Dresde : « Saxe-symbole » de l’extrême-droite allemande ?

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(Par Alain Howiller) – Il avait voulu terminer en fanfare son mandat de Président du Bundesrat, engagé le premier Novembre 2015, pour un an !… Stanislaw Tillich, Ministre-Président (CDU) de la Saxe, avait vu les choses en grand à l’occasion de la fête de l’unité allemande organisée à Dresde, capitale saxonne : près de 5 millions de budget, trois journées de festivités avec expositions, jeux, banquets populaires, musique, opéras, défilés, impressionnant spectacle pyrotechnique sur les rives de l’Elbe, le tout couronné le troisième jour -le lundi 3 octobre- par un culte dans la fameuse Frauenkirche (Eglise Notre Dame) et des discours à l’opéra. Les festivités réunissaient, outre le Ministtre-Président Tillich, le Président de la République Joachim Joachim Gauck, la chancelière Angela Merkel, le Président du Bundestag Norbert Lammert et le Président de la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe Andreas Vosskuhle : le sommet de l’Etat, en somme, réuni pour célébrer le thème retenu pour la manifestation : « Brücken bauen zueinander » (jeter des ponts les uns vers les autres).

Les lasers du spectacle pyrotechnique projeté et sonorisé, le dimanche soir, le long des berges de l’Elbe devant des milliers de spectateurs, insistait sur la « tolérance », le « respect », la « liberté », la solidarité, le « vivre ensemble ». Sur la façade du théâtre une immense affiche se réclamait d’une ville de « Dresden ouverte sur le monde. Réfugiés, ici vous êtes bienvenus ! » « Nous voulons faire la promotion de notre Land où il fait bon vivre, travailler ou investir ! », répétait Stanislaw Tillich.

L’extrême droite mollement combattue ? – De quoi restaurer quelque peu l’image ternie, ces derniers mois, par une Saxe meurtrie par des actes racistes, des manifestations anti-immigrés organisés par des mouvements néo-nazis, des attaques d’incendiaires, des agressions. Il avait fallu des mois de tensions et de dérives racistes pour que Stanislaw Tillich reconnaisse que la « Saxe a un problème avec l’extrême droite ». Nombreux étaient les observateurs à estimer que les mouvances d’extrême-droite étaient mollement combattues alors que l’extrême-gauche, elle aussi active, semblait bénéficier de la sollicitude des forces de l’ordre et de l’appareil judiciaire.

Dresde, en particulier, apparaissait pour la Saxe et l’ensemble du pays, comme une sorte de « phare-symbole de l’extrême-droite ». N’est-ce pas ici qu’est né, en octobre 2014, le mouvement des « Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident – PEGIDA » (Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes) qui rassemble des milliers de manifestants contre « l’islamisation », « l’intégrisme musulman » et la politique d’accueil des réfugiés menée par le gouvernement d’Angela Merkel ?

N’est-ce pas à Dresden que les néo-nazis organisent chaque année, depuis des décennies, des manifestations « anti-britanniques et anti-Etats Unis » en commémoration du bombardement de la ville les 13 et 14 février 1945 : ce rappel donne lieu régulièrement à des affrontements entre néonazis, mouvements anti-fascistes et policiers. N’est-ce pas en Saxe, à Zwickau, que s’était cachée, pendant des années, la cellule terroriste « N.S.U. » (Nationalsozialistischer Untergrund : groupe nationalsocialiste souterrain), auteur de 10 meurtres surtout d’immigrés, de 2 attentats et de multiples braquages de banques (notamment à Zwickau et à Chemnitz) ? Les survivants de N.S.U. sont jugés à Munich depuis… Mai 2013 !

De « Pegida » à l’AfD : d’étranges recoupements ! – N’est-ce pas ici aussi, en Saxe, que le mouvement « Alternative für Deutschland – AfD » a réussi, au titre de ses premiers succès à faire élire, l’année même où il a placé 7 députés au Parlement Européen, 14 députés au Landtag dont l’une de ses principales représentantes est Frauke Petry ? Créé au départ pour promouvoir une réforme de l’Euro, l’AfD s’est engagée pour une Europe des Nations et contre la politique migratoire de Merkel : pour lui, l’Islam ne fait tout simplement pas partie de l’Allemagne. Entre AfD et Pegida existent de nombreux contacts et les chemins des deux organisations se recoupent régulièrement au point que le SPD a émis l’idée de les faire surveiller par les services de protection de la constitution (Verfassungsschutz : services du contre-espionnage) et que Sigmar Gabriel n’a pas hésité à comparer les propos de certains fonctionnaires de l’AfD à ceux tenus, jadis, par son père qui était un… nazi convaincu !

