Georges Federmann et le trauma de la violence infligée

Echos d’une conversation sur la fusillade de décembre

Georges Yoram Federmann à Strasbourg Foto: eurojournalist(e) / CC-BY-SA 4.0Int

KL/MC – Nous avons conversé tout récemment avec Georges Federmann, fameux psychiatre et figure célèbre du milieu culturel et brassicole strasbourgeois. Ses propos se situent à la synthèse de son expérience personnelle vécue et de son activité professionnelle, très dense et très engagée.

Six semaines après la fusillade du 11 décembre dans les rues de Strasbourg et ses 5 victimes, où en est l’ambiance dans la capitale alsacienne et européenne ? Il y a une volonté d’effacer, nous dit Georges Yoram, mais aussi, une volonté d’analyser, de comprendre. Pourtant, cette analyse n’a pas encore été produite ; on se trouve encore dans la sidération, dans l’incompréhension : un état d’esprit classique dans ce genre de situation. On n’est même pas ferme sur la qualification de l’événement : un attentat, vraiment ? Ou bien un acte de folie, d’amok ? Cette absence d’analyse s’est retrouvée dans le refus initial par la municipalité d’enterrer Chékatt à Strasbourg, où il il est né, a passé toute son enfance et presque toute son existence. Et aussi dans le débat qui s’en est suivi, qui avait quelque chose d’épidermique, d’irréfléchi. Le crime de Chékatt et le refus de l’enterrer à Strasbourg ? Crime pour crime… Réfléchissons un peu : où enterrerait-on, dans ce cas, les prêtres pédophiles, par exemple, ceux en somme qui détruisent des dizaines, des centaines de vies, sans cesse ?

Pour ce qui est du traumatisme qu’a produit cette fusillade, non : il n’a pas été digéré. Entre le moment de l’acte meurtrier et l’arrestation de Cheriff Chékatt, plus d’un millier de personnes étaient « accueillies » par des médecins en urgence. Et plus tard, maintenant, restent au moins celles qui ont été témoins des meurtres, celles qui se trouvaient à proximité immédiate et ont entendu les coups de feu, etc etc. Et on sait très bien qu’un tel traumatisme peut n’être jamais « digéré », qu’il peut ressurgir à chaque instant, dans 3 jours ou 10 ans, lors d’occasions évidemment imprévisibles – ce qui tient à la nature même de l’existence humaine. Ces déclencheurs peuvent être n’importe quoi ou presque, n’importe quelle situation de stress, une rupture amoureuse, la perte d’un emploi, le décès d’un proche…

Georges parle en connaissance de cause, puisqu’il a été lui-même blessé voici quelques années lors d’une fusillade qui a coûté la vie à sa compagne. Il insiste sur la nécessité d’un accompagnement sensible et plein de discernement. Quel accompagnement, au juste ? En réalité, structures d’accueil et « cellules de crise » sont relativement inutiles, voire parfois néfastes : elles participent en réalité (comment pourrait-il en être autrement…) de cette société très anxiogène et pourvue des mille yeux de la surveillance omniprésente aujourd’hui ; et cet accompagnement là n’est nullement rassurant, il n’éteint ni l’angoisse ni les peurs qui sont celles de tout un chacun, où un acte comme celui de Chékatt n’est en définitive qu’une émergence parmi d’autres. Autrement dit : structures et cellules de crise ne font que prolonger le sentiment d’urgence ; et elles augmentent la peur plutôt qu’elles ne la diminue !

Un accompagnement plus satisfaisant : celui que peut accomplir le médecin traitant ; car n’est-ce pas lui qui connaît le mieux son patient ? Et quand ce dernier va voir un expert à propos des suites de son trauma, il est très conseillé pour lui de se faire accompagner par ce médecin ; car l’expert a toujours tendance à minimiser ces conséquences…

La violence ? Oui, certes. Les cinq morts de Chékatt – et puis tout autour : la violence de la malbouffe Mc Do, les 3500 victimes de la route par an, l’alcool, les cancers dûs au tabac, les 20 000 suicides chaque année… Tout ceci est violence, oui ; une violence qui imprègne toute la société. Dans cet ensemble, les mesures de sécurité n’augmentent d’ailleurs pas… la sécurité. Bien au contraire ; elles forment un cercle vicieux, elles engendrent même parfois elles-mêmes – souvent – la violence. Et nous avons renoncé, semble-t-il, à travailler ensemble sur nos peurs, qui peuvent ainsi fleurir comme elles le désirent. Nos peurs ? Nous ne sommes pourtant pas au Yémen, ou en Syrie, ou en Afghanistan ! Mais bizarrement, et pour des raisons qu’il est très utile d’analyser, nous Occidentaux avons peur, peur de tout.

Alors, que pouvons-nous faire ? Nous venger ? Non, certes – les vieilles réponses de Socrate et de Jésus restent d’une puissante justesse : la vengeance exige une dépense gigantesque d’énergie, est inutile, et engendre le fameux cercle vicieux qui n’en finit jamais. Reste le Pardon. Nous devons essayer de trouver la paix avec les événements, avec les lieux, avec les personnes, les autres. Avec nous-mêmes.

 

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