Confinement : les ventes en ligne

Des concepts de « première nécessité » et d’ « objets prioritaires »

Amazone (de Wladimir de Vries, à Groningen) Foto: Gerardus/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/ PF

(Marc Chaudeur) – Ces dernières semaines, les commandes et les ventes en ligne s’abattent sur l’Europe. Normal en temps de confinement, durant lequel la plus grande partie des magasins est fermée. Mais avons-nous besoin de tout ce que nous commandons ? Et en manquant de discernement et de mesure, ne risquons-nous pas de nuire grandement au commerce classique, une fois le problème COVID-19 réglé, dans quelques mois ou dans deux ans ?

Pour essayer de circonscrire le problème et de recourir à des pratiques conformes à la nouvelle situation (diminution drastique du personnel, notamment), la plus grande entreprise de distribution en ligne, Amazon, a décrété qu’elle n’assurerait plus que la livraison des « produits de première nécessité ». Mais comment peut-on définir la « première nécessité »?

Parmi ces produits, sans doute, les produits d’entretien et d’hygiène. L’humoriste allemand Dieter Nuhr s’est renseigné sur ce point. Il a découvert que le produit le plus vendu en ligne dans son pays, actuellement, c’était un produit purificateur de l’air, sentant la rose et le muguet et en forme de coin-coin au long cou. Eh bien, si c’était vrai, cela n’aurait rien de honteux. Mais renseignement pris, c’est même pas vrai. C’est pas bien de mentir, Dieter. C’est pas bien de mépriser le peuple, qui a bien assez de problèmes comme ça.

Reste la question : qu’est-ce qui est « de première nécessité » et donc, aux yeux des dirigeants d’Amazon dont son célèbre Boss, Jeff Bezos, « prioritaire »? Pour résoudre ce problème métaphysique, le média ActuaLitté a pris le canard par le cou et a posé la question directement aux intéressés. Résultat : pas de réponse claire. Les journalistes ont donc procédé de façon très pragmatique : ils ont commandé eux-mêmes divers objets, pour constater lesquels des produits que livrent les bataillons de livreurs d’Amazon paraissent « prioritaires » aux yeux de ces derniers.

Eh bien, croyez m’en si vous voulez : les livres commandés sont arrivés ! Avec une attente de 2 semaines, ce qui est nettement plus long qu’avant l’irruption du virus dans la bergerie des braves citoyens ; mais ils sont bien arrivés. Oh, certes, avant tout quelques junkbooks, les meilleures ventes dans les supermarchés, où on les écoulait massivement il y a quelques semaines : La Vie secrète des fourmis, euh non, des écrivains, de Musso, ou encore La Cerise sur le schwarzwälder, de Jennifer Valognes, mais, une fois encore, allons allons, ne soyez donc pas si méprisants !

Mais les gens d’ActuaLitté ont aussi commandé… des sex toys. Absolument « de première nécessité », bien sûr. On apprend donc avec certitude quels sont, aux yeux d’Amazon, les objets absolument indispensables à notre existence d’ici-bas. Mais peut-être eût-il fallu mener l’enquête plus loin encore : parmi les dizaines de types de sex toys proposés, lesquels au juste sont plus indispensables que les autres ? J’ai bien une idée là dessus, vous pensez bien, mais je vous connais, elle n’est sans doute pas la vôtre. Voyez-y donc par vous mêmes. Ou plutôt n’y voyez pas, puisque cela supposerait une ou plusieurs commandes à Amazon. Ce qui n’est pas nécessairement bénéfique au commerce classique.

En effet, la résistance aux diktats de la méga-entreprise essaie de s’organiser ; difficilement. Dans la branche des sex toys, mais aussi dans celle des livres. Un sujet délicat. Beaucoup de libraires continuent leur activités, ce qui suppose précisément de faire appel aux services de livreurs. D’autres cessent tout simplement d’exercer leur métier en attendant des jours meilleurs.

Mais d’autres encore – et voilà qui est intéressant – comme le réseau Librest ou LaLibrairie.com, exercent de fait une modeste concurrence envers Amazon : ils règlent eux-mêmes leurs commandes et les livrent eux-mêmes.

La solution peut-elle se trouver dans ce modèle réduit de réseau en ligne, à petite échelle, bien circonscrite, et par-delà le capitalisme commercial gigantesque et glouton ? C’est une piste intéressante, en tout cas. Ce n’est pas plus difficile, de toute manière, que de bien commencer son lundi dans la joie et la bonne humeur.

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