(Spécial été 2022) – « Iel », un questionnement linguistique et sociétal (1/2)

Au mois d’octobre dernier, le Petit Robert a ajouté le pronom « iel » sur son format numérique, dont voici la définition : « Pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel, employé pour évoquer une personne, quel que soit son genre. (…)».

Un petit pronom qui déclenche de grands débats... Foto: Elise Arfeuille / Eurojournalist(e) / CC-BY-SA 4.0int

Elise Arfeuille a fait un stage chez Eurojournalist(e) en fin de l’hiver dernier. Ses deux articles sur le pronom “iel” avaient suscité de nombreuses réactions. C’est pour cette raison que nous les publions encore une fois aujourd’hui !

(Elise Arfeuille) – « C’est une offense à la langue française et moi je ne suis pas pour déconstruire la langue française (…) », pense la candidate à l’élection présidentielle Valérie Pécresse. « Moi, l’écriture inclusive, je l’ai fait interdire dans ma région (…). », poursuit-elle. « J’interdirai l’écriture inclusive dans tous les textes officiels et dans les manuels scolaires », a réagi de son côté Eric Ciotti. « On ne doit pas triturer la langue française, même pour une grande cause », pense Jean-Michel Blanquer, « la langue est si belle. Et deux pronoms, c’est bien », renchérit Brigitte Macron.

Pour revenir aux origines de mot, le pronom « iel » est né en France, il y a une quinzaine d’années environ, dans le vocabulaire de la communauté LGBT qui l’emploie afin de désigner les personnes qui ne se retrouvent pas dans le masculin ou le féminin de la langue. Il s’agit d’un débat intimement lié à des changements sociétaux et de représentation des minorités. C’est pourquoi son ajout fait directement le lien avec l’écriture inclusive.

On peut entendre les arguments contre, ou réticents à cette introduction dans le dictionnaire. Car l’emploi du pronom « iel » pourrait signifier de revoir entièrement la langue et sa grammaire. Or, ses questions d’écriture inclusive font très souvent débat. En Allemagne, l’écriture inclusive faisait autorité depuis un moment, jusqu’à ce que le nouveau gouvernement annonce vouloir revoir cette loi, il y a peu de temps. Il semblerait en effet, que rédiger de la sorte, comporte des problèmes de compréhension et de lisibilité, dans un texte.

Cependant, ici, il ne s’agit que d’un pronom. Sa définition se trouve maintenant dans le dictionnaire, mais ce n’est pas une reconstruction de la langue. Comme le souligne Marie-Hélène Drivot, directrice éditoriale des éditions du Petit Robert, l’ajout du pronom « iel » diversifie l’écrit. L’idée n’est pas de changer de façon catégorique la langue, ou d’imposer une nouvelle conception de la grammaire. L’utilisation de « iel » reste minoritaire pour l’instant et son emploi est en cours de réflexion, quant aux accords qu’il faudrait employer avec. Pour autant, le pronom « iel » dans le Petit Robert répond à une demande, qui s’est précisée par son usage.

C’est pourquoi, selon Marie-Hélène Drivot, le travail de lexicographe consiste à la « description d’un usage linguistique », même rare. « On est un observatoire », conclut-elle, « pas un conservatoire », sous-entendant que la langue n’est pas figée, mais évolue et s’enrichie par de nouveaux termes, en permanence.

Eliane Vienot, interviewée par Médiapart, note par ailleurs, que l’écriture inclusive à des origines bien plus anciennes que ce que l’on pense. Des extraits de textes comme ceux de Racine en attestent, avec « des accords de proximités ». L’accord de proximité consiste à accorder le genre ainsi que le nombre de l’adjectif, avec le plus proche des noms qu’il qualifie, comme par exemple dans Athalie, de Racine : « Surtout, j’ai cru devoir aux larmes, aux prières, consacrer ces trois jours et ces trois nuits entières ». On peut retrouver sur le site internet d’Eliane Vienot plus d’exemples à propos des accords de proximité.

L’écriture inclusive trouve ainsi un écho dans les débats féministes. L’une des règles de grammaires en français les plus basiques demeure que « le masculin l’emporte sur le féminin ». Quand une majorité de femmes composent une assemblée, mais qu’il faille dire « ils » pour les désigner, il faut aussi comprendre que cela puisse souligner la prépondérance du masculin, même dans la langue. A ce titre, on pourrait penser que l’introduction de « iel » permettrait de se questionner sur la neutralité du genre, dans certaines situations, ou de revoir cette omniprésence du masculin en grammaire, afin de promouvoir également dans la langue, l’égalité des genres.

En Anglais, : la langue est beaucoup plus neutre. L’emploi du « they », normalement un pronom pluriel, peut s’utiliser pour désigner une personne au singulier, afin de ne pas mentionner son genre, ce qui est très fréquent, depuis une dizaine d’années. En espagnol, le même type de débat a lieu, concernant la proposition d’une terminaison en « e », afin d’éviter de choisir les terminaisons « o » masculin et “a” du féminin.

Le pronom « iel » pose des problématiques sur l’emploi de l’écriture inclusive. Le débat aurait pu ne pas avoir lieu, mais il est significatif des incompréhensions, des réticences de certains sur le sujet, mais aussi de la complexité de la langue à s’approprier de nouveaux termes et de nouvelles formes de langage. Cette complexité de la langue fait débat et s’inscrit dans un contexte de questionnement sociétal très fort, qui fera l’objet d’une seconde partie.

En attendant la publication de la 2e partie demain, gardons le dialogue ouvert, même pour un tout petit pronom.

 

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