Convoitises américaines au Groenland

Antilles danoises, ségrégation raciale aux Etats-Unis et Frères moraves

Les Frères moraves, un élément clé de la colonisation danoise Foto: marcch/Eurojournalist/

(Marc Chaudeur) – La proposition d’achat du Groenland par Trump a fait beaucoup de bruit ; nous en avons traité déjà dans Eurojournalist. Certains aspects fort intéressants ont cependant à peine été effleurés par les médias. Retour sur quelques éléments d’ une histoire pas si folle que cela, où dans une perspective historique, on pourrait dire que Trump a eu le grand tort de la maladresse, avant tout…

On l’a dit dans un précédent article : l’achat d’un territoire n’est nullement une nouveauté, et on s’est bien moins scandalisé de l’achat de la Corse par la France ou de l’immense Louisiane par les Etats-Unis à la fin du 18e siècle. Il est vrai que les manières de capitalo-rustaud de Donald Trump, si anti-diplomatiques, ont beaucoup joué dans cette indignation consensuelle.

Un élément savoureux et à méditer : la ségrégation raciale qui sévissait aux Etats-Unis (jusqu’aux années 1960, rappelons-le) a joué un grand rôle dans les relations entre Etats-Unis et Danemark. Surtout au cours de la principale opération « commerciale » effectuée dans les colonies danoises. Le royaume des smørrebrød et de Kim Larsen (RIP) a vendu les Iles Vierges aux Etats-Unis en 1917, récemment donc, pour 25 millions de dollars. Ces Iles , découvertes par Colomb et colonisées d’abord par les Espagnols, ont été délaissées ensuite ; puis le Danemark les a récupérées à partir de la deuxième moitié du 17e siècle. Principalement par l’action du roi Frederik III.

Les tractations ont été longues, entre le royaume danois et les Etats-Unis, pour le « transfert » (on utilise souvent ce terme, dans les document, par pudeur, pour éviter le terme « rachat ») de celles des Iles Vierges qui lui appartenaient : St Thomas, Ste-Croix et St Jean… Elles ont commencé en 1867. Accord conclu – mais en dernier lieu refusé par le Sénat américain ! On remet cela en 1899, mais cette fois, c’est le Danemark qui refuse. Les Américains, pressés, sont fâchés : c’est l’époque de la construction du Canal de Panama, et les Iles Vierges présentent pour eux un intérêt stratégique majeur.

En 1915, en pleine guerre, les Américains insistent pour la troisième fois. Mais au mois d’octobre, l’ambassadeur danois rompt les discussions. Le motif principal de ce refus est le triste état des droits civiques au pays de Lincoln, et surtout, la perpétuation certes hideuse et impensable de la ségrégation raciale qui y sévit ! Voilà qui est savoureux : le petit Danemark rabat le caquet de ces donneurs de leçons hypocrites, de ce Woodrow Wilson grandiloquent !

Le Danemark exige donc que les habitants des Iles acquièrent la pleine citoyenneté américaine, et que la législation raciste des Etats du sud n’y soit pas appliquée. Enfin, en janvier 1917, le président Wilson signe l’achat des Iles pour la somme énorme de 25 milliards de dollars. Une somme disproportionnée.

Mais au fond, quel rapport avec la grande possession du Danemark, le Groenland ? Avant toute autre chose, il y a les Frères moraves, les Herrnhuter. Cette communauté d’origine saxonne et d’inspiration luthérienne-piétiste a évangélisé le Groenland dès le 17e siècle. Et elle a gagné les Iles Vierges fin 1732. Les bulletins qu’elle publie aux 18e et 19e siècles témoignent de l’ambigüité de son activité évangélisatrice parmi Inuit et esclaves : démocratique dans son esprit, elle ne laisse rien passer quant aux mœurs et à la tenue… Coupe au bol pour les Inuit, vêtements « décents » pour les anciens esclaves africains. Démocratie pragmatique, universalisme évangélique et moralisme autoritaire se mêlent étroitement, et ils s’impriment profondément dans les mentalités. Les Frères moraves sont la veine souterraine qui court au fondement des mentalités coloniales, chez les lointains sujets du Souverain danois.

Enfin, pour ce qui concerne le Groenland, à notre connaissance, Vivian Motzfeld, le président du Parlement de la grande Île, semble n’avoir toujours pas exprimé son sentiment quant à la demande de Trump… Etrange, non ?

 

 

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste