Europe first ! Bruxelles, fin juin 2018

L’Europe ? Celle des vieux parapets et des courtes cuisses

Salvini en King Lear Foto: John W. Alexander 1923 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA PD

(MC) – Les dirigeants populistes et d’extrême-droite peuvent se montrer comblés : le dernier sommet de Bruxelles satisfait pleinement leurs exigences, ou presque. Mais où est passée l’Europe des valeurs, l’Europe qui prétend que le sujet, c’est l’Homme ?

Les Quatre de Visegrád, les dirigeants autrichiens, Salvini de la Lega, l’AfD allemande et la CSU croassent d’aise : les décisions finales des 28 et 29 juin prévoient la création de camps fermés dans les pays de l’Union Européenne, sur la base du volontariat (donc, pas d’accueil du tout, ne nous leurrons pas !), de plateformes d’accueil des migrants en dehors de l’ UE (concrètement : en Afrique du Nord),et le renforcement de l’agence de protection des frontières, FRONTEX, d’ici 2020, pour en porter le nombre d’agents à 10000. Ce qui est d’ailleurs irréaliste : il y faudrait 33 milliards d’euros, et ce ne serait pas possible avant le mandat 2021- 2027.

Parfait ! Une Europe fermée et egocentrée achève de naître. Une autre meurt avec ses valeurs. Juin 2018. Une date historique comme peut-être 1938.

De tels camps existent depuis longtemps, il faut bien le rappeler : en Libye, dans des conditions catastrophiques, aux mains d’esclavagistes, de violeurs et de pilleurs et sous la bénédiction implicite de FRONTEX. Maintenant, comme le progrès poursuit sa course irrésistible, des parcs à entassements humains doivent être aménagés par l’UNHCR, mais, comme le demande le document conclusif du Sommet,« sans risquer de créer d’appel d’air ». In extenso, cela signifie : dignité humaine minimale, tout juste suffisante pour ne pas faire de ces camps des endroits attractifs. En même temps, les pays africains doivent faire en sorte, enfin, que leurs ressortissants n’aient plus envie de venir en Europe. On leur débloquera encore davantage de fonds, mais attention, les enfants ! Il faudra bien utiliser le cochon-tirelire !

La responsabilité des Européens s’estompe ainsi complètement : l’essentiel est que les victimes des guerres, des famines, de toutes les catastrophes que connaît le monde – parfois (souvent) par un enchaînement causal dont le premier moteur a été l’Europe – que ces victimes restent tranquillement chez elles, à crever de faim et de violence. Le reste est parfaitement secondaire.

Pourtant, Angela Merkel, le matin du 28 juin et juste avant de partir pour Bruxelles, a rappelé devant le Bundestag qu’il fallait sauver le soldat Europe, défendre son «multilatéralisme » face à l’unilatéralisme ; faute de quoi, l’Europe serait morte. Mais l’action de la Chancelière à Bruxelles a été toute autre. Confrontée à ses graves problèmes de coalition avec la CSU dont le dirigeant, Horst Seehofer, s’entend mieux avec le Chancelier autrichien d’extrême-droite Sebastian Kurz qu’avec son alliée de gouvernement, Angela Merkel est allée plus loin encore que ce que désirait son allié contraint, pour court-circuiter tout discours de rupture de la CSU : car que pourrait bien demander ce parti, de plus en plus droitier, de mieux et de plus que les décisions de ces derniers jours à Bruxelles ?

L’UE est-elle en train de mourir ? Est-elle déjà morte ? Cette ambiance léthale se renforce encore de ce que l’Autriche prend la présidence de l’Union ce mois-ci. Sebastian Kurz, le jeune chancelier de 31 ans qui vient d’être élu, se félicite de ce que, selon son expression, « la position allemande prend clairement la bonne direction ». Le charisme de Kurz auprès de la droite et de l’extrême droite, son ignorance plutôt crasse des conséquences historiques de la seconde guerre mondiale et ses rapports très amicaux avec Viktor Orbán et ses petits camarades vont occasionner des dommages largement imprévisibles.

Européen, Kurz ? Comment donc et dans quelle mesure ? Il faut remarquer que le Chancelier a d’ores et déjà ratiboisé les allocations parentales pour les ressortissants des autres pays de l’Union, et annoncé qu’il allait supprimer les aides sociales des citoyens des autres pays de l’UE pendant les 5 premières années de leur présence en Autriche. Ce qui n’est pas légal ! Européen, Kurz ? Oui peut-être, partisan de l’Europe des Patries. Nous revoilà aux temps de Napoléon.

Europe first, en somme. L’Union Européenne, sauf s’il arrive du nouveau, semble ne plus tenir qu’à ce fil pervers que constitue l’intérêt propre et singulier de chacun de ses Etats membres. Mais Europe first, cela signifie la mort de l’Europe : la culture européenne elle-même trouve sa motivation dans le fait qu’elle ne se ferme pas sur sa propre particularité ; l’Europe est ce sous- continent où on a dégagé de sa gangue boueuse l’Homme et son universalité, où on a compris ce quelque chose d’essentiel qui dépasse en l’Homme la particularité de sa culture et à plus forte raison, celle de ses intérêts immédiats.

A nous Européens, il nous reste à espérer que nous n’aurons pas besoin de l’Afrique comme en ces temps tragiques où la France, très puissamment aidée par les Etats d’Amérique qui eux, étaient unis, rassemblait ses forces dans ses colonies. Le jour n’est peut-être pas si loin où pour fuir une forme renouvelée de fascisme, nous aurons à demander l’hospitalité de nos frères du Sud…

 

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