Fessenheim mon amour… (1/5)

Dans cette mini-série en 5 volumes, Franck Dautel raconte ce qu'il pourrait se passer en cas d'accident – dans le Rhin Supérieur.

Un séisme dans le Rhin Supérieur ? Impossible... Foto: Pixabay / Roland Mey / CC0

(Par Franck Dautel) – 11 mars 2019. Il pleut sans arrêt depuis quatre jours sur Bâle et sa région. De grandes bourrasques de vent filent le long des ruelles de l’ancienne ville. Les hampes des drapeaux du Johanniterbrücke claquent violemment au rythme du vent au dessus du Rhin alors que de grosses averses giflent par vagues les façades des immeubles et des monuments du bord du fleuve. On se croirait en bord de mer.

La ville est plongée dans une grisaille morne et froide. Cette deuxième semaine de mars bat des records de pluviométrie. Le Rhin est d’un brun-gris sombre et déborde sur les quais. Il n’y a bien qu’à l’intérieur des habitations que l’on devine encore, à travers les fenêtres et les rideaux, un peu de chaleur et de lumière…

Patrick Tisser regarde par la fenêtre les feuilles mortes monter rapidement dans les airs. Il fixe le ciel encore quelques instants puis se met en route sans tarder car il doit rejoindre l’aéroport international de Bâle-Mulhouse pour 18h, ce qui s’annonce quelque peu difficile depuis ce matin… Il y a un bon kilomètre à parcourir à pied entre son appartement de la Hammerstrasse situé sur la rive droite du Rhin et le Mittlerebrücke. Son fils Paul l’attend pour passer sur l’autre rive. Tous les ponts de la ville sont bloqués depuis l’aube par des opposants à l’énergie nucléaire comme c’est le cas sur l’ensemble des ponts sur le Rhin entre Bâle et Mannheim. Les passerelles pour piétons, les ponts dédiés à la circulation classique ou ceux des transports en commun, tout est bloqué depuis 5 heures du matin. Patrick s’aperçoit une fois en marche qu’il a oublié son téléphone portable sur son bureau. Trop tard, plus le temps de revenir en arrière…

La ville est à l’arrêt. Aucun tram ne circule et les taxis ne rouleront pas aujourd’hui en signe de protestation contre ce mouvement d’ampleur touchant toute la région du Rhin Supérieur. Une action qui se déroule après un accident grave survenu le 16 février à la centrale nucléaire de Beznau dans le canton d’Argovie en Suisse. La doyenne mondiale des centrales nucléaires a bien failli exploser pour de bon. Une catastrophe évitée de justesse après une manipulation d’entretien effectuée sur la pompe du circuit primaire par un employé de la société Axpo, l’exploitant de la centrale. La pompe principale avait été arrêtée par erreur, sans que la salle de contrôle ne s’en aperçoive… On est passé à deux doigts de l’accident majeur et de la fusion du réacteur n°1, le plus ancien encore en fonctionnement dans le monde !

Les autorités helvètes ont immédiatement décidé d’arrêter l’exploitation de Beznau et d’engager au plus vite la fermeture des trois autres réacteurs en service dans le pays.

Plusieurs dizaines de milliers de militants antinucléaires suisses, allemands et français accompagnés d’une part importante des populations locales ont pris d’assaut l’ensemble des ponts à la même heure ce matin. Ils sont plusieurs centaines sur chaque pont et dans les environs proches pour bloquer efficacement les accès.

Leur slogan est sans appel, il figure sur des nombreuses bannières frappées par le vent, un peu partout au-dessus du Rhin : « 8 ans après Fukushima, Fessenheim doit fermer ! ». Ils ne lèveront le camp que lorsque le gouvernement français aura pris la décision de fermer d’urgence la plus vielle centrale nucléaire du pays.

En effet, Fessenheim est toujours en fonction en cette mi-mars alors qu’un séisme d’une magnitude de 5,8 degrés sur l’échelle de Richter est survenu le 1er. Une magnitude capable d’engendrer des dégâts importants sur les vieux bâtiments.

En ce 11 mars 2019, la centrale de Fessenheim a 41 ans et sa structure en béton a été endommagée par le séisme. Tous les médias ont montré et en boucle, les blocs de béton du bâtiment du réacteur n°1 tombés au sol ainsi que les énormes fissures visibles sur le dôme du réacteur n°2. La digue qui surplombe la centrale de 12 mètres a apparemment supporté les quatre secousses mais les experts refusent publiquement de reconnaître qu’elle est encore fiable…

Paul, le fils de Patrick, l’attend à l’entrée du Mittlerebrücke. Pas le choix, il faut traverser à pied le pont pour récupérer la voiture d’un ami de son fils qui se trouve sur l’autre rive afin de tenter de filer vers l’aéroport malgré la circulation qui est très congestionnée depuis la levée du jour.

