Festival MUSICA : Portes béantes sur le Jardin de Jouvence

Corps, jeunesse et nouveaux mondes

A MUSICA, jeunes compositeurs, jeunes interprètes : Natalia Salinas dirige les musiciens de la HEAR à Strasbourg Foto : marcchaudeur

(Marc Chaudeur) – Chaque fois que le/la dirigeant.e tend la main pour la première fois, on est pris sur le fait : la note qui suit est tout à fait inattendue. Alto, cymbalum, flûte ou ondes Martenot ? Ou bien tous à la fois… La musique contemporaine, c’est l’ouverture absolue, la création de mondes inouïs. Cela est vrai aussi pour le rapport du corps à la musique et au monde : il est devenu radicalement imprévisible et ouvert aux quatre évents.

La journée du mardi a commencé sur une réflexion qui s’étendra sur 3 jours et qui porte pour enseigne : Le Corps comme média, de Dieter Schnebel à Jennifer Walshe – en d’autres termes : de 1970 à 2018. Un sujet richissime : il englobe les expérimentations des années 1950-1985, le traitement informatique et numérique des corps, et d’autres transformations immenses du regard même que les compositeurs et musiciens portent sur le corps.

Et puis cette question qu’on se pose à chaque concert, si on n’a pas du chou fleur bouilli entre les tempes : comment font-ils ? Comment font les compositeurs pour créer avec autant d’esprit novateur, mais aussi de précision, un instrument par ci, trois instruments par là ? Et comment font-ils pour noter et décrire ces mondes nouveaux ? Mardi soir, Anne-Sylvie Barthel-Calvet, qui enseigne à l’Université de Metz, a exposé pour nous tous les types de notations qui fleurissent depuis les années 1960, avec une incroyable variété : des partitions qui s’aident de photos, de dessins, de symboles parfois arbitraires, parfois descriptifs, qui deviennent ainsi des objets plastiques autant que musicaux – et prescrivent interprétations et postures aux musiciens (hochements de tête, trépignements, bras moulinants) en les dépeignant sur le papier à notes. Parfois,d’ailleurs, comme celles de Francesco Filidei, elles les prescrivent aux auditeurs : se boucher les oreilles à moitié, etc !

Deux conséquences à cela, auxquelles on ne pense pas assez. D’une part, le corps de l’interprète devient lui-même plastique : il doit pouvoir se mouvoir, exprimer presque aussi fort que la musique elle-même – par exemple dans les œuvres toutes récentes de Natacha Diels comme son Second Nightmare (2013). Ce qu’il fait… très mal aujourd’hui, n’ayant pas bénéficié d’une formation adéquate qui n’existe pas encore ! Le corps du musicien demeure roide… et mécanique. Justement : dès 1964, lors du Colloque de Darmstadt auquel participait notamment Stockhausen, certains ont reproché avec virulence aux compositeurs de mécaniser le corps de l’interprète. D’en faire une marionnette. Une marionnette, dites vous ? On pense alors à Kleist, bien sûr, qui dans son Über das Marionnettentheater,vers 1810, montrait l’ambivalence de la marionnette, justement : jouant son rôle parfaitement, bien mieux que le comédien pris dans sa duplicité, elle atteint à la grâce parce qu’elle n’a pas à dépasser les lourdes particularités de l’individu humain, pourvu de conscience. Ce qu’on souhaite ardemment à tout musicien !

On n’attend pas le nombre des années pour savoir créer des mondes : c’est ce que nous ont montré à profusion les prestations des élèves de la Haute Ecole des Arts du Rhin. Inventivité, précision et virtuosité stupéfiantes ! On a vu un nombre très important de jeunes gens qui se passionnent à former et à traduire des univers nouveaux, inattendus, et débordant de saveurs inconnues, tout comme ils se préoccupent, EUX, de sauvegarder le monde qui existe encore ! LoÏc Leroux, Nicolas Larrosa, Salvatore Iaia, Sergio Rodrigo et Damian Gorandi, jeunes gens d’une vingtaine d’années, ont dessiné pour nous dans l’espace des figures magnifiques et passionnantes.

Tout cela est encourageant. Greta Thunberg à New York, MUSICA à Strasbourg… L’Apocalypse attendra bien encore un peu.

 

 

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