Heureusement qu’Erdogan a sauvé la démocratie…

Dans le cadre de ses « purges », le président turc s’attaque maintenant à l’opposition. Le HDP, troisième groupe du parlement à Ankara, est dans le collimateur.

La population turque est fière d'avoir déjoué une attaque sur la démocratie. Mais un train peut en cacher un autre. Foto: Getty Images / Wikimedia Commons / CC_BY-SA 4.0int

(KL) – Elle est belle, la démocratie que Recep Tayyip Erdogan dit avoir sauvé. Dans la nuit de mercredi à jeudi, la police turque a effectué une descente dans le siège du parti kurde HDP qui avait obtenu 5,2 millions de votes lors des dernières élections et qui est le seul parti même pas soupçonné d’être connecté au mouvement Gülen qui lui, selon le pouvoir à Ankara, aurait organisé le « putsch » en Turquie qui livrait le prétexte à Erdogan pour effectuer des « purges » dans quasiment tous les domaines de la société. Pendant que la Turquie se transforme en une dictature, les responsables européens jouent la montre.

Outre les « purges » et arrestations de masses, outre les licenciements de dizaines de milliers de fonctionnaires, d’enseignants, de militaires, outre l’oppression systématique de minorités, outre une sorte de guerre civile contre la population kurde (parce que les combattants kurdes sont les seuls qui combattent effectivement Daesh ?), outre la mise à pas des médias, Erdogan s’attaque maintenant au système parlementaire en concertant des opérations d’intimidation contre un parti qu’il considère comme le « bras parlementaire » du PKK.

La descente dans les bureaux du HDP situés dans le quartier de Beyoglu à Istanbul était particulièrement musclée – les bureaux ont été dévastés par la police, après avoir enfoncé la porte d’entrée, en l’absence de tout fonctionnaire du parti. Le mobilier a été cassé et tous les disques durs des ordinateurs ont été embarqués par la police. Etat de droit ? Démocratie ?

Pour le député Ziya Pir du HDP, ces opérations sont destinés à intimider les élus du HDP et à manipuler l’opinion public en rapprochant le parti du PKK – pourtant, le HDP a toujours pris ses distances par rapport aux actes violents du PKK.

La propagande du système Erdogan fonctionne à merveille. Il a réussi à suggérer à la population turque qu’elle vient de sauver la démocratie en étouffant le « putsch », mais depuis, Erdogan a aboli, l’un après l’autre, les Droits de l’Homme et l’Etat de Droit. Et maintenant, la démocratie.

Mais qu’attend le Conseil de l’Europe pour suspendre, pour exclure la Turquie du cercle des 47 pays européens qui adhèrent à cette institution censée défendre – les Droits de l’Homme, l’Etat de Droit et la démocratie ? Qu’attendent les pays européens pour prendre les mesures qui s’imposent ? Comme la fin des négociations quant à une adhésion turque à l’UE ? Comme le gel de tout paiement européen à la Turquie ? Comme la terminaison de ce honteux accord sur les réfugiés ? Comme la suspension de tout échange commercial avec un pays qui actuellement, ne correspond à aucun standard européen ?

Après ses déclarations d’Ankara, où le secrétaire général du Conseil de l’Europe Torbjorn Jagland avait exprimé sa compréhension pour les « purges » opérées par le régime d’Erdogan, la diplomatie européenne joue la montre. Les déclarations que si jamais la Turquie devait réintroduire la peine de mort, elle serait exclue des institutions européennes, sont tièdes. Tant que le parlement turque n’a pas débattu et voté sur cette question, il ne se passera donc rien au niveau européen – on regarde les bras croisés la Turquie se transformer en un régime islamo-totalitaire-autoritaire.

La nouvelle amitié entre Erdogan et Poutine, qui fait penser à un autre pacte conclu le siècle dernier entre les dictateurs allemand et russe, ne semble pas non plus inciter la politique européenne à se positionner clairement. Est-ce que le déni des libertés de la presse, de l’expression des partis politiques, l’abolition de l’état de droit et des Droits de l’Homme ne suffisent pas pour que l’Europe se mette à parler d’une voix ? Attendre que la Turquie vote en faveur de la réintroduction de la peine de mort est commode – on « gagne » quelques semaines. Mais que fera l’Europe lorsque le régime Erdogan se mettre à exécuter les putschistes et opposants au régime ? Rien ? Comme maintenant ?

L’attitude de Recep Tayyip Erdogan montre clairement qu’il se fiche pas mal de ce que l’Europe peut bien penser de la mise en œuvre de son « Empire ottoman 2.0 » – et puisque l’Europe est, une fois de plus, incapable d’agir ou de réagir, il aura tout le loisir du monde de créer des réalités que plus personne ne sera en mesure de contester par la suite.

Il faut agir et ce, rapidement. C’est aux institutions européennes d’intervenir en décidant de sanctions contre un régime qui a le potentiel de déstabiliser toute une région qui s’étend du Proche Orient jusqu’en Europe. Est-ce que l’Union Européenne serait en train de répéter une erreur comme celle de la deuxième moitié des années 30 en Allemagne ?

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