Fariba Adelkhah – Le jour où j’ai voulu entrer dans l’opposition… (1/2)

… en demandant le départ du Guide et un changement de régime ! Témoignant de sa longue privation de liberté, Fariba Adelkhah parle de son quotidien du quartier des femmes à la prison d’Evin.

En 2018, campagne pour la ville verte à Qom, cité religieuse très importante pour le clergé chiite, située à 150 km au sud-ouest de Téhéran. Foto: Fariba Adelkhah / CC-BY 2.0

(Fariba Adelkhah) – Quand, au bout de trois mois et quelque de détention provisoire dans l’aile des Gardiens de la Révolution, j’ai enfin pu me trouver dans une autre cellule plus grande, de 10 à 12m² de surface, et munie de toilettes et d’une douche, j’ai eu également droit à partager mon home, par intermittence, avec une autre détenue, voire deux, selon des critères qui nous échappaient.

Me voyant un peu trop souvent seule, et sans doute un peu isolée, les Trois Bouquets ont beaucoup insisté pour que je demande à changer de cellule. Une chose un peu difficile, car il s’agissait, d’une part, de mon intimité, difficile à partager. Bien sûr, il y avait un petit muret qui séparait la « chambre » de la douche et des WC, mais cela restait un muret ! D’autre part, il ne me serait plus possible de sortir, notamment à l’aube, à l’heure de la prière, pour aller aux toilettes collectives dont l’espace était bien aéré et lumineux. Sans oublier que sa douche était mitoyenne de la cellule des Trois Bouquets, et rien que de les entendre parler ensemble et rire me faisait du bien.

Dans ma nouvelle cellule, j’ai pu rencontrer des militantes politiques, moi qui ne l’étais pas – je me suis toujours cantonnée à mes activités scientifiques –, notamment les membres du groupe dénommé Quatorze, qui avaient signé une déclaration exigeant un changement de régime et le départ du Guide de la Révolution, Ali Khamenei. L’une des militantes de ce groupe, Nargues Mansouri, une syndicaliste de la société des autobus, a passé une semaine avec moi. Elle connaissait très bien l’histoire des Quatorze et surtout celle de son propre syndicat. Elle en parlait avec force et détails, très intéressants, sur les rares espaces syndicaux laissés à la mobilisation sociale en Iran. Femme divorcée, mère d’une petite fille de 8 ans, elle m’a fait part de certaines questions de ses interrogateurs : « Comment ils ont fait pour vous trouver ? Vous êtes toutes des femmes divorcées ! ». Ce qui n’était d’ailleurs pas faux. Nargues en riait, en ajoutant : « Comme si cela les regardait ! ».

Fille de blessé de guerre et de martyr, elle tenait à cette double présentation. En fait, les martyrs de la guerre Iran-Irak, ne sont pas seulement ceux qui sont tombés sur le front. Beaucoup sont morts ultérieurement de leurs blessures après la guerre, et ce, jusqu’à nos jours. Les blessés et autres mutilés de guerre, finiront sans doute martyrs (shahid), mais avant ce dénouement héroïque, ils accèdent au statut de janbaz (littéralement : celui qui met sa vie en jeu). Nargues a entièrement raison de différencier les deux statuts, car les janbaz (qu’on déclinait de 25% à 75%, selon la gravité de leurs blessures) étaient en majorité à la charge de leur famille, tout en recevant une pension proportionnelle à leur état de santé.

Nargues Mansouri passait son temps, elle aussi, à écrire, à contester les accusations portées à son encontre, à demander à voir sa famille, notamment sa fille. Elle voulait également être reçue par le Guide qui, selon elle, pourrait parfaitement comprendre les raisons qui l’avaient poussée à rejoindre les Quatorze. Le personnel pénitentiaire la regardait de façon un peu hautaine en rétorquant : « Comme si Agha (le Guide) n’avait rien d’autre à faire ! ». Le reste du temps, elle bataillait avec les autres, notamment ses interrogateurs. Elle se fâchait très vite. La crise démarrait infailliblement par des insultes au régime et au Guide et des cris conséquents. Un jour, elle avait tapé dans le miroir qui sépare l’accusée de ses interrogateurs. Celui-ci s’est brisé sur elle. Narguès a remonté les escaliers ensanglantée, soutenue par deux membres du personnel pénitentiaire. Elle n’a pas touché à son repas, et longtemps crié, sans effets. Tel est d’ailleurs le mode d’action des gardiennes. Faute de pouvoir aider les détenues, elles les laissent seules à leur détresse. En moins d’une heure, parfois deux, tout s’arrête. Si besoin est, vous êtes conduite à l’infirmerie et on vous administre un calmant, voire un antidépresseur.

J’avais appris – Ne me demandez pas comment ! La circulation des informations est au top à Evin ! – qu’une des trois animatrices principales de ce mouvement des Quatorze, une femme de 70 ans, avait été arrêtée et se trouvait dans la cellule au bout du couloir, juste avant d’emprunter les escaliers qui nous permettaient de descendre dans la cour. On est curieux en prison, et on est attirée par les nouvelles arrivantes. On aime faire connaissance avec elles, et surtout les rassurer pour qu’elles ne se sentent pas seules. Ayant beaucoup entendu parler de cette Shahla, qui avait une belle voix de ténor, j’avais bien sûr envie de la voir. Ce sont, après tout, les célébrités du monde d’Evin ! Mais comment faire ? En passant devant sa porte, je guettais toujours la distance qui me séparait de la garde en charge de nous accompagner. Il ne faut quelques fois que 30 secondes, pour ouvrir le judas et regarder dans la pièce. Je l’avais fait deux fois, toujours sous les cris des gardes ! Mais, ce jour-là, rien à faire.

La suite demain…

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