« Fake News » et « Post Vérité » – quand la presse écrite fait campagne !

De nouveaux termes décrivent des pratiques pas toujours aussi nouvelles que ça…

La presse a encore de beaux jours devant elle... Foto: LoKiLeCh / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – Jamais sans doute les médias ont été à ce point attaqués et dans le « Oxford Dictionaries », le terme de « post truth » (post vérité) a été choisi comme « mot international » le plus caractéristique de l’année 2016 ! Il y aurait donc -officiellement en quelque sorte- une « vérité » et une « vérité alternative » placées face à face, au choix de ceux qui en prennent connaissance. On connaissait déjà la citation du philosophe Blaise Pascal affirmant : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà… » Il y a la « vérité scientifique temporaire » ou de la « plus grande probabilité » défendue par l’universitaire, médecin et essayiste Axel Kahn.

Et il y a, désormais, popularisée par la campagne présidentielle américaine et son « héraut Donald Trump » cette « post vérité », une vérité alternative. Il s’agit d’une « vérité relative ou dénotant des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence sur l’opinion publique que les appels à l’émotion et à la croyance personnelle ». Cette vérité-là se confond, pour le presbytérien Trump, avec la « foi » : on croit, ou on ne croit pas. Et on croit d’autant plus que la « vérité » est distillée par un « ami ». « Etes-vous un journaliste amical », n’avait pas hésité à lancer le Président américain d’une conférence de presse, avant de répondre à la question d’un journaliste !

Un incendie qui ravage la « prairie de l’arrogance » ! – S’il est vrai que l’extrême-droite européenne (allemande en particulier qui parlait de « Lügenpresse ») avait déjà développé cette approche « originale de la relativité » qui ne doit pas grande chose à… Einstein, jamais le concept de « post truth », l’inévitable compagnon des « fake news » (fausses nouvelles), n’a été à ce point répandu. Il interpelle les médias confrontés à ceux pour qui la « vérité » est portée par les seuls réseaux sociaux. Ces réseaux où les rumeurs (souvent folles) se substituent sans vergogne aux informations et où, curieusement, personne ne se soucie de vérifier quoi que ce soit ! Loin de moi, journaliste au (très !) long parcours, l’idée que les professionnels de l’information ne sont pour rien dans l’incendie qui ravage la prairie où divaguent les propagandistes de la « post vérité ». L’absence de rigueur chez certains de nos confrères, des vérifications insuffisantes, des partis-pris, une certaine arrogance qui les a éloignés des lecteurs, une complicité avec ce qu’on appelle désormais (campagne présidentielle française oblige !) le « système » a contribué à accréditer l’idée qu’il y aurait une « post vérité ». Le comportement d’individus ne crée pas un système et les excès des uns ne condamnent pas les autres.

Certes, selon un sondage de l’Université Quinnipiac (Oregon), 57% des Américains font davantage confiance aux médias qu’aux propos de Donald Trump : cela ne s’est, apparemment, pas traduit dans le résultat des élections ! Il est vrai que 50% des sondés désapprouvaient la façon dont les médias avaient couvert les informations relatives à Trump tandis que 61% trouvent incorrecte la manière dont le président US traite les médias. Dans un sondage mené en France, par Harris Interactive, 58% des sondés pensent que les réseaux sociaux sont peu fiables, mais 29% pensent que les médias ont une responsabilité dans le fait que les Français ne s’intéressent pas à la campagne électorale présidentielle. Le « match réseaux sociaux/Médias » n’est pas joué et le professionnalisme des médias peut encore faire la différence.

« Journalisme-critique » et « journalisme civique » ! – Cela passe par une profonde introspection des acteurs des médias. Aux directions de trouver et de donner aux rédactions les moyens de s’investir davantage dans leur métier. Cela passe par la mise à disposition de moyens matériels et techniques : cette évolution, sur laquelle je reviendrai un peu plus loin, est en passe d’être gagnée ! Le deuxième volet du match -le plus important- suppose une évolution des journalistes. Il exige encore plus de professionnalisme, plus de vérification, un regard critique vis à vis des sources, un investissement éthique déterminant.

Un de mes anciens confrères journaliste m’a rappelé récemment au bon souvenir d’un séminaire de rédaction que j’animais en… 1995 : « Je me rappelle », m’écrit ce confrère, « d’une réunion (…au cours de laquelle vous nous…) avertissiez qu’il fallait être moins condescendant et descendre de notre piédestal, sinon nous finirions par le payer… C’est un peu ce qui s’est passé ! » La leçon s’est vérifiée, même si j’aurais aimé me tromper. Si aujourd’hui, les « médias critiques », reposant sur l’investigation, sont indispensables, le « lecteur-citoyen » a aussi besoin de « médias-civiques ». .J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer ce mouvement de « journalisme civiquesé » qui s’est lancé aux Etats-Unis après l’affaire du Watergate : le Washington Post avait obtenu le départ de Richard Nixon en révélant les turpitudes de ce dernier. Mais ce faisant, le journal avait provoqué une profonde désaffection vis à vis des institutions au point de jeter un trouble existentiel dans la démocratie américaine. Un mouvement s’est alors créé parmi les rédactions affirmant qu’il fallait sans aucun doute dénoncer les dérives des politiques, mais il fallait aussi valoriser ce que les politiques faisaient de bien, pour éviter de fragiliser les institutions et de provoquer l’émergence et le développement de mouvances extrémistes ! Cela ne méritait-il pas d’être rappelé en ces temps difficiles pour nos démocraties !

N’était- ce pas aussi le moment de le rappeler alors qu’en France la presse écrite, confrontée à une évolution sans précédent vers les supports numériques, lutte pour sa survie, se bat pour garder (ou retrouver) ses lecteurs et multiplie les initiatives pour retrouver les ressources dont elle a besoin.

La presse française, non sans panache ! – C’est dans cette perspective que, non sans panache, la presse française s’est associée au lancement d’une énorme campagne de promotion sur le thème : « Demain la Presse. » La campagne qui s’affiche sur tous les points de contacts des marques presse (papier, ordinateurs, tablettes, smartphones) veut souligner que le « média-presse », qui existe depuis près de 400 ans, n’est pas près de disparaître. La campagne qui rappelle que chaque mois plus de 50 millions de lecteurs lisent souligne que la-presse est le média qui s’est le plus transformé ces dix dernières années grâce à son évolution vers le numérique. Au point que si 47% de ceux qui, la fréquentent « consomment » le média écrit (print), 53% consommant les supports digitaux que la presse écrite a créés !

900 titres de presse ainsi que 600 sites et publications mobiles participent à la campagne de sensibilisation et de promotion qui interpelle avec cette question : « Où lirez-vous la presse quand les ordinateurs, les tablettes et autres smartphones auront disparu ? » Réponse : « Sur papier certainement et sur d’autres supports qui n’existent pas encore. » Et le message publié de poursuivre : « Aujourd’hui, 93% des jeunes entre 15 et 24 ans, lisent la presse au moins une fois par mois quel que soit le support. Demain, pour vous accompagner, nous évoluerons encore. Mais ce qui ne changera pas, c’est la qualité du travail de nos journalistes. C’est et cela restera notre cœur de métier. Et nous trouverons toujours le moyen de vous rendre accessible une information de qualité qui vous procure du plaisir…. »

Demain la Presse ?! – Et la campagne montre les dents face à son avenir en rappelant que 98% des Français lisent au moins un titre de presse par mois, qu’elle bénéficie (+10% en 3 ans) d’une forte croissance d’audience portée par le numérique, qu’elle a vu paraître120 titres nouveaux et qu’elle a connu + 37% de progression uniquement sur le numérique.

« Demain la presse » (1) aura permis de moderniser l’image de la presse, de valoriser le travail de ses journalistes, d’insister sur les efforts déployés par ce support : « A force de parler de la mort du papier et de la crise de la presse, on passe à côté du sujet. Car depuis que le Web a explosé, la presse est le média qui a le plus évolué, davantage que la télévision et la radio », a commenté Vincent Leclabart, le Président d’Australie, l’agence qui a conçu la campagne. Reste à poursuivre et à gagner la bataille de la crédibilité, car le « Vrai sujet d’inquiétude pour les années qui viennent, c’est ce qu’on appelle la post-vérité ou la vérité alternative… Rétablir la vérité face à des manipulations dangereuses doit devenir un travail primordial des médias et un souci permanent des politiques » : c’est Anne Sinclair qui le rappelle en publiant son dernier ouvrage (« Chronique d’une France blessée » – Editions Grasset). Depuis 2012, elle est la directrice éditoriale du site d’actualité « Huffington Post ».

(1) Contact : « Alliance pour les Chiffres de la Presse et des Médias – ACPM » – Stéphane BODIER, vice-président. Courriel : stephane.bodier@acpm.fr

1 Kommentar zu « Fake News » et « Post Vérité » – quand la presse écrite fait campagne !

  1. Yveline MOEGLEN // 12. April 2017 um 0:57 // Antworten

    Je ne sais pas si les réseaux sociaux sont parfois concourants des médias traditionnels mais une chose est sûre, c’est qu’ils sont souvent plus rapides et réactifs dans la diffusion des informations..
    Provenant majoritairement de particuliers, les infos balancées peuvent être fausses, certainement,. Mais qu’attendent aujourd’hui les citoyens ?? : Des infos en temps réel ;
    Le zapping, mais aussi les supports tels les téléphones portables ont habitué leurs propriétaires à du « tout de suite … et …maintenant ».
    Et lorsque les journaux et autres médias annoncent un évènement, celui-ci fait déjà parti du passé pour « les fous des réseaux » !
    Alors le temps que les rotatives se mettent en marche, on pense déjà à autre chose !!
    De plus, certains média, « fouille –merde » lassent … !! on doute même de la justesse de leurs investigations.. C’est dire à quel point on fatigue quand on veut laver plus blanc que blanc !
    Et enfin, surtout en période de campagne électorale, les journalistes font davantage passer leurs opinions personnelles au lieu d’informer en toute neutralité ! Il est alors logique que celui qui cherche de l’information se tourne vers les réseaux qui tout compte fait sont également des supports d’opinions données par des particuliers !

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