L’enjeu de ce 3 Octobre à Dresde était donc important et peut-être même décisif pour la Saxe : c’est en tous les cas ce que le Ministre-Président du Land comme ses invités pensaient avant les festivités de la 26ème « fête de l’unité » organisée depuis la réunification. Ce lundi d’octobre restera certainement dans la mémoire des présents comme l’une des manifestations les plus traumatisantes qu’ils aient vécues ! Des centaines de manifestants, à la limite de l’émeute, ont été rameutés par « Pegida » devant les lieux d’accueil des personnalités et invités : devant le musée des transports et la Frauenkirche, le matin, devant l’opéra l’après-midi, voire même sur diverses places de la ville (devant la gare centrale par exemple).

Dresde : des manifestants hors de contrôle ? – Représentants du gouvernement et de l’Etat sont accueillis par des quolibets, des injures, des pancartes revanchardes (dont certaines portaient des citations nazies de Goebbels notamment !). La police a eu beaucoup de mal à séparer manifestants d’extrême-droite (apparemment plus nombreux et organisés) et contre-manifestants. « Que Merkel s’en aille » (Merkel muss weg !), « Foutez le camp putois ! », « Traîtres au peuple » (Volksverräter !), « Cassez-vous » (Haut ab !), « Nous sommes le peuple », « Vous engagez la destruction du peuple allemand » sont quelques échantillons (et pas les plus virulents) lancés à cette occasion contre des invités qu’il fallut parfois transporter par bus et voitures officielles pour éviter tous les risques. La police, dont certains éléments ont été accusés de complaisance à l’égard des manifestants, peina à éviter des chasses à l’homme et à contrôler la situation.

Evoquant la manifestation organisée par « Pegida » avec le soutien à peine discret de membres de l’AfD et de néo-nazis, Mike Mohring, l’un des responsables CDU de la Thuringe proche, a eu ce mot : « On peut s’étonner que les prétendus patriotes aient eu un comportement aussi anti-patriotique le jour où on célébrait l’unité allemande ! » (table ronde de Maybrit Illner à la télévision allemande), « 26 années après la réunification, l’Allemagne semble à nouveau déchirée. Il existe un nouveau mur, un mur de la pensée!… Il aura fallu qu’en ce jour de l’unité que la police sépare des Allemands d’autres Allemands, qu’elle protège les représentants politiques contre une partie de la population, qu’elle protège des invités venus dans Dresde, ville-hôte ! » Pour certains, il y a un peu trop de « pathos » dans cet extrait de la « Hessische-Niedersächsische Allgemeine » Kassel, il n’en demeure pas moins que ce 3 Octobre laissera des traces : il aura été révélateur d’une situation sur laquelle on a voulu fermer les yeux, en la minimisant. Une situation qui n’a que trop durée !

Quand la haine de l’étranger menace l’économie ! – Grâce aux efforts de tout un pays, l’économie saxonne se relève doucement : comme les économies de la plupart des anciens länder de l’ex-DDR. Les écarts qui subsistent entre l’Est et l’Ouest du pays, ne peuvent ni justifier, ni même expliquer les débordements dus à l’extrême-droite. D’autant que le Land qui, au-delà de ce que ce triste 3 Octobre symbolise, connaît grosso modo un taux de développement autour de 1,5% par an, que le chômage (certes encore important) a été ramené à 6,9%, un taux se situant entre celui relevé dans les Länder de l’Est (7,9 %) et ceux de l’Ouest (5,4%).

Un Land qui compte moins de 1,5% d’immigrés alors qu’il a besoin de main d’œuvre compte tenu de la courbe déclinante de la démographie : « Cette dernière est telle que, plus les années vont passer, plus nous aurons besoin d’attirer de la main d’œuvre étrangère. Nous devons tout faire aujourd’hui pour que l’image de notre région s’améliore et pour que les gens aient envie de venir travailler ici », souligne un patron dans « Le Monde » tandis que Jörg Dittrich, Président de la Chambre de Métiers de Dresde, met à son tour en relief : « Nous pâtissons d’un ‘effet Pegida’ qui pèse non seulement sur le tourisme, mais plus généralement sur les entreprises qui ont du mal à attirer des travailleurs venus d’ailleurs ! »

Le Ministre de l’Economie de Saxe Martin Dulig (SPD) avait déjà souligné en… Septembre 2015 (!) : « C’est une véritable catastrophe économique lorsque en raison de la haine de l’étranger se développe une image contraire à ce qu’est la Saxe : cette dernière se veut moderne et ouverte sur le monde ! » Cela rappelle singulièrement le thème que le Land voulait développer à travers ses trois journées organisées autour de la fête de l’Unité allemande !… Est-ce définitivement raté : Dresde restera-t-elle le « Saxe-symbole » de l’extrême-droite en Allemagne ?…. En attendant, la ville a perdu un citoyen qui comptait : Lutz Bachmann, l’un des fondateurs de « ‘Pegida », a quitté la ville. Il réside désormais dans les Canaries ! Pas sûr que l’ensemble de ses anciens concitoyens de Dresde le regretteront !