour les syndicats, l’issue du conflit a un enjeu de représentativité. Outre le fait que l’émergence de deux blocs (les « pour » la grève d’un côté, les « contre » de l’autre) relance la division syndicale, le « champ de bataille » de la retraite va laisser des « morts » et des « blessés » sur la route.

Rien ne dit que les acteurs du conflit s’en tireront sans dommages. Le Premier Ministre, droit dans ses bottes comme avait essayé, en 1995, de l’être son mentor Alain Juppé contraint finalement de renoncer par la rue à son projet de réforme des retraites et de la Sécurité Sociale, sortira-t-il grandi ou affaibli d’un conflit largement nourri par la rigidité de ses promoteurs-auteurs d’un projet mal expliqué, compliqué et, pour tout dire, illisible et incompréhensible pour une large part des Français ? Pour certains observateurs, Bruno Le Maire, l’actuel Ministre de l’Economie et des Finances, serait prêt à reprendre le flambeau de Matignon, si par aventure le titulaire du poste de Premier Ministre devait trébucher ! Les leaders syndicaux, de leur côté, jouent leur place et celle de leur centrale avec l’issue du conflit. Cela est notamment vrai pour Philippe Martinez dont la centrale a perdu 3,4% d’adhérents en un an. En Mai dernier, le 52ème congrès de la CGT a reconduit Philippe Martinez, élu pour la première fois en 2015, au poste de secrétaire général du mouvement : mais un peu plus de 27% des congressistes avaient voté contre lui et près de 7% s’étaient abstenus et plusieurs amendements préparés par le secrétariat général avaient du être rangés dans les tiroirs faute de majorité suffisante.

Le dirigeant doit tenir compte de son opposition et la manière dont il se sortira du conflit actuel jouera sur son avenir. A cet égard, ses risques sont aussi élevés, toutes proportions gardées, que ceux que le Premier Ministre, critiqué dans les rangs de sa majorité, doit affronter. Il n’y a pas que la réforme de la retraite qui est en jeu !

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste