Festival MUSICA : Scelsi Earl

Journée Giacinto Scelsi hier jeudi à Strasbourg.

Débat sur Giacinto Scelsi hier jeudi à la BNU : Jean Wittersheim, d'ARTE ; Sebastiano d'Ayala Valva, réalisateur ; Joëlle Léandre, contrebassiste ; et Nicolas Lesoult, producteur. Foto: Rédaction d'Eurojournalist (e).

(MC) – Le compositeur Scelsi, étonnamment moins connu que nous ne le pensions, nous comble. Il est l’un des artistes qui remplit le mieux l’espace entre les oreilles, l’imagination et le ventre. Giacinto Scelsi est mort le 8 août 1988, pour mieux nous informer qu’il avait atteint l’infini ; mais nous le savions déjà.

Le son, le son, le son ! Joëlle Léandre, qui a beaucoup collaboré avec Scelsi, aurait pu sauter comme un cabri sur son siège rubicond de la BNU en racontant son travail avec le Comte de Campanie, hier matin… La musique de Scelsi, en effet, insiste moins sur la forme et les structures que sur la vibration – du moins, ce que Scelsi appelait ainsi. Une musique jouant sur la profondeur des sonorités, raffinée et un peu baba ; car Scelsi, né en 1905, racontait qu’il recevait sa musique d’en haut, d’une divinité hindoue. Et puis, il pratiquait le yoga, assidûment. Une musique jouant beaucoup des micro intervalles, et comme statique (on est étrangement saisi parfois par une secrète analogie avec l’ostentation immobile de la musique de Frescobaldi. Une musique-ostensoir dont les rayons lumineux et la densité nous atteignent au plus profond de notre coeur et de notre estomac.

Les gentils organisateurs de Musica nous ont gratifiés de deux merveilles : d’abord, une improvisation inspirée du compositeur italien par Jean-Marc Foltz, Stéphan Oliva et Bruno Chevillon. Scelsi affirme que sa musique est en connexion avec le Cosmos. Il disait aussi que le son était sphérique – et on a réellement l’impression, dans sa musique et dans celle qui s’en inspire, de se mouvoir dans la cloche de verre de l’Univers (guettés et raillés par les Vénusiens, sans doute). C’est là un changement important dans la représentation des musiques qui se veulent cosmiques. Voici quelques siècles et depuis le Timée de Platon, on parlait de la musique des sphères : une musique d’un raffinement absolu, à peine perceptible, venant des planètes et des orbes, et régie par des lois mathématiques strictes et éternelles. Mais pour Scelsi, c ’est la musique elle-même qui est sphérique désormais, qui fait monde ; un monde qui se suffit à lui-même.

Le soir, ç’a été la projection de deux films en avant-première : un documentaire, Scelsi, le premier mouvement de l’immobile, de Sebastiano d’Ayala Valva, et un concert filmé l’an dernier d’une œuvre datant de 1966, Uaxuctum, qui exhale le parfum subtil des années 1960-70. Uaxuctum raconte l’histoire d’une cité maya que les habitants détruisent eux-mêmes, pour d’obscures raisons religieuses qu’un jésuite aguerri pourrait nous expliquer brillamment. Une oeuvre pour ondes Martenot, sept percussionnistes, timbales, choeur et 23 musiciens qu’interprétaient le choeur et l’Orchestre Philharmonique de Radio France. La réalisation par Sebastiano d’Ayala Valva est extraordinaire, l’éclairage par le directeur de la photographie est magnifique. Ils devraient servir de modèle d’inspiration pour les captations filmées de concerts. Prenez en de la graine, jeunes blancs-becs.

Le film documentaire de Sebastiano d’Ayala Valva, lui, montre l’empreinte spectrale de Giacinto Scelsi sans qu’on n’en voie jamais nulle photographie, puisque le compositeur refusait catégoriquement de laisser des images de lui – on ne dispose que de quelques rares photos du Comte. On le voit donc, on le perçoit, par la médiation radiale de ses interprètes préférés : Joëlle Léandre, Carol Robinson, Marianne Schroeder, ou Michiko Hirayama. Scelsi entretenait avec ses interprètes des rapports très exigeants – comme s’il voulait qu’elles s’imprègnent du son (sphérique, n’est-ce pas) à l’extrême, au point de devenir elles-mêmes son.

Le fil directeur de ce documentaire, ce sont des extraits de quelque dix heures d’enregistrement que Scelsi a laissées peu de temps avant l’insolation qui l’a emporté : quatre nuits d’enregistrement sur les éléments essentiels de son existence.

Une musique trop peu connue, donc, qui laisse l’impression étrange de s’adresser au centre de notre être. Comme si elle parlait à chacun d’entre nous et nous disait à chacun ce qu’il est, sans complaisance. Une musique qui nous parle sans bavardage et presque sans mouvement.

Ce soir, Frank Zappa, 200 Motels, à 20.30, au Zénith. A ne point rater !

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