Faire tomber les murs entre « savants » et politiques

Universitaires, scientifiques et politiciens : même combat !

La lunette : un instrument ambivalent... Foto: Dietmar Rabich/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/4.0Int

(Marc Chaudeur) « Les choses ne seront plus comme avant » ? Si nous le voulons, oui ! Dans l’article qui suit, on exposera l’une des choses essentielles que les tenants du pouvoir scientifique et ceux du pouvoir politique peuvent changer, pour une société plus cohérente, plus équitable (donc plus juste), et moins malheureuse. La crise sanitaire actuelle met à nu (une fois de plus) l’une des plaies évidentes qui entravent le bon cours, le cours efficace, de la politique, c’est-à-dire de la gestion publique : à savoir l’absence de collaboration, voire même de contacts, entre intellectuels (au sens générique, où on regroupera scientifiques-chercheurs et universitaires de diverses disciplines). C’est particulièrement vrai en France : savoir et pouvoir semblent y fonctionner (mal) sur le mode de la rivalité ou, bien pire, de l’indifférence. C’est ce dont traite admirablement Agathe Cagé, docteur en Sciences politiques, dans son ouvrage Faire tomber les murs (Fayard, 2018).

Le problème de la pandémie occasionnée par le COVID-19 ne se poserait pas en termes aussi cruels – cruels pour les politiciens, dont les manquements crasses sont mis à nu de façon assez brutale) s’il n’existait pas une sorte de cloison étanche entre scientifiques (au sens large) et décideurs politiques. Les puissants de la politique ne tiennent souvent tout simplement pas compte des travaux scientifiques, que ce soit de ceux des sciences « dures » ou de ceux des sociologues (pas toujours mous) ou plus largement, des « sciences humaines. »

Résultat, les besoins des citoyens sont laissés en jachère, deviennent sans cesse la cible de démagogies grossières et éhontées, et ne sont pas reconnus pour ce qu’ils sont : l’objet même de la politique, sa seule justification. Mais hélas, les politiciens pensent, particulièrement en France, que le but de la politique, c’est le pouvoir en soi, avec une négligence scandaleuse des intérêts des citoyens et de ce que Hegel appelle déjà (dans les années 1820) la société civile.

L’ouvrage d’Agathe Cagé met très bien en évidence le fait que, contrairement à ce qu’on croit très souvent, les analyses sociopolitiques et les projets de transformation qui en découlent sont légion, et il serait fastidieux d’en citer ici même un dixième. Mais ils n’intéressent à peu près pas les politiciens – pour les raisons susnommées : la recherche du pouvoir comme telle, en se servant des citoyens au lieu de les servir. Ainsi, ceux, très nombreux, parmi les travaux des scientifiques et des universitaires qui débouchent sur de réelles propositions concrètes n’intéressent point nos représentants du pouvoir politique. Et conséquence normale bien que fâcheuse et très lourde de conséquence : les scientifiques/universitaires finissent trop souvent par se résigner à cette indifférence – ou cet aveuglement ! – et par ne plus s’adresser aux politiciens.

L’auteur en donne 5 exemples parmi les plus… cuisants. Dont il faudra se saisir de toute urgence, tout comme les conséquences sociales de la pandémie – et du confinement : l’école et l’ascenseur social ! Le care à la française (et non à l’américaine…). Le traitement des seniors ! L’idée et la possibilité (absolument réelle) de la mise en pratique du revenu universel.

Et, last but not least : la réforme ou la révolution fiscale, au sujet de laquelle Agathe Cagé parle de « rendez-vous manqués ». On ne saurait mieux dire,depuis les années 1970, après des gouvernements de gauche qui n’y ont que très peu modifié la donne fiscale, tout au plus limité quelques dégâts éventuels… Pourquoi, au fait ? L’auteur pointe la domination institutionnelle d’une économie administrative liée intimement aux succès de l’économie purement mathématique : une caractéristique très française, dont souvent on ne se rend pas bien compte en France. Parfois si, tout de même : des étudiants en économie des ENS de Paris et de Cachan, de diverses universités et de cette institution qu’est l’Ecole Nationale supérieure de la statistique et de l’administration économique (ENSAE) ont lancé un Appel en 2000 pour critiquer les excès de la modélisation économique et relancer une approche diversifiée de l’économie.

L’un des aspects du problème, on s’en doute, c’est l’impôt sur le revenu. En 2011 paraît l’ouvrage Pour une révolution fiscale, rédigé par Piketty, Landais, Saez (Seuil). Un ouvrage excellent, aux possibles applications concrètes en vue d’une réelle équité sociale. Résultat : rien. Le gouvernement Hollande « de gauche » n’en a rien fait, n’a rien fait dans ce domaine. Et pourtant : au-delà des envolées emphatiques et grandiloquentes, quelles applications concrètes seraient plus importantes qu’une véritable réforme fiscale ? Mais bien entendu, cela suppose de taxer les riches, ce qui est, euh, délicat, vous comprenez…

En bref, voilà ce qui devra remplir nos journées après le confinement : la lutte sur le terrain pour que les politiciens écoutent les scientifiques. Et une véritable réforme fiscale, donc une taxation de la spéculation boursico-financière et une véritable redistribution. Tout le reste, c’est du pipeau utopico-pseudopoétique, et ce genre d’utopie, quand il n’est pas radicalement inutile, est perversement nuisible.

Lire d’urgence : Faire tomber les murs (entre intellectuels et politiques), d’Agathe Cagé (Fayard, 2018)

 

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