Belarus : douche tiède

Attention : la contre-offensive se prépare...

Au Trocadéro dimanche soir à 18 heures, Chaîne de Solidarité avec le Bélarus Foto: mchaudeurojournalist/CC-BY-SA/4.0Int

(Marc Chaudeur) – La semaine dernière a peut-être marqué l’apogée de la contestation. L’un de ces moments privilégiés où on a tendance à croire aux progrès de l’Histoire. Pourvou qué céla doure sur cet élan. Mais beaucoup de nouvelles de Bélarus vont en sens inverse, et sans doute les Bélarusses devront-ils de tout urgence trouver des moyens de lutte appropriés contre ce qui semble se préparer.

«  L’ordre, n’est-ce pas mettre du bordel dans le désordre ? », nous suggère le Chat de Gelluck. Ce grand philosophe a raison. L’ordre social et politique, en général, c’est le désordre ; à plus forte raison dans le Bélarus de Loukachenka. Il faut y mettre le désordre, dans ce désordre. De préférence sans causer de violence.

On aimerait continuer à surfer sur ces images merveilleuses de Femmes en blanc, de policiers KGB qui baissent leur bouclier, des excuses de personnages haut placées, par exemple à Hrodna, près de la frontière polonaise, ou à Brest, de l’autre côté du pays. Continuer à voir se poursuivre cette révolution pacifique – cette Révolution des Oeillets Blancs qui semblait enclenchée. Mais bien des choses inquiétantes couvent depuis mercredi. Que se passera-t-il, ce week end  ? Une confrontation ? Déjà, des manifestations contradictoires ont lieu à Minsk : d’un côté, des centaines de milliers de personnes veulent se débarrasser de ce dictateur brutal et cauchemardesque ; de l’autre, de nombreuses personnes désirent conserver cette sécurité congelée, cette paix des cimetières que le régime a établie depuis un quart de siècle.

On a vécu des événements positifs ces deux derniers jours, notamment la création d’une équipe appelée à construire le changement, autour de Sviatlana Tsikhanouskaia et du Prix Nobel de la Paix 2015, Sviatlana Aleksievitch, qui nous a tant appris sur Tchernobyl. Réfléchir aux cadres sociaux et politiques pour l’avenir et les préparer est évidemment nécessaire. Par ailleurs, les grèves ont connu une extension relativement importante, surtout à Minsk, à Hrodna, à Brest et à Homiel. Mercredi a été le jour où une quantité considérable d’informations a émergé au grand jour : elles portent sur les meurtres, les exactions, les tabassages et les enlèvements de la semaine du 10 au 17 août. On a pu apprendre que malheureusement, au moins 76 personnes avaient disparu.

«  Disparu » : c’est-à-dire qu’un certain nombre d’entre elles sont mortes, certaines autres sans doute se trouvent en détention… on ne sait où ! Rendons leur hommage, à ces personnes courageuses et sincères. Gardons par exemple la mémoire d’un homme admirable : Kanstantin Chichmakov, 29 ans, directeur du Musée historique d’une petite ville, membre d’une commission électorale, a refusé d’entériner les résultats falsifiés de l’élection du 9 août. Et puis quelques jours plus tard, il a… disparu. Les autorités du bourg où il travaillait ont organisé un rassemblement et les autorités locales ont demandé : «  Où est passé Kanstantin Chichmakov ? » Eh bien, le corps du jeune homme a été retrouvé le 18 août dans un bois.

Mais on ne peut pas ne pas craindre que Loukachenka soit passé à la contre-offensive. Bab’ka (Papa), comme l’appellent certains, ou le Cafard, comme le nomment d‘autres – ou les mêmes -, ne se laissera pas faire comme le grand méchant loup pris en défaut d’un conte russe. Mercredi, il a nommé le Premier ministre de son gouvernement fantôme non reconnu par la communauté internationale. Dans la foulée, il a aussi nommé (c’est normalement le rôle du Premier ministre) l’ensemble des membres du gouvernement. Par ailleurs, la police a procédé à quelques actes de répression des grèves, des actes qu’on n’avait plus vus depuis la fin du week end dernier.

Et notamment à Hrodna, dans l’usine Hrodna Azot, une grande entreprise d’État parmi toutes celles qui ont peu changé depuis la Pré-Perestroika. Une entreprise clé dans l’esprit de Loukachenka, à plusieurs égards : par l’importance numérique de ses employés, son rendement correct, et… sa situation socio-géographique. En effet, cette ville de 400 000 habitants se situe à la frontière polonaise, et une bonne partie de sa population se compose de Polonais. Or, Loukachenka fait mine de croire (ou croit réellement, dans sa paranoïa grandissante) que la Pologne prépare une vilaine agression, gnerk gnerk, en profitant du supposé chaos qu’engendreraient les grèves ! Mais la Pologne a d’autres chats à caresser, croyez moi.

Pas tout à fait idiot tout de même, Loukachenka ne s’en est pas pris directement aux milliers de grévistes, mais au comité de soutien qui les encourageait devant l’usine. Et parallèlement, il a annoncé que dans l’ensemble du pays, tout gréviste serait licencié.

Pour ce qui est de l’intervention russe, tant crainte, elle aura lieu, sans doute… Mais sans doute pas à coups de tanks et d’AK 47. Se préparent plutôt deux types de scénarii, comme le voient bien les meilleurs experts : un scénario “arménien” (aide directe à une révolution qui ramènerait une stabilité réelle) ou bien un scénario à la moldave ( une déstabilisation  par l’organisation de mouvements politiques démocratiques apte à assurer un nouveau contenu politique à l’usage de la société civile. Cela paraît quelque peu cynique, mais le Bélarus demeurera nécessairement dans l’aire économique de la Russie – essentiellement par le pouvoir du pétrole russe et de son prix cassé – à moins d’une grave confrontation : l’Occident n’a pas préparé le terrain pour asseoir réellement son influence autour de Minsk.Nous y reviendrons ces tout prochains jours.

Enfin, le dictateur a annoncé d’une manière à peine voilée qu’en cas de manifestations importantes et surtout, de grèves dans les entreprises clés de Minsk, il ne voyait pas ce qui l’empêcherait de sortir ses chiens de garde pour rétablir l’« ordre ». Du moins, son ordre. C’est-à-dire le désordre où il convient de mettre le désordre, comme le dit notre grand Maître, le Chat de Gelluck.

 

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