Indemnisations : l’Allemagne continue de payer pour le passé !

Soldats russes indemnisés, victimes grecques du nazisme en attente. Le passé fait encore partie du présent.

Comme dans le camp de Deblin en Pologne, les Nazis tuaient les prisonniers russes en masse. Maintenant, elle indemnise les rares survivants - 70 ans après. Foto: Wikimedia Commons / PD

(Par Alain Howiller) – Curieusement, on en a peu parlé, pourtant dans le contexte actuel des tensions germano-russes liées à la situation en Ukraine, la décision que vient de prendre la «Commission du budget» du Bundestag est sans conteste, un signe envoyé à Moscou par la grande coalition CDU/SPD. 70 ans après la Deuxième Guerre Mondiale (!), les députés sociaux-démocrates et chrétiens démocrates, auxquels devraient se joindre les élus du parti des «Verts» ainsi que ceux du parti de l’extrême-gauche «Die Linke», ont décidé, après deux années de discussions bloquées par le parti libéral «FDP» et le bloc CDU/CSU, de verser une indemnité aux anciens soldats russes qui ont survécu aux camps ce prisonniers ouvertes par les nazis. La Commission a voté un budget de 10 millions d’euros à verser aux trop rares survivants. Chacun d’entre eux -on estime que leur nombre serait de l’ordre de 4.000 !- toucherait 2.500 euros. Un versement qui prend valeur de symbole compte tenu ces tensions actuelles et, surtout, compte tenu du fait que… 3 millions de soldats russes ont disparu dans les camps nazis !

«Il s’agit là d’une reconnaissance -tardive mais importante- par la République Fédérale d’une responsabilité historique liée au chapitre de la politique d’anéantissement conduite par le régime national-socialiste. C’est, dans le même temps, un signal fort d’amitié entre les peuples vis-à-vis de la Russie, de la Biélorussie et de l’Ukraine», ont souligné Volker Beck et Sven-Christian Kindler, deux députés «verts» tandis que Jan Korte, représentant de «Die Linke», a lancé : «Les chrétiens-démocrates acceptent enfin de reconnaître l’obligation morale de la République Fédérale de verser aux rares survivants russes au moins un dédommagement même symbolique !»

Les biens allemands saisis en Grèce ! – Tant les «Verts» que «Die Linke» ont conforté cette approche qui, du coup, a relancé la prise en compte d’un dossier autrement plus difficile (et… consistant) : celui du versement à la Grèce d’indemnisations en compensation de la terrible occupation imposée au pays par l’Allemagne nazie. En arrivant au pouvoir, le nouveau Premier Ministre Alexis Tsipras et le parti Syriza ont relancé la revendication et le Ministre grec des Affaires Etrangères a remis au gouvernement allemand une demande officielle pour obtenir des réparations au titre de l’occupation de la Grèce par la Wehrmacht, de 1941 à la fin 1944. Le Ministre de la Justice (Nikos Paraskevopoulos) alla jusqu’à menacer de faire saisir les biens détenus en Grèce par des ressortissants allemands pour le cas où on ne trouverait pas de solution au conflit né des demandes de réparations.

Si la demande -rejetée par l’Allemagne qui y voit un moyen détourné de combler le déficit grec et de détourner l’attention du manque de résultats obtenus dans la lutte contre ce déficit- reste sur la table, le climat qui entoure l’affrontement gréco-germanique a changé : à preuve le propos d’Alexis Tsipras lors de sa visite à la chancelière Merkel : «Il ne s’agit pas tant d’une demande matérielle, que d’obtenir le respect d’obligations issues de contrats passés». Cela s’appelle une «ouverture» et une amorce à la renonciation éventuelle à la renonciation à l’un des deux points de revendications présentées par la Grèce.

Une double revendication face aux Allemands ! – Car la revendication est effectivement double : elle porte d’une part sur le versement de 162 milliards d’euros au titre des compensations et d’autre part au remboursement d’un prêt imposé au pays par l’Allemagne, représentant l’équivalent de 8,5 milliards d’euros (intérêts compris) pour des experts allemands, 11 milliards pour le ministère des finances grecs (1). Le gouvernement allemand refuse toute idée de compensation : il estime, en gros, que les problèmes d’indemnisation ont été réglés par un certain nombre d’accords conclus après la guerre ou après la réunification et par une convention gréco-germanique conclue en 1960 prévoyant le versement de l’équivalent de 58 millions d’euros pour indemniser les victimes grecques du nazisme. Jusqu’où ira la contestation grecque ?

L’évolution de l’opinion allemande semble fortement pousser à une conciliation, à un compromis auquel se sont, jusqu’ici, opposés Angela Merkel et, surtout, Wolfgang Schäuble, son Ministre des Finances. Le Président de la République, Joachim Gauck, qui était revenu bouleversé de sa visite aux villages de Disdimoet et de Liguades, où les nazis avaient assassinés 218 personnes de tous âges dans le premier cas et 92 dans le second, a sobrement commenté : «Il est juste qu’un pays aussi conscient que le nôtre de son histoire évalue quelles possibilités de réparations il peut y avoir». Gregor Gysi, le leader de «Die Linke» se prononce, lui, pour le versement immédiat des 11 milliards liés au prêt. Le Vice-Chancelier SPD Sigmar Gabriel, après avoir rejeté les prétentions grecques, a depuis estimé qu’il ne fallait pas les écarter d’un revers de la main. Le représentant des «Verts» reproche au gouvernement son manque de «sensibilité dans ce dossier».

A l’image de la «Fondation Entente Franco-Allemande» ? – Ancienne candidate (SPD) à la Présidence de la République, ancienne «recteur» de l’Université européenne «Viadrina» de Francfort-sur-Oder, à la frontière germano-polonaise, Gesine Schwan, plaidant pour des négociations et comparant l’attitude grecque aux doutes allemands sur le comportement actuel de la Grèce, estime «qu’il est compréhensible que la Grèce se demande dans la situation actuelle, si les Allemands se sont toujours comportés de façon loyale». Si tout le monde est convaincu qu’en l’occurrence le fameux slogan «l’Allemagne paiera» se traduira, une fois de plus, dans la réalité, c’est par la négociation qu’on conclura le débat actuel. Peut-être même, verra-t-on la création d’une «fondation permettant une forme d’indemnisation» (à l’image de ce qui se passa pour les incorporés de force alsaciens, grâce à la Fondation Entente Franco-Allemande).

Mais la plupart des observateurs sont d’accord pour estimer que c’était une erreur que de faire croire que la Grèce liait l’indemnisation et l’aide attendue face à ses déficits. La plupart des observateurs pensent aussi que les affrontements qui ont régulièrement lieu entre Grecs et Allemands sur fond de négociations financières font «plus que désordre» entre pays appartenant à la même zone monétaire et à la même «Union Européenne» !

(1) Le montant de la dette publique grecque est de l’ordre de 315 milliards d’euros.

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