Fusion des Länder : un autre débat franco-allemand

La Sarre relance le débat sur les fusions des Länder en Allemagne !

Le parlement régional de la Sarre - est-ce qu'on y prépare une fusion des Länder "à la française" ? Foto: AnRo0002 / Wikimedia Commons / CC0

(Par Alain Howiller) – Alors qu’en France se poursuivent, au Parlement, les débats sur le projet gouvernemental de réforme territoriale et de fusion des régions et que l’Alsase poursuit, à l’image de la Bretagne ou de la Corse, son combat pour rester une région à part entière sans fusion avec d’ autres régions, Annegret Kramp-Karrenbauer, la Ministre-Présidente (CDU) de la Sarre, plus petit Land allemand, a lancé un pavé dans la marigot politique d’outre-Rhin ! Elle a choisi le quotidien de… Munich -la Süddeutsche Zeitung, tout un symbole- pour y relancer un serpent de mer particulièrement délicat : celui de la réduction -nécessaire selon elle- du nombre des Länder ! Face à la difficile situation économique d’un certain nombre de ces régions (dont la Sarre), elle propose, ni plus ni moins, que leur nombre soit ramené de 16 à 6 ou 8 !

Elle estime que cette mesure s’avèrera indispensable si on n’arrive pas à réformer au profit des plus pauvres, le système de péréquation des aides entre Länder, alors que se profile la mise en place de la «règle d’or» de l’équilibre budgétaire qui s’imposera aux Länder à partir de 2020 ! Elle n’ignore pas non plus que la disparition (très éventuelle pour beaucoup !) à partir de la même année, de l’impôt de solidarité créé pour aider les Länder de l’Est, risque de constituer un handicap sérieux pour un certain nombre de régions de l’ex-DDR !

Peu d’enthousiasme pour les fusions ! – On ne peut pas dire que les propositions de la ministre-présidente de la Sarre aient soulevé un enthousiasme débordant, au point que l’auteur même de la proposition a essayé de relativiser sa proposition, devant l’impact de ses propos, en soulignant qu’elle n’avait avancé ses idées que dans… l’hypothèse où la réforme de la péréquation entre régions pauvres et riches, au profit des premiers, n’aboutirait pas ! Hypothèses qui est loin d’être… hypothétique dans la mesure même où certains Länder riches (comme la Bavière qui a engagé, avec la Hesse, un recours contre le système actuel devant la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe) sont, au contraire, favorables à une réforme qui les soulagerait du poids des autres ! Ces mêmes états riches ne voient pas non plus d’un oeil favorable la reconduction, envisagée par certains, de l’impôt de solidarité : à moins qu’on en modifie profondément les règles d’attribution !

Annegret Kramp-Karrenbauer a également vu se lever le même débat que la France connaît au travers de la réforme territoriale voulue par François Hollande : la fusion des régions éloigne du citoyen, les centres de décision, arrache les racines historiques où les régions puisent leur légitimité, met en cause leur identité. «S’il s’agit de régler le problème des dettes qui pèsent sur un certain nombre de régions, la fusion n’est certainement pas une solution : qui aura envie de fusionner avec le Nordrhein-Westfalen criblée de dettes ?», assène Stabislaw Tilich, le ministre-président CDU de la Saxe qui s’apprête à occuper à nouveau son siège de ministre-président, grâce à une coalition chrétiens-démocrates/SPD.

L’économie et le «fisc» ne suffisent pas : il faut du coeur ! – «On ne fusionne pas des régions pour les seules raisons économiques ou fiscales : il faut encore que les coeurs adhèrent à l’idée», lance la représentante du Land de Rhénanie-Palatinat. L’idée butte contre des oppositions en Bavière : le ministre-président du Land Host Seehofer est, en personne, monté au créneau pour souligner que «la première mega-obligation est de mettre de l’ordre dans les finances… Il ne sert à rien de spéculer sur ce qui pourrait arriver si nous ne réussissions pas à trouver des solutions sur ce plan !»

Le Ministre des finances de Nordrhein-Westfalen est, lui aussi, plutôt sceptique relevant : «Les problèmes de la Sarre ne seraient pas moindres si elle fusionnait avec la Rhénanie-Palatinat : simplement ils seraient moins… visibles !» La ville-état de Breme, pourtant en quasi faillite, le Land de Saxe, qui va être dirigé par une coalition CDU/SPD, ont mis en garde devant la perspective de fusions et en Sarre même, qui pourrait être fusionnée avec la Rhénanie-Palatinat proche, les sceptiques ont émis des doutes ! Rappelons que l’ancien ministre-président de Rhénanie-Palatinat Kurt Beck avait proposé cette fusion, en janvier 2003 : elle avait été rejeté par la Sarre !

