Elections européennes : les national-populistes

Puissance et nuisance des partis de la droite populiste

Steve Bannon, le national-populiste américain, pompe à dollars des partis populistes européens Foto: Michael Vadon / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 4.0Int

(Marc Chaudeur) – Les élections européennes sont très proches ; les 4 mois qui nous en séparent fondront comme gilet jaune au soleil. Leur importance ne doit échapper à personne : l’Union européenne, à première vue, semble en danger, à cause notamment de la puissance de feu des partis populistes, dans toute l’Europe ou presque. Qu’en est-il au juste ? ” Que faire ? ” (Monsieur Vladimir Oulianov).

Les populistes de droite font aujourd’hui partie du paysage politique européen. Il y a belle lurette que plus personne ne pourrait avancer qu’il ne s’agit là que d’un feu de paille. Ils participent au pouvoir en Autriche, en Italie, en Slovaquie, en Hongrie, en Pologne, au Danemark et en Finlande… Un mouvement qui pourrait encore se propager, très facilement en France, par exemple, et assez facilement en Allemagne.

On sait bien maintenant que la droite populiste ne dédaigne plus l’Union Européenne ni les élections : elle s’en sert. Elle veut les utiliser pour asseoir son pouvoir dans toute l’Europe. Elle surfe sur une crête : son fonds de commerce, c’est en somme l’anti-élitisme, la critique (et les insultes) contre les médias « libéraux » qui selon elle, brassent les milliards d’euros, et les fonctionnaires « de Bruxelles », et l’anti-globalisme (qu’on aurait appelé anti-cosmopolitisme il y a peu, avec une fréquente connotation antisémite). Libéralisme, militantisme européen ardent : votre compte est bon, m’sieur Macron ! Et en effet, le président français est l’une des cibles préférées de la droite populiste. L’autre est Angela Merkel, depuis cette année 2015 où la chancelière a ouvert les vannes de la migration en Allemagne. Les populistes sont mus par leur assurance : celle de détenir la vérité sur l’Europe, qui pour eux ne peut être que l’ « Europe des nations ».

Quelle puissance électorale représente donc ce courant, et à quoi faut-il s’attendre pour Mai 2019 ? Selon les sondages, à peu près 20 % à l échelle européenne. C’est assez peu ; mais leur capacité de nuisance est énorme. Ils peuvent par leur influence, intervenir dans des domaines clés : les finances, la politique sociale, et bien sûr, la politique migratoire. Ce qui signifie que les dirigeants de la droite populiste, notamment ceux qui sont ou seront élus à la Commission Européenne, vont nuire très gravement à l’intégration européenne – qui est déjà bien mal en point ces dernières années – et la retarder considérablement. D’où l’importance considérable que revêtent les élections de cette année.

Les idées populistes l’emportent-elles donc partout ? C’est en tout cas ce que pensent Marine Le Pen et Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur italien et membre de la Lega, qui se font photographier ensemble. C’est tout profit pour Le Pen, croit-elle, puisqu‘il semble que Salvini, malgré ses médiocres scores électoraux récents, espère se poser comme le dirigeant respecté et admiré de toute cette partie de la droite, et peut-être davantage encore. Salvini espère d’ailleurs, ou fait mine de l’espérer, qu’il pourrait succéder à l’actuel président de la Commission Européenne, en l’occurrence Jean-Claude Juncker.

Toute l’Europe populiste déferle chez Salvini : à commencer par les Autrichiens. Des personnages clés pour le mouvement, qui reprennent souvent le motto « Pour une Europe des Nations » cher naguère à Jörg Haider, amateur de Lederhosen et gay honteux mort dans un accident voici quelques années. Son successeur à la tête du parti FPÖ, Heinz-Christian Strache, qui est aussi vice-chancelier, poursuit l’élan de consolidation grâce à la multiplication des contacts à l’étranger. Et notamment à Moscou… Les relations avec Poutine sont excellentes, merci, et vous ? Poutine s’est même rendu aux épousailles de la ministre des Affaires étrangères autrichiennes, en août dernier. Elle l’a remercié d’une ridicule révérence très rétro.

Avec le grand ténor du populisme contemporain, le Hongrois Viktor Orbán, les relations de Salvini sont un peu entachées de jalousie, puisque les deux hommes aspirent au rôle de chef…

Pourtant, le réseau de la droite populiste n’est pas très ferme ni très cohérent, malgré les proclamations obstinées des uns et des autres. Il souffre d’un problème logique, pour commencer : quand on défend une quelconque particularité, elle se heurte nécessairement à la particularité du voisin… Par exemple, on sait que Salvini insiste beaucoup pour que les migrants soient répartis de manière plus juste sur tout le continent ; mais le gouvernement PiS de Pologne et celui de Fidesz en Hongrie refusent catégoriquement toute entrée de moustachus bronzés chez eux. Autre exemple : les relations avec la Russie… La Pologne refuse toute relation proche avec Poutine, tandis que le FN français et le Fidesz d’Orbán ne refusent pas les sommes rondelettes que la Russie leur octroie, comme on le sait fort bien à Strasbourg. Et la même Pologne refuse tout travail commun avec l’AfD – et pour cause, puisque Erika Steinbach dirige une fondation très proche de l’AfD : et cette personne est l’une des ennemies jurées du PiS depuis qu’elle a présidé l’Union des Expulsés…

Alice Weidel, dirigeante de l’AfD, a proclamé lors d’une conférence de presse récente que l’Allemagne ne deviendrait jamais le trésorier de l’Italie. Elle a ajouté, et cela ne manque pas de saveur, que l’Italie, sans l’apport de l’Union Européenne, serait depuis longtemps en faillite. Ce qui est parfaitement vrai, de même que cela est vrai pour la Pologne et la Hongrie,qui sont pourtant les contempteurs les plus déchaînés de Bruxelles… Alice Weidel terminait sa conférence de presse en criant (en allemand) : « Ils sont fous, ces Romains ! » De telles paroles ne traduisent pas une touchante solidarité basée sur la fraternité des idées…

Italie, Pologne et Hongrie, ces hauts lieux du national-populisme, ont considérablement profité de la manne européenne, il faut le rappeler. Sans Bruxelles, la Pologne et la Hongrie seraient restés des pays pauvres. Grâce à l’UE, la première est passée du stade de pays agricole arriéré à celui de pays moderne et en pleine croissance ; la Hongrie, elle, a bénéficié de 40 milliards de subventions de 2004 (date de son entrée dans l’UE) à 2017 et s’est elle aussi complètement transformée.

Plus largement, les fractions de la droite populiste à Strasbourg et à Bruxelles ne forment pas d’entités solides et disciplinées : selon une étude de l’Institut Jacques Delors, les votes n’y sont pas nécessairement communs – ils le sont à 70 % seulement, alors que les fractions de gauche unissent leurs votes à 90%.

En profondeur, Polonais et Hongrois ne se sentent plus en sécurité, pour 2 raisons essentielles : parce que l’UE a mal réagi à la crise de l’euro, et mal réagi aussi au phénomène migratoire. Et l’UE impose beaucoup trop de normes restrictives, dans à peu près tous les domaines, estime-t-on. Ces trois points surtout leur sont souvent difficiles à supporter. S’ajoutent à cela les manières condescendantes des institutions européennes envers ces gens « de l’Est ». Et c’est bien pourquoi l’AfD remporte un tel succès : on n’a pas assez remarqué que le ton de la CE (et du Parlement) envers ces pays étaient le même (ou du moins, étaient reçus de la même manière) que celui sur lequel les Wessis parlent aux Ossis en Allemagne…

A ce propos, on peut, là aussi, remarquer la lâcheté des liens qui relient les divers partis : dans une interview au Spiegel voici quelques mois, le président de l’AfD, Jörgen Meuthen, député au Parlement Européen, dit bien connaître Strache l’Autrichien, mais n’avoir jamais rencontré Salvini, et serré simplement la main un jour de bénédiction céleste à Saint Orbán ; les liens avec le FN seraient eux aussi plutôt somnolents.

Toute droite a besoin d’un Homme, d’un vrai ; d’un homme fort pour tous. Qui sera-ce, au fond ? Viktor Orbán ou bien Matteo Salvini ? Salvini, c’est difficile, pour les raisons susdites . Et Orbán ? Il est au pouvoir depuis 2011 ; il apparaît comme la référence indispensable pour tous les populistes de droite, surtout depuis l’année 2015 où il montré sa détermination contre les migrants et construit un mur de 4 mètres de haut à sa frontière. En réclamant l’argent de l’Union Européenne.

Orbán dispose d’un atout immense : celui de l’appartenance de son parti, le Fidesz, à la coalition européenne de la droite « modérée », le PPE, auquel appartiennent aussi la CDU et la CSU dans laquelle il s’est d’ailleurs forgé de solides amitiés, à un niveau très élevé… Ses paroles et ses agissements peuvent ainsi avoir des répercussions considérables, au sein même de la droite classique la mieux établie. Attention, danger…

Et cependant, la Hongrie connaît depuis ces derniers mois de puissants mouvements sociaux provenant des classes populaires et moyennes, en protestation conte certaines lois appelées ” esclavagistes ” : nous en avons assez abondamment parlé ici dans nos articles. Samedi dernier, des travailleurs déterminés ont défilé par dizaines de milliers dans toute la Hongrie, surtout dans les villes. Ces turbulences ne pourront certes pas rester sans incidences sur la popularité et le prestige d’Orbán et de ses ministres. Espérons pour le mieux, donc…

On a beaucoup parlé de l’arrivée de Steve Bannon, cet étrange et hideux personnage, cet ancien homme de confiance de Trump, les poches débordantes de millions de dollars. L’unité ne pourra-t-elle se voir réalisée grâce à l’aide claironnée si fort du fameux leader de The Movement ? Certains à droite l’espéraient très fort ; mais il ne faut pas oublier que dans un nombre important d’Etats européens, le financement étranger des campagnes électorales est interdit. Dommage pour beaucoup : car Bannon déambule sans cesse dans toute l’Europe ; il a rencontré Salvini, Orban et Marine Le Pen, et son affidé, Benjamin Harnwell, loue un couvent à Tisulti, dans les Apennins, pour en faire un lieu de formation populo-droitiste, « une école de gladiateurs pour combattants de la culture » , selon les mots de Harnwell. En somme,les fruits de l’action de Bannon demeurent tardivement verts. Pour l’instant.

Alors, comment précisément les national-populistes peuvent-ils être dangereux ? De plusieurs manières. D’abord, ils pourront se réorganiser dans le futur Parlement Européen, après Mai 2019 : dans la fraction CRE (Conservateurs et Réformistes Européens), relativement modérée ; les Tories anglais la quitteront, Brexit oblige, et l’influence du PiS polonais, bien plus à droite, gagnera en puissance. Mais les partis de la droite extrême, eux, les opposants connus à l’UE, se rassembleront dans l’ENL (Europe des Nations et des Libertés) : la Lega, la FPÖ autrichienne, l’AfD allemande pourraient s’y agglutiner autour du FN. In concreto, le 5eme des 705 députés à peu près.

Le nombre de membres de la Commission Européenne appartenant au camp des national-populistes pourrait éventuellement augmenter. Danger ! Leur influence deviendrait considérable. Du sein même de la Commission, ils pourraient la réduire à l’impuissance.

En Mai 2019, il faudra donc aller voter, et pour les bons candidats ! L’importance de ces élections est immense. Elles décideront de l’avenir de l’Europe et des données concrètes de l’existence des Européens, de leur liberté, pour de nombreuses années.

 

 

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