Patrick se tourne vers son fils…

- Quel bordel ! Je ne suis pas certain d’arriver à l’aéroport à temps… Regarde-moi ce souk !
- Tu te rends compte papa, quand même, à quel point ce serait pire si la centrale de Fessenheim venait à sauter ?! Je trouve que l’idée est bonne. Un cas d’accident majeur ce serait un souk général, tu peux me croire !
- Peut-être mais il y a d’autres moyens pour le dire ! Regarde même à pied on n’avance pas !

Il est en effet difficile d’avancer sur le pont. Des barricades sont dressées tous les 30 mètres, des chicanes et des barrières empêchent tout déplacement rapide. Les occupants semblent être installés là pour un bout de temps.

Les choses s’annoncent pourtant plutôt bien pour Patrick car il n’effectuera pas ses vols réguliers vers Londres ou Moscou comme depuis trois ans. Il prendra tout d’abord, en début de soirée, la direction de Bordeaux avec un vol régulier. Puis s’envolera une heure et demi plus tard pour rejoindre Le Caire avec un vol spécialement affrété par des professionnels du tourisme égyptien. Il ramènera au pays des représentants politiques ainsi que des artistes qui rentrent chez eux après avoir été les invités d’honneur d’une grande exposition touristique.

Il est pilote de ligne depuis 3 ans sur EasyJet après 10 ans passés chez Swissair.
De puissantes rafales de vents soufflent de l’Est. Les manifestants sur le pont lui tournent le dos pour se protéger des sceaux d’eau glacée qui balaient et rincent tout sur leur passage.

Paul est un peu inquiet pour son père…

- Tu n’as pas peur de décoller avec ce vent et cette météo horrible ?
- A pleine puissance au décollage ça ira, ce qui n’est pas le cas pour les atterrissages… Mais ne t’inquiète pas, j’ai l’habitude !

Le trajet vers l’aéroport sans autre encombre.

La météo impose effectivement à tous les avions de changer de direction de décollage vers le Nord.

Au bureau de la compagnie on lui donne les dernières consignes, rien de bien compliqué pour un pilote expérimenté comme lui. Il patiente là quelques minutes en feuilletant un guide touristique de l’Egypte qu’il a emporté avec lui car il va prendre deux semaines de vacances. Un ovni chez cet hyperactif qui n’a pris aucun congé depuis 5 ans, une aubaine pour son employeur…

20:05 le vol EasyJet CH n°DS1106 à destination de Bordeaux décolle de l’aéroport de Bâle-Mulhouse. L’A320-200 emporte 143 passagers et 5 membres d’équipage.

Le « Baslerwind », le vent de Bâle souffle toujours de l’Est avec de puissantes rafales. Ce vent latéral atteint par moments les 75 nœuds soit près de 140 km/h produisant de fortes turbulences au niveau du sol et jusqu’à l’altitude de 400 m.

L’aéronef prend son envol, secoué par des cisaillements latéraux puissants mais Patrick a, c’est vrai, une solide expérience technique de ce genre de situation. Il corrige facilement et en douceur la trajectoire, l’équilibre ainsi que la montée vers l’altitude opérationnelle qui se fait sans autre encombre.

Le train d’atterrissage et les dispositifs hypersustentateurs sont rentrés. Il est 20:11.

Quelques minutes plus tard l’avion se trouve à une quinzaine de kilomètres de l’aéroport, au dessus du Rhin, non loin de Hombourg, côté français, entre la Forêt de la Hardt et le fleuve. Il se trouve à 2 800 pieds d’altitude (plus de 800 mètres).

Le copilote félicite Patrick pour cette ascension parfaite à peine troublée par les bourrasques latérales pourtant vigoureuses.

- Félicitations Commandant ! Je vous dois des excuses car je pensais vraiment passer un mauvais moment comme tous les passagers à mon avis. Chapeau, c’était parfait !

Patrick déguste en silence ce compliment. Il est reconnu pour être un des meilleurs pilotes de la compagnie, ce qui était déjà le cas chez Swissair.

Il répond…

- Vous savez, j’ai fait de la voltige durant des années étant plus jeune et cela me sert toujours aujourd’hui même avec un appareil 20 fois plus gros !

L’aviation est pour lui un rêve d’enfant. Il a étudié avec acharnement pour arriver à ses fins. Titulaire d’un brevet de pilote à 16 ans il est connu pour être un des pilotes les plus exercés sur l’A320 dont il a été d’ailleurs pilote d’essai. Ce bel appareil n’a plus de mystère pour lui, même s’il reconnait volontiers qu’aucun pilote n’est jamais au bout de ses surprises en matière d’aéronautique.

Lisez la suite demain ici !

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