Une chancelière venue de Sarre ? – L’impact des propos de la jeune ministre-présidente de la Sarre, 51 ans, a sans doute été d’autant plus grand que nombre d’observateurs considèrent qu’elle est l’une des rares confidentes d’Angela Merkel : certains pensent même qu’elle pourrait succéder à la chancelière après 20217, la Ministre de la Défense Ursula von der Leyen jusqu’ici favorite dans l’ordre de la succession, ayant visiblement de la peine à gérer son département ministériel !

En fait, dès l’origine de la création de la République Fédérale, le problème de la définition des frontières des différents Länder s’était posé : il a même été relancé au moment de la réunification. La «Loi Fondamentale – Constitution allemande» prévoit, outre des possibilités de coopération institutionnelle entre Länder, la possibilité de fusions sous réserve que la fusion des Länder soit approuvée (à la majorité des deux tiers) par les parlements régionaux et ratifié par la population (au moins 25% des inscrits dans les Länder concernés). Plusieurs tentatives de fusions ont eu lieu : l’une seulement a réussi, les autres ont échoué, parfois dès l’élaboration du projet ou lors de la consultation des populations.

L’exemple unique du Bade-Wurttemberg ! – Celle qui a réussi dès 1952 et qui a été confirmée par un referendum badois en 1970, est celle qui a concerné la fusion des «Länder» du «Wurttemberg-Baden», du «Wurttemberg-Hohenzollern» et du «Pays de Bade» pour former le «Bade-Wurttemberg» ! La fusion a été une réussite – les drapeaux de l’ancien «Grand Duché de Bade» et, nostalgie oblige, de voir,de ci de là, apposées des plaques de fonte rappelant l’ancienne structure grand ducale ! Je me rappelle d’ailleurs, avec quelque amusement, d’un débat à Baden-Baden avec Günther Oettinger, alors ministre-président du groupe CDU du Landtag de Stuttgart, qui me reprochait de vouloir encourager… l’autonomisme badois parce que je plaidais pour un rapprochement entre l’Alsace et le Pays de Bade !

L’autre fusion exemplaire, mais dans l’échec, est celle qui a concerné un projet de rapprochement, en mai 1996, entre la «Ville-Etat de Berlin» et le Land de Brandebourg. La fusion échouera au stade du référendum populaire, en particulier du fait de l’opposition des votants au Brandebourg ! Depuis un projet d’état de la «Moyenne Allemagne» (Mitteldeutschland) devant réunir la Saxe, la Thuringe et le Land de Saxe-Anhalt, n’est pas allé au delà de l’idée, il en a été de même avec les idées de fusion entre Hambourg, le Schleswig-Holstein et Mecklembourg-Vorpommern, Brême et la Basse-Saxe, Berlin avec le Brandebourg et Saxe-Anhalt. Il y a même eu l’idée de la «restauration», en 1990, d’un Land : la Franconie voulait se séparer de la Bavière. Mais le projet sera retoqué par le Ministère Fédéral de l’Intérieur dont la position sera approuvée par la Cour de Karlsruhe et… la Cour Européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg !

Il n’y a pas que les fusions ! – Pour certains, le problème des moyens d’existence sera inévitablement relancé pour certains Länder sur-endettés : Berlin, Brême, la Sarre, Hambourg. Certains états souffrent encore des effets d’un endettement lié à la restructuration de secteurs anciens d’activités industrielles : le secteur minier (la Sarre qui, en plus dit-on à Sarrebruck, souffre du fait que de nombreux contribuables payent leurs impôts… dans leur pays de résidence, en France ou au Luxembourg !) ou la sidérurgie (Nordrhein-Westfalen). Certains ont trop dépensé. Mais tout porte à croire que le débat des fusions -qui d’ailleurs va au delà du seul débat sur les fusions- s’imposera cette fois autrement que, pour reprendre l’image d’un responsable politique, sous la forme d’un débat récurrent qui, comme le Monstre du Loch Ness, surgit une fois l’an pour disparaître à nouveau sans laisser de trace ! Mais, comme le soulignait Horst Seehofer, la solution n’est pas la définition de nouvelles frontières, mais la mise en oeuvre de nouveaux moyens au profit des régions en difficultés.

Cela suppose une rigueur dans la gestion, mais aussi des moyens de faire face (y compris, mais pas seulement, dans les Länder de l’ex-DDR) au poids de dettes souvent héritées du passé. Cela peut passer par une redistribution entre riches et pauvres, entre Etat et Länder : on évoque à ce propos l’attribution aux Länder d’une part plus grande de la taxe sur le chiffre d’affaires. On évoque aussi que la fusion n’est pas la seule solution : cette dernière, comme la langue d’Esope, peut être la meilleure et la pire des choses, même débarrassé de toute idéologie. Un réflexion à transmettre de Berlin à Paris où se posent des approches du même ordre !

1 Kommentar zu Fusion des Länder : un autre débat franco-allemand

  1. Belle synthèse, comme d’habitude.
    Il faut donc dire aussi aux Alsaciens que la langue ne suffit pas comme ciment de la 14° région.

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