Covid-19 : entre « centralisme » français et « fédéralisme » allemand

Alain Howiller se pose la question : en cas de crise, est-ce le « centralisme » français ou le « fédéralisme » allemand qui apporte les meilleures réponses ?

Le centralisme français a engendré lenteurs et couacs, le fédéralisme allemand nous a apporté ceci... Foto: Eurojournalist(e) / CC-BY-SA 4.0int

(Par Alain Howiller) – C’était il y a un peu plus de trois ans, en mai 2017. Emmanuel Macron venait d’être élu Président de la République et Angela Merkel le recevait à Berlin avec une citation du poète Hermann Hesse qui a laissés pantois et interloqués les témoins de l’événement : « Jedem Anfang wohnt ein Zauber inne, der uns beschützt und der uns hilft zu leben » (« Tout début est habité par un charme magique qui nous protège et nous aide à vivre »). Pendant le Covid-19, les deux protagonistes de cette première rencontre à Berlin ont-ils pensé au texte du poète de Calw ? On ne peut que leur conseiller de se reporter au poème qui rappelle que rien n’est éternel !La pandémie ne l’est pas, les institutions non plus.

C’est la leçon que, sans doute, retiendront les historiens qui, dans l’avenir, se pencheront sur les semaines que nous venons de vivre et que, d’une certaine façon, nous vivons encore ! Les éditorialistes, quant à eux, observeront avec le plus grand intérêt la manière dont les acteurs de la politique transformeront en actes les leçons tirés de la crise sanitaire. Pour Emmanuel Macron, il s’agira, disait-il dans une interview sur Europe 1 du 30 Mars, de tirer « toutes les conséquences de la crise… Rien ne sera plus comme avant ! » Chiche ?

Pari du changement ou changement de pari ? – Le pari du changement que le Président voulait incarner à travers son élection pourrait bien être difficile à tenir tant les gênes du passé semblent être enracinées dans les habitudes. Dans quelle mesure les institutions sauront-elles évoluer ? En France, saura-t-on tirer la leçon des nombreux « couacs » qui ont émaillé la gestion gouvernementale de la crise ? Une gestion centralisée, bien dans la tradition d’un Etat où tout est décidé, où tout vient du sommet de la pyramide parisienne relayée « en province » par un corps de préfets aux ordres depuis leur création par Napoléon 1er ? Pour Cyrille Schott, ancien Préfet de Région, ancien Préfet du Haut-Rhin, ancien collaborateur de François Mitterrand à l’Elysée : « L’Etat unitaire offre l’avantage d’une direction unifiée de la manœuvre à l’échelle de la nation et d’une capacité de décision plus rapide. En revanche, il court le danger de prendre moins en compte la diversification des situations locales et la souhaitable concertation avec les collectivités décentralisées. » Et de déduire : « L’Etat central a trouvé ses limites. »

Président de l’ICA (« Association Initiative Citoyenne alsacienne ») Pierre Klein, après avoir comparé la lutte menée contre la pandémie en Alsace (Etat centralisé) et (pour les Etats fédéraux) au Bade-Wurtemberg et dans le canton de Bâle-Ville, constate : « La France a depuis trop longtemps perdu de vue que l’efficacité de l’Etat pouvait aussi résulter du partage du pouvoir, de son rapprochement avec ceux qui le subissent et de la participation que ce partage génère… Les défauts du centralisme qui génère déresponsabilisation et assistanat ne sont-ils pas crûment mis à jour ? Dans une France fortement décentralisée, les collectivités auraient une part dans la prise de décision, comme il y aurait plus de diversité dans les approches et plus d’innovation… »

Dégraisser les structures de l’Etat. – Il est regrettable que tout au long de la crise, l’Etat – qui avait été tenté de supprimer les départements – ait donné l’impression de s’appuyer tantôt sur les communes (1) tantôt sur les régions, tout en annonçant un « acte 3 de la décentralisation ». Que donnera cet acte « Décentralisation-Différenciation-Déconcentration » à la lumière des enseignements de l’action anti Covid-19 ? Un large « dégraissage » des structures de l’Etat au profit des collectivités territoriales correspond à une attente des citoyens. C’est ce qu’ont voulu rappeler les Présidents de régions (dont Jean Rottner, Président du Grand Est) en signant une déclaration : « Les régions ont montré », écrivent-ils, « la force de leur agilité face à un Etat empêtré dans son centralisme et sa bureaucratie… Nous sommes prêts pour une régionalisation active. Nous sommes prêts à hisser notre pays au niveau des grands Etats décentralisés en Europe… Nous appelons le Président de la République… (à) engager un plan de relance et de reconstruction co-construit avec les régions… en fixant une grande ambition décentralisée à notre pays » (Tribune intitulée « Pour la relance et la reconstruction – les régions sont prêtes » dans Le Monde du 30.05)

L’appel, évidemment, aurait été plus convaincant si ses signataires, dont la plupart ont participé, avant 2017, au pouvoir, avaient inscrit leurs désirs dans les réalités institutionnelles. On peut tabler aussi sur la proximité du deuxième tour (le 28 Juin) des élections municipales, les élections sénatoriales de ce mois de Septembre où les élections en Mars prochain pour le renouvellement des assemblées régionales et départementales. L’ancien monde et ses habitudes reviendraient-ils déjà au galop ? C’est la question que nombre d’observateurs ont cru devoir se poser face à l’attitude de certains Ministres-Présidents dans certains « länder » allemands.

Allemagne : la fronde des ministre-présidents – La hâte à débloquer les mesures de restrictions prises en Allemagne n’a-t-telle pas été renforcée chez Armin Laschet, Ministre-Président de Rhénanie du Nord-Westphalie, par la perspective d’élections locales dans son Land à l’automne et par sa volonté de prendre la tête de la CDU ? Le souci de Bodo Ramelow, Ministre-Président de Thuringe, de se démarquer des mesures fédérales, était-il entièrement étranger à la perspective d’élections difficiles dans son Land en avril ? La ferme attitude de Markus Söder en Bavière, était-elle étrangère à ses aspirations au niveau national ? En affirmant « c’est maintenant aux régions et aux districts de jouer », Winfried Kretschmann, Ministre-Président du Bade-Wurtemberg, a-t-il fait abstraction des élections qui auront lieu dans son Land en Mars ? Sans compter les espoirs nourris par la retraite d’Angela Merkel à l’automne 2021 !

Car enfin, la crise sanitaire a fait bouger le monde politique allemand au point que certains ont cru devoir parler de la fin de ce que Konrad Adenauer appelait « die Kanzler-Demokratie » (la démocratie du chancelier) ! Incapable de s’imposer, malgré une menace de démission(!), la chancelière a du accepter – fédéralisme oblige – que les Ministres-Présidents des Länder gèrent, chacun pour soi, la crise sanitaire et la manière d’en sortir « C’est quasiment dramatique, la manière dont certains ministre-présidents ont détruit son autorité, en se précipitant, sans concertation, dans leur propre voie de gestion de la crise », devait déclarer Robert Habeck, le « patron » des Verts dans une interview au Tagespiegel de Berlin. Alors que certains voient en lui un futur chancelier, il n’a pas manqué de souligner que l’attitude de la chancelière a laissé se créer un vide que de nombreux Länder ont cherché à exploiter en cherchant leur salut dans leurs propres choix ! On a peu souligné que l’un ou l’autre ministre-président, parce que la santé relève des régions, avait fait procéder à des contrôles à la « frontière » de leur Land.

Markus Söder (en sa qualité de président de la « Conférence des Ministres-Présidents ») n’a pu réussir à imposer son point de vue, notamment sur la manière de « déconfiner ». Il ne restait plus à Angela Merkel que d’essayer de convaincre la population en s’adressant directement à elle, grâce aux médias ! Et le « Spiegel » d’avoir ce commentaire acide : « Tout devrait bien aller aussi longtemps que les chiffres sur l’évolution de la pandémie sont bons, mais qui aurait géré la crise si jamais la courbe s’était inversée – se serait-on finalement résolu à laisser faire les « Landräte » dans leur circonscription ? »

L’échec de Wolfgang Schäuble. – Il n’y a pas que dans les Etats centralisés que la gestion pose problème : les Etats fédérés n’échappent pas non plus aux difficultés de gestion ! Et dans un cas comme dans l’autre, les évolutions sont difficiles. La lutte contre le terrorisme, la gestion des problèmes liés à l ‘extrême-droite avaient déjà pointé certaines difficultés d’harmonisation des approches entre le gouvernement fédéral et les « Länder ». En pleine crise sanitaire, en sa qualité de Président du Bundestag, Wolfgang Schäuble avait adressé un courrier aux groupes représentées au Parlement. Il souhaitait qu’en cas de crise du type « Covid-19 », le quorum de parlementaires présents nécessaire pour prendre des décisions soit ramené de 50 à 25%, qu’on puisse mieux prendre en compte l’utilisation des nouveaux moyens offerts par la digitalisation et enfin il proposait d’assimiler la gestion des graves crises sanitaires aux conditions prévues dans la Constitution pour les temps de guerre. Tous les partis -y compris le groupe CDU/CSU- ont repoussé les propositions. Signe d’un attachement au passé ?

Au delà des indispensables mesures de relance de l’économique et du social(?), quel renouveau espéré sortira de la crise ? Finalement, en empruntant cette conclusion à Cyrille Schott : « L’efficacité d’un Etat, qu’il soit fédéral ou central, dépend de la confiance suscitée par son leader ! » Comme aurait dit Coluche : « Ce n’est pas gagné ! »…

(1) eurojournalist.eu du 11 Mai